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31/07/2018 | FRANCE | N°18LY00456

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 31 juillet 2018, 18LY00456


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 24 juillet 2017 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 1706038-1706041 du 28 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a joint ces demand

es, a annulé les décisions du 24 juillet 2017, a enjoint au préfet de l'Isère de déliv...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 24 juillet 2017 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 1706038-1706041 du 28 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a joint ces demandes, a annulé les décisions du 24 juillet 2017, a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. et Mme B... des autorisations provisoires de séjour et de réexaminer leur situation et a mis à la charge de l'Etat le versement à l'avocate des demandeurs d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 5 février 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 décembre 2017 ;

2°) de rejeter les demandes de M. et Mme B... devant ce tribunal.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont annulé ses décisions pour méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, alors qu'il n'est pas établi que la fille de M. et Mme B... ne pourrait pas être suivie médicalement en Arménie ou en Belgique où elle est née, que les intéressés n'ont pas sollicité la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade et qu'une prise en charge adaptée de l'autisme dont souffre leur enfant est possible en Arménie.

Par un mémoire enregistré le 4 juillet 2018, M. et Mme B..., représentés par Me A..., concluent au rejet de la requête et demandent à la cour :

1°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de leur délivrer un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour les autorisant à travailler et de réexaminer leur situation dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au bénéfice de leur avocate d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant pour annuler les décisions en litige ;

- ces décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle ;

- les obligations de quitter le territoire français sont privées de base légale du fait de l'illégalité des refus de titres de séjour ;

- les décisions fixant le pays de renvoi sont privées de base légale du fait de l'illégalité des refus de titres de séjour et des obligations de quitter le territoire français ;

- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues.

M. et Mme B... ont produit des pièces complémentaires enregistrées le 6 juillet 2018, jour de clôture de l'instruction, qui n'ont pas été communiquées.

M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 19 juin 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller ;

1. Considérant que le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 28 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 24 juillet 2017 portant refus de délivrance d'un titre de séjour à M. et Mme B... au titre de l'asile, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignation du pays de renvoi en cas d'éloignement forcé à l'expiration de ce délai ;

2. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " ;

3. Considérant que M. et Mme B..., ressortissants arméniens, sont entrés irrégulièrement en France en 2014, selon leurs déclarations ; que leur fille Liliana, née en Belgique et âgée de six ans à la date des décisions en litige, est suivie par le pôle de psychiatrie de l'enfant du centre hospitalier Alpes-Isère pour un retard faisant évoquer un trouble du spectre autistique diagnostiqué en France en août 2015 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cet enfant ne puisse pas bénéficier d'un suivi médical adapté en Belgique ou en Arménie, ni qu'elle ne pourrait y poursuivre les progrès accomplis en France grâce aux séances de psychomotricité et d'orthophonie dont elle a bénéficié ; que, par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 15 janvier 2018 pour méconnaissance des stipulations citées au point 2 ;

4. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme B... ;

Sur les refus de titres de séjour :

5. Considérant, en premier lieu, que les décisions en litige ont été signées par M. Yves Dareau, secrétaire général adjoint de la préfecture, titulaire à cet effet d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté du préfet du 1er février 2017, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 6 février suivant ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions manque en fait ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que les décisions de refus de séjour, prises en réponse aux demandes d'admission au séjour au titre de l'asile présentées par M. et Mme B..., énoncent les éléments de droit et de fait propres à leur situation particulière qui en constituent le fondement ; qu'elles sont, par suite, suffisamment motivées d'un point de vue formel ; que cette motivation révèle que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle des requérants, contrairement à ce qu'ils soutiennent ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. (...) " ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les requérants sont entrés récemment en France et qu'ils n'ont été autorisés à y résider qu'en raison des démarches qu'ils ont accomplies en vue d'obtenir le statut de réfugié ; que rien ne fait obstacle à ce qu'ils poursuivent leur vie privée et familiale hors de France avec leur fille, qui peut y trouver des soins adaptés ; que, dans ces conditions, en dépit de la volonté d'insertion des intéressés, les décisions portant refus d'admission au séjour ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste commise à cet égard par le préfet de l'Isère dans l'appréciation des conséquences de ces décisions sur la situation personnelle des intéressés doit être écarté ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, (...) " ;

10. Considérant qu'en se bornant à faire état des troubles dont souffre leur fille, les requérants ne démontrent pas, eu égard à ce qui est dit au point 3, que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne procédant pas à la régularisation de leur situation au titre des dispositions citées au point précédent ;

Sur les obligations de quitter le territoire français :

11. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; que ce droit implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger intéressé à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour ; qu'il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité de son séjour ou la perspective de son éloignement ;

12. Considérant que lorsqu'il sollicite l'admission au séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement ; qu'à l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnu un droit au séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande ; qu'il lui appartient, lors du dépôt de sa demande qui requiert en principe une présentation personnelle en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles ; qu'il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux ; que le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus d'admission au séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus d'admission au séjour ;

13. Considérant qu'en l'espèce M. et Mme B..., qui se sont présentés personnellement en préfecture le 28 novembre 2014, ont pu présenter les observations qu'ils estimaient utiles sur leur situation dans le cadre de l'examen de leurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile ; que les requérants n'allèguent pas qu'ils auraient tenté en vain de porter à la connaissance de l'administration des éléments pertinents relatifs à leur situation avant l'intervention des mesures d'éloignement en litige ; que, dans ces conditions, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir qu'ils ont été privés du droit d'être entendus résultant du principe général du droit de l'Union européenne ;

14. Considérant, en second lieu, que compte tenu de ce qui est dit aux points 2 à 10 ci-dessus, les requérants ne sont pas fondés à invoquer l'illégalité des refus de titres de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les obligations de quitter le territoire français ;

Sur les décisions fixant le pays de renvoi :

15. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 14 que les requérants ne sont pas fondés à exciper, à l'encontre des décisions fixant le pays à destination duquel ils pourront être éloignés d'office, de l'illégalité des obligations de quitter le territoire français prononcées à leur encontre ;

16. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " ;

17. Considérant que M. et Mme B... soutiennent, pour la première fois en appel, qu'ils encourent des risques de traitement contraires à ces stipulations en cas de retour dans leur pays d'origine du fait de la dénonciation par M. B... d'un meurtre dont il a été témoin et des violentes représailles qui s'en seraient suivies, sans produire, à l'exception de l'acte de décès du père de Mme B... ne précisant pas la cause de sa mort, le moindre élément de justification à l'appui de cette allégation, alors que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pas tenu pour établies de telles craintes ; que, par suite, en désignant l'Arménie comme pays de renvoi, le préfet de l'Isère n'a pas méconnu les stipulations citées au point 16 ;

18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 24 juillet 2017 et à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de M. et Mme B... devant ce tribunal ; que les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par les intimés et celles tendant à l'application, au bénéfice de leur avocate, de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées par voie de conséquence ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de leurs conclusions en appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. et Mme B....

Copie en sera adressée :

- au préfet de l'Isère ;

- au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 10 juillet 2018, à laquelle siégeaient :

M. Yves Boucher, président de chambre,

M. Antoine Gille, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 juillet 2018.

2

N° 18LY00456

fp


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY00456
Date de la décision : 31/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: Mme VACCARO-PLANCHET
Avocat(s) : CANS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-07-31;18ly00456 ?
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