Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 29 août 2016 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 1605641 du 6 novembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision, a enjoint au préfet de la Haute-Savoie de procéder au réexamen de la situation de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 800 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 11 janvier 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 novembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
Il soutient qu'il n'a pas examiné la demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. C... au regard du seul critère relatif à la durée de son séjour en France et qu'il n'a ainsi pas commis d'erreur de droit.
Par un mémoire enregistré le 7 février 2018, M. A... C..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai de huit jours et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler dans un délai de deux jours ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit en refusant de lui délivrer un titre de séjour au motif qu'il ne disposait pas d'une ancienneté de séjour suffisamment longue sur le territoire français, alors que le droit au séjour n'est pas subordonné à une telle condition ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit en relevant, pour justifier sa décision, que son épouse peut solliciter le bénéfice du regroupement familial, alors que le préfet peut régulariser sa situation ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur de fait en indiquant qu'il n'avait pas introduit de recours devant la Cour nationale du droit d'asile contre le refus opposé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à sa demande d'asile ;
- la décision du préfet est insuffisamment motivée ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par décision du 13 février 2018, le bureau d'aide juridictionnelle a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. C....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Thierry Besse, premier conseiller ;
1. Considérant que M. C..., né en 1973, ressortissant du Kosovo, est entré en France pour la dernière fois le 17 avril 2014 ; qu'il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 3 juillet 2015 ; que le préfet de la Haute-Savoie a refusé son admission au séjour à ce titre ; que le bénéfice de l'asile lui a été refusé par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 23 mai 2016 ; qu'il a également présenté le 8 janvier 2016 une demande d'admission exceptionnelle au séjour ; que, par décision du 29 août 2016, le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour ; que, par jugement du 6 novembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision et a enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer sa demande ; que le préfet de la Haute-Savoie relève appel de ce jugement ;
Sur la légalité de la décision du 29 août 2016 :
2. Considérant que, pour annuler la décision du 29 août 2016, le tribunal a relevé que le préfet de la Haute-Savoie avait indiqué dans sa décision que M. C... ne disposait pas " d'une ancienneté de séjour suffisamment longue sur le territoire national pour se prévaloir d'un quelconque droit au séjour " et en a déduit qu'ayant ainsi exclu de manière absolue qu'il puisse se voir délivrer un titre de séjour, le préfet avait entaché sa décision d'une erreur de droit ; qu'il ressort toutefois de la décision en litige que le préfet a également pris en compte, pour rejeter sa demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. C..., la présence de membres de sa famille au Kosovo, ses liens avec son épouse résidant régulièrement en France et son insertion dans la société française, pour en conclure que l'intéressé n'entre dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour ; que, par suite, le préfet ne peut être regardé comme s'étant cru à tort tenu de lui refuser un titre de séjour en raison de la seule durée de son séjour en France et n'a ainsi pas commis l'erreur de droit censurée par le tribunal administratif ; que, par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, annulé le refus de titre de séjour en litige ;
3. Considérant qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
5. Considérant que M. C... est entré pour la dernière fois en France en avril 2014, après y avoir séjourné entre 2009 et 2013 ; qu'il a épousé, le 28 novembre 2014, une compatriote qui bénéficie de la protection subsidiaire depuis 2011 et qui était titulaire, à la date de la décision en litige, d'un titre de séjour qui lui a été délivré au regard de son état de santé, titre depuis renouvelé ; qu'il bénéficie de promesses d'embauches ; que, dans ces circonstances, compte tenu de l'impossibilité pour le couple de reconstituer la cellule familiale au Kosovo, de l'état de santé de son épouse et malgré le caractère récent du séjour en France de l'intéressé et de sa vie commune avec son épouse, la décision de refus de séjour porte au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des objectifs qu'elle poursuit ; qu'ainsi cette décision méconnaît les dispositions précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 29 août 2016 par laquelle il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. C... ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. " ; que l'article L. 911-3 de ce code dispose que : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " ;
8. Considérant qu'eu égard au motif qui fonde la confirmation par le présent arrêt de l'annulation prononcée par le tribunal administratif et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans les circonstances de droit et de fait y fasse obstacle, cette annulation implique nécessairement que le préfet de la Haute-Savoie délivre à M. C... une carte de séjour temporaire mention "vie privée et familiale" ; qu'il y a lieu d'impartir au préfet de la Haute-Savoie un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt pour procéder à cette délivrance ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les frais liés au litige :
9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. C... tendant à ce qu'il soit fait application, au bénéfice de son avocat, des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Savoie est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de délivrer une carte de séjour temporaire mention "vie privée et familiale" à M. C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. A... C... et au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 juin 2018.
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N° 18LY00125
mg