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31/07/2018 | FRANCE | N°18LY00563

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 31 juillet 2018, 18LY00563


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 15 janvier 2018 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux mois.

Par un jugement n° 1800236 du 19 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.
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Par une requête, enregistrée le 12 février 2018, le préfet d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 15 janvier 2018 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays de renvoi et lui a fait interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux mois.

Par un jugement n° 1800236 du 19 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 12 février 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2018 ;

2°) de rejeter les demandes de M. D... B... devant ce tribunal.

Il soutient que :

- le jugement, fondé sur une pièce produite à l'audience qui ne lui a été communiquée qu'après la clôture d'instruction, en méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction, est entaché d'irrégularité ;

- l'intéressé n'est plus autorisé à exercer une activité professionnelle sur le territoire helvétique ;

- c'est à tort, compte tenu des condamnations prononcées à son encontre et de sa situation familiale, que le tribunal a estimé que le comportement de l'intéressé ne constituait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société.

Par un mémoire enregistré le 30 mai 2018, M. D... B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le contradictoire a été respecté lors de l'audience, au cours de laquelle le préfet n'a pas jugé utile d'être présent ;

- le jugement de première instance doit être confirmé faute d'urgence à l'éloigner et en l'absence de menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;

- les décisions en litige ont été prises en violation du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller ;

- et les observations de Me C... pour M. A... B... ;

1. Considérant que le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 19 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 15 janvier 2018 faisant obligation à M. A... B..., ressortissant portugais, de quitter sans délai le territoire français, désignant le pays de renvoi et lui interdisant de circuler sur le territoire français pour une durée de deux mois ;

Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : (...) 3° Ou que son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. (...) " ;

3. Considérant qu'il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a été condamné à trois reprises en juin et décembre 2015 et en mars 2017 par le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains à des peines d'emprisonnement pour des faits de violence, en particulier avec usage ou menace d'une arme suivis d'incapacité ; qu'il a encore été condamné en mars 2017 pour refus de se soumettre aux vérifications d'alcoolémie au volant et conduite en état d'ivresse ; qu'il a en outre fait l'objet entre 2009 et 2013 de cinq condamnations judiciaires pour divers délits routiers et port prohibé d'arme ; qu'eu égard à la gravité et au caractère répété des agissements de l'intéressé, et alors même qu'il vivrait maritalement avec une ressortissante de la République du Cap-Vert et leur enfant commun, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 2 en obligeant M. A... B... à quitter le territoire français ; que, par suite, le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a estimé que le comportement de M. A... B... ne constituait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française pour annuler ses décisions du 15 janvier 2018 ;

5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B... ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des actions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; qu'aux termes de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. " ;

7. Considérant que M. A... B... soutient, sans l'établir, qu'il vit sur le territoire français depuis 2004 ; que s'il déclare vivre en concubinage avec une ressortissante capverdienne et leur fille Rihanna, âgée de sept ans, il n'établit pas, en produisant seulement une attestation d'hébergement non datée émanant de la personne qu'il présente comme sa concubine, la nature exacte, la durée et l'intensité de leur relation, ni la nature des liens qu'il entretiendrait avec sa fille ; que l'intéressé, qui dispose d'une carte d'identité portugaise, conserve des liens dans son pays d'origine où vit l'un de ses enfants âgé de quatorze ans et n'établit pas être dans l'impossibilité d'y reconstituer sa vie privée et familiale ; que, dès lors, en dépit de la stabilité de sa situation professionnelle, la mesure d'éloignement en litige ne méconnaît pas les stipulations et dispositions citées au point précédent ; que, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté comme inopérant, dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables aux ressortissants communautaires ;

Sur la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :

8. Considérant qu'aux termes du 3ème alinéa de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. (...) " ;

9. Considérant qu'eu égard à l'ensemble des circonstances décrites au point 4, le préfet de la Haute-Savoie a pu décider qu'il y avait urgence à éloigner M. A... B... du territoire français ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée procéderait d'une inexacte application des dispositions citées au point précédent ;

Sur la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français :

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. (...) " ;

11. Considérant qu'eu égard à l'ensemble des circonstances rappelées aux points 4 et 7, le préfet de la Haute-Savoie pouvait légalement, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, prononcer à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée au demeurant limitée à deux mois ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué et sans qu'il soit besoin d'en examiner la régularité, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 15 janvier 2018 et à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de M. A... B... devant ce tribunal ; que les conclusions présentées en appel par M. A... B... tendant à l'application, au bénéfice de son avocate, de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en tout état de cause, être rejetées par voie de conséquence ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de ses conclusions en appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. A... B....

Copie en sera adressée :

- au préfet de la Haute-Savoie ;

- au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains.

Délibéré après l'audience du 10 juillet 2018, à laquelle siégeaient :

M. Yves Boucher, président de chambre,

M. Antoine Gille, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 juillet 2018.

2

N° 18LY00563

fp


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY00563
Date de la décision : 31/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: Mme VACCARO-PLANCHET
Avocat(s) : DUVERGIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-07-31;18ly00563 ?
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