Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 28 octobre 2016 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office.
Par un jugement n° 1606838 du 14 février 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 mars 2017, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 14 février 2017 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu comme fondé le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que la réalité de la vie commune de l'intéressée avec M. A... n'est pas établie et qu'elle est, en tout état de cause, récente, que le couple n'a pas d'enfant, que les intéressés ne pouvaient pas ignorer, dès le début de leur relation, que leurs perspectives communes d'installation en France étaient incertaines, en l'absence de droit au séjour détenu par MmeC... ;
- l'arrêté attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale.
Par des mémoires enregistrés le 17 août 2017 et le 12 janvier 2018, Mme D... C..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale", dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou de réexaminer sa demande, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous la même astreinte ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de la réalité et de la durée de sa relation de concubinage et de son insertion, notamment par le travail ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale par suite de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller ;
- les observations de Me B... pour Mme C... ;
1. Considérant que Mme C..., née en 1983, de nationalité malgache, est entrée en France le 28 novembre 2012 sous couvert d'un visa de court séjour ; qu'elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiante, qui lui a été refusée faute de visa de long séjour par une décision du préfet du Rhône du 9 janvier 2014, assortie d'une obligation de quitter le territoire français ; qu'elle s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire national ; qu'elle a présenté, le 8 décembre 2015, une demande de régularisation de sa situation par la délivrance d'un titre de séjour portant la mention "salarié" sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou, subsidiairement, "vie privée et familiale" sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du même code, demande qu'elle a confirmée et complétée le 4 février 2016 ; que, le 28 octobre 2016, le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire ; que, par un jugement du 14 février 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions ; que le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation ainsi que le rejet des demandes présentées par Mme C... devant ce tribunal ;
Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) " ; qu'en présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte de séjour portant la mention "vie privée et familiale" répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels et, à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire" ;
3. Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, Mme C... est entrée en France le 28 novembre 2012 sous couvert d'un visa de court séjour et s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire national à l'expiration de la validité de son visa, en dépit d'une mesure d'éloignement prise à son encontre le 9 janvier 2014 qu'elle n'a pas contestée ; que si la réalité de la relation de Mme C... avec un ressortissant français est établie, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir une communauté de vie avant le mois de janvier 2014 selon une attestation de son compagnon, quand bien même elle aurait été ponctuellement hébergée antérieurement par la mère de celui-ci ;
4. Considérant, d'autre part, que Mme C... a obtenu au tire de l'année 2014-2015, sans être titulaire d'un titre de séjour, un master 2 d'histoire dans la spécialité des métiers de l'archéologie et du patrimoine et a effectué, dans ce cadre, un stage de trois mois au sein du service du patrimoine cultuel du département de l'Isère ; qu'elle a occupé depuis le mois de mars 2013 divers emplois, en mission d'intérim ou sous couvert de contrats à durée déterminée ou indéterminée, en qualité successivement de dame de compagnie, d'enquêtrice pour le compte de l'Université Jean Moulin et d'assistante de vie ; qu'elle travaillait comme conseillère de vente dans une enseigne de prêt-à-porter à la date de la décision attaquée ; qu'elle parle parfaitement le français et s'investit dans des activités associatives ; que, toutefois, ces circonstances, si elles sont de nature à justifier d'une bonne insertion de Mme C..., ne suffisent pas à caractériser une erreur manifeste dans l'appréciation du préfet selon laquelle la situation de l'intéressée ne répond pas aux critères de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cité au point 2 ; que, par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé, pour ce motif, ses décisions du 28 octobre 2016 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme C... et l'obligeant à quitter le territoire français ;
5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C..., tant devant le tribunal administratif de Grenoble qu'en appel ;
Sur le refus de titre de séjour :
6. Considérant, en premier lieu, que le refus de titre de séjour en litige a été signé par M. Yves Dareau, secrétaire général de la préfecture de l'Isère, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté préfectoral du 26 août 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du 29 août 2016 ; que le moyen tiré de l'incompétence du signataire du refus de titre de séjour manque ainsi en fait ;
7. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
8. Considérant que la vie commune de Mme C... avec un ressortissant français était récente à la date de la décision attaquée, ainsi qu'il a été dit au point 3 ; que le couple n'a pas d'enfant ; que l'intéressée, qui a vécu jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans à Madagascar, n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident ses parents et ses frères et soeurs ; que, dans ces conditions, en estimant que "l'examen de sa situation ne révèle pas l'existence de liens intenses, stables et anciens qu'elle aurait tissés sur le territoire national" et qu'"elle ne justifie pas de l'ancienneté d'une communauté de vie, ni de l'ancienneté de cette relation", le préfet ne peut être regardé comme s'étant fondé sur des faits inexacts et n'a pas, compte tenu de la durée et des conditions de séjour de Mme C... en France, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; que les moyens tirés de la violation du 7° des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent, dès lors, être écartés ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
9. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8 que Mme C... n'est pas fondée à exciper, à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, de l'illégalité de la décision rejetant sa demande de titre de séjour ;
10. Considérant, en second lieu, que, pour les motifs exposés au point 8, la décision obligeant Mme C... à quitter le territoire français n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 28 octobre 2016 et à demander l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande de Mme C... devant ce tribunal ;
Sur les conclusions de Mme C... :
12. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions de Mme C... dirigées contre les décisions du préfet de l'Isère du 28 octobre 2016, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que les conclusions à fins d'injonction et d'astreinte présentées par l'intéressée doivent, par suite, être rejetées ;
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que Mme C... demande sur leur fondement au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas partie perdante dans la présente instance ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 14 février 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... C....
Copie en sera adressée :
- au préfet de l'Isère ;
- au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre ;
M. Antoine Gille, président-assesseur ;
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 février 2018.
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N° 17LY01151
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