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21/11/2016 | FRANCE | N°16LY01175

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 21 novembre 2016, 16LY01175


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Règles d'Art a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation de la commune de La Roche-sur-Foron à l'indemniser du préjudice résultant pour elle de la délivrance fautive d'un permis de construire illégal ou, à titre subsidiaire, du retrait illégal du permis de construire qui lui avait été accordé.

Par un jugement n° 1304022 du 4 février 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de La Roche-sur-Foron à verser à la société Règles d'Art une

somme de 503 838 euros, assortie des intérêts à compter du 9 avril 2013, capitalisés au 12...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Règles d'Art a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation de la commune de La Roche-sur-Foron à l'indemniser du préjudice résultant pour elle de la délivrance fautive d'un permis de construire illégal ou, à titre subsidiaire, du retrait illégal du permis de construire qui lui avait été accordé.

Par un jugement n° 1304022 du 4 février 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de La Roche-sur-Foron à verser à la société Règles d'Art une somme de 503 838 euros, assortie des intérêts à compter du 9 avril 2013, capitalisés au 12 février 2015.

Procédure devant la cour

I) Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés les 4 avril, 25 juillet et 16 septembre 2016 sous le n° 16LY01175, la commune de La Roche-sur-Foron, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 février 2016 ;

2°) de rejeter la demande de la société Règles d'Art devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de la société Règles d'Art une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement se fonde irrégulièrement sur l'illégalité du retrait du permis de construire alors que seule l'illégalité du permis accordé avait été invoquée ;

- le retrait du permis critiqué n'est pas fautif alors qu'il était justifié par l'insuffisance des accès du projet ;

- la commune n'a pas assuré la société pétitionnaire de la faisabilité de son projet ni incité celle-ci à le réaliser ;

- le préjudice est sans lien direct avec le retrait de permis alors que celui-ci n'est pas à l'origine de l'abandon du projet, que d'autres possibilités d'accès existaient, qu'un projet quasi-identique a été autorisé sur le même terrain et qu'une condition suspensive aurait pu être mise en oeuvre par la société ;

- le préjudice allégué n'est pas établi alors que les frais autres que les frais de publicité sont injustifiés, éventuels ou sans lien direct avec la faute alléguée.

Par des mémoires enregistrés les 9 juin et 14 septembre 2016, la société Règles d'Art, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de La Roche-sur-Foron au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la commune l'a fautivement incitée à poursuivre son projet, notamment lors d'une réunion de pré-validation du 29 novembre 2011 et, si elle n'a pas illégalement délivré le permis de construire en litige, elle a alors commis une illégalité fautive en le retirant par une décision insuffisamment motivée alors que les conditions de desserte du projet étaient suffisantes ;

- en l'absence de solution alternative viable, le retrait du permis est la cause immédiate de l'abandon de son projet ;

- le préjudice qu'elle a subi est établi dès lors qu'il est justifié des frais liés à l'affichage du permis, qu'elle a exposé en pure perte des frais d'architecte et justifie de dépenses liées à des frais d'études techniques et qu'elle a été privée de la chance de réaliser son projet qui était sérieux.

II) Par une requête enregistrée le 4 avril 2016 sous le n° 16LY01176, la commune de La Roche-sur-Foron, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 février 2016 ;

2°) de mettre à la charge de la société Règles d'Art une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les conditions posées par l'article R. 811-16 du code de justice administrative sont remplies, le risque de perte définitive de la somme allouée à la société Règles d'Art étant sérieux.

Par un mémoire enregistré le 21 avril 2016, la société Règles d'Art, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête à fin de sursis à exécution et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la commune de La Roche-sur-Foron au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la demande de sursis à exécution n'est pas fondée.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gille, président-assesseur,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la commune de La Roche-sur-Foron, ainsi que celles de Me B...pour la société Règles d'Art.

1. Considérant que les requêtes susvisées tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt ;

2. Considérant que, le 21 septembre 2012, le maire de la Roche-sur-Foron a délivré un permis de construire à la société Règles d'Art en vue de la réalisation d'un ensemble immobilier dit "Le Clos des Asters" comprenant seize logements ; que, par un arrêté du 14 décembre 2012, le maire de La Roche-sur-Foron a retiré ce permis de construire pour un motif tiré de son illégalité ; que la commune de La Roche-sur-Foron relève appel du jugement du 4 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a retenu sa responsabilité pour avoir, d'une part, fautivement incité la société Règles d'Art à poursuivre des études en vue de la présentation d'une demande de permis de construire et, d'autre part, illégalement retiré le permis de construire délivré le 21 septembre 2012, et l'a condamnée à verser à cette société une indemnité de 503 838 euros, assortie des intérêts capitalisés ; que la commune de La Roche-sur-Foron demande par ailleurs qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant que dans sa demande introductive devant le tribunal administratif, la société Règles d'Art a indiqué notamment qu'elle entendait obtenir réparation de "préjudices subis du fait du retrait du permis de construire" qui lui avait été délivré, en évoquant les conditions, selon elle fautives, dans lesquelles le maire de la commune de La Roche-sur-Foron lui avait délivré ce permis de construire puis l'avait ensuite retiré ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la commune de La Roche-sur-Foron, les premiers juges, en se fondant notamment sur l'illégalité du retrait du permis pour retenir sa responsabilité, se sont prononcés dans la limite des conclusions dont ils étaient saisis et n'ont pas statué sur une demande ou un moyen qui n'était pas régulièrement invoqué devant eux ; que les premiers juges n'ont, en tout état de cause, pas davantage statué sur un fondement de responsabilité invoqué tardivement dans un mémoire complémentaire ;

Sur le principe de la responsabilité de la commune :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire. " ; qu'aux termes de l'article UB 3 du règlement du plan local d'urbanisme relatif aux accès et voiries : " (...) Les constructions et installations doivent être desservies par des voies publiques ou privées dont les caractéristiques correspondent à leur destination, notamment en ce qui concerne la commodité de la circulation, des accès et des moyens d'approche permettant une lutte efficace contre l'incendie ou le ramassage aisé des ordures ménagères " ;

5. Considérant que pour retirer le permis de construire délivré le 21 septembre 2012, le maire s'est fondé sur la seule circonstance que "la largeur, inférieure à 5 m, de l'accès basé sur l'existence d'une servitude de passage est insuffisante au regard de l'immeuble de 16 logements à construire, ne permettant pas le croisement de deux véhicules" ; qu'il résulte de l'instruction que le terrain d'assiette de la construction projetée était desservi, depuis le chemin de Livron, par une servitude de passage d'une largeur comprise entre 5 et 6 mètres, avec un point de resserrement d'une largeur de 4,50 m. ; que cette voie, praticable par des véhicules circulant dans les deux sens, répondait, en l'espèce, à l'importance et à la destination de l'immeuble envisagé ; que le permis de construire n'étant ainsi entaché d'aucune erreur d'appréciation quant aux conditions de desserte du projet, le maire de La Roche-sur-Foron ne pouvait en prononcer légalement le retrait pour un tel motif ; qu'il a, ce faisant, commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; qu'ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, il ne résulte pas de l'instruction que le comportement ou l'imprudence de la société Règles d'Art serait susceptible d'exonérer la commune de tout ou partie de sa responsabilité ;

6. Considérant que si, pour constituer son dossier de demande d'autorisation de construire, la société Règles d'Art a noué des contacts réguliers avec les services communaux, avec lesquels s'est notamment tenue une réunion en mairie le 29 novembre 2011, il ne résulte pas de l'instruction que la commune l'aurait irrégulièrement incitée à s'engager dans l'opération immobilière faisant l'objet de la présente instance ; qu'ainsi, aucun agissement fautif ne saurait, sur ce point, être imputé à la commune de la Roche-sur-Foron ;

Sur la réparation :

7. Considérant, en premier lieu, qu'au soutien de sa demande d'indemnisation, la société Règles d'Art a exposé devant le tribunal administratif que le comportement fautif de la commune l'a empêchée de percevoir les bénéfices qu'elle pouvait escompter de la commercialisation de l'immeuble projeté, en faisant valoir sa bonne réputation, la pression démographique et la forte demande immobilière résidentielle caractérisant le secteur d'implantation de son projet ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que la société requérante a, après le retrait du permis de construire, entendu négocier de nouvelles modalités pour l'achat du terrain d'assiette de son projet, qu'elle n'a finalement pas acquis, pour tenir compte notamment d'une conjoncture défavorable ; que si elle expose que ses statuts lui permettent de mener elle-même une opération de promotion immobilière et fait état de la conclusion de mandats de vente auprès d'agences immobilières locales, elle ne fait pas état d'engagements, ni même de contacts, pris avec de futurs acquéreurs ; que, dans ce contexte, il ne résulte pas de l'instruction, notamment du bilan financier détaillé qu'elle produit, que la société Règles d'Art, qui a renoncé à son projet sans contester le retrait litigieux et qui a adressé sa demande indemnitaire à la commune dès le mois d'avril 2013, aurait, du fait du comportement de l'autorité administrative, été empêchée de mener à son terme le projet immobilier du "Clos des Asters" dans les conditions dont elle fait état ; que, les circonstances de l'affaire ne permettent pas de regarder le préjudice allégué comme présentant en l'espèce le caractère direct et certain auquel est subordonnée l'ouverture du droit à indemnisation ; qu'il suit de là que la commune de La Roche-sur-Foron est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge une indemnité au titre du manque à gagner subi par la société Règles d'Art ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que les frais correspondant au coût de réalisation, par un géomètre expert et par un bureau d'études, pour un montant de 3 161,02 euros, d'études techniques relatives, en particulier, à la confection d'un plan topographique et à la gestion des eaux pluviales, ont été engagés avant la délivrance du permis de construire illégalement retiré et ne peuvent, dès lors, être regardés comme ayant été exposés en vain du fait de ce retrait ;

9. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que, dans la perspective de la mise en oeuvre du projet initialement autorisé, la société Règles d'Art a exposé des frais pour l'accomplissement des formalités de publicité du permis de construire du 21 septembre 2012 et, pour en justifier, des frais d'huissier d'un montant de 1 894,88 euros ; qu'à la suite de la délivrance du permis de construire, elle a également engagé, à hauteur de 39 807,07 euros, des frais d'architecte pour la réalisation des plans d'exécution et de vente des appartements liés à son projet ; qu'alors même que la société Règles d'Art avait acquis le terrain d'assiette de son projet sous la condition suspensive que son permis ne fasse pas l'objet d'un retrait et qu'elle avait la possibilité de renoncer à cette condition et de poursuivre la réalisation de son projet, modifié le cas échéant, le paiement en pure perte des sommes mentionnées ci-dessus doit être regardé, en l'espèce, comme trouvant directement sa cause dans la faute commise par la commune ; que le préjudice subi a ce titre par la société Règles d'Art s'élève ainsi à la somme de 41 701,95 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Roche-sur-Foron est seulement fondée à demander que la somme de 503 838 euros qu'elle a été condamnée à payer à la société Règles d'Art par le jugement attaqué, soit ramenée à 41 701,95 euros ;

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :

11. Considérant que le présent arrêt statue sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué ; que, par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Règles d'Art tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la société Règles d'Art demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens soit mise à la charge de la commune de La Roche-sur-Foron qui n'est pas partie perdante dans la présente instance ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que la commune de La Roche-sur-Foron présente au même titre ;

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 16LY01176 de la commune de La Roche-sur-Foron.

Article 2 : La somme de 503 838 euros que le tribunal administratif de Grenoble a, par son jugement du 4 février 2016, condamné la commune de La Roche-sur-Foron à payer à la société Règles d'Art, est ramenée à 41 701,95 euros (quarante et un mille sept cent un euros quatre-vingt-quinze).

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 février 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune de La Roche-sur-Foron et les conclusions de la société Règles d'Art tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Roche-sur-Foron et à la société Règles d'Art.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Boucher, président de chambre,

- M. Gille, président-assesseur,

- Mme Vaccaro-Planchet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 21 novembre 2016.

2

N°s 16LY01175, 16LY01176

md


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY01175
Date de la décision : 21/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: M. Antoine GILLE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : CABINET PHILIPPE PETIT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-11-21;16ly01175 ?
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