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15/11/2016 | FRANCE | N°15LY03613

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 15 novembre 2016, 15LY03613


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Tracy-sur-Loire a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat, la société Merlot TP et la société Esportec à l'indemniser du préjudice subi du fait de désordres affectant la chaussée d'une place de la commune ayant fait l'objet d'une opération de réaménagement.

Par un jugement n° 1101537 du 10 janvier 2013, le tribunal administratif de Dijon :

- a condamné l'Etat à indemniser la commune à hauteur de 17 250 euros correspondant à la moitié du préjudice

tenant à l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP ;

- a mis à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Tracy-sur-Loire a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat, la société Merlot TP et la société Esportec à l'indemniser du préjudice subi du fait de désordres affectant la chaussée d'une place de la commune ayant fait l'objet d'une opération de réaménagement.

Par un jugement n° 1101537 du 10 janvier 2013, le tribunal administratif de Dijon :

- a condamné l'Etat à indemniser la commune à hauteur de 17 250 euros correspondant à la moitié du préjudice tenant à l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP ;

- a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise ainsi que le versement à la commune de Tracy-sur-Loire d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 13LY00728 du 18 septembre 2014, la cour administrative d'appel de Lyon :

- a annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il avait statué sur les conclusions de la commune dirigées contre la société Esportec ;

- a, après évocation, rejeté ces conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

- a rejeté le surplus de la requête d'appel de la commune de Tracy-sur-Loire ainsi que les conclusions des sociétés Esportec et Merlot TP tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une décision n° 385779 du 21 octobre 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt du 18 septembre 2014 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire tendant à la condamnation de la société Merlot TP et de l'Etat et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 21 mars et 23 octobre 2013, 16 juillet 2014, 6 janvier 2016 et un dernier mémoire non communiqué du 21 avril 2016, la commune de Tracy-sur-Loire, représentée par la Selarl cabinet LechatD..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 janvier 2013 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation de la société Merlot TP et de l'Etat ;

2°) de condamner in solidum la société Merlot TP et l'Etat à lui verser la somme de 126 566,62 euros toutes taxes comprises au titre de la reprise des désordres constatés par l'expert, la somme de 34 500 euros au titre des pénalités de retard, la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de mettre les dépens à la charge de la société Merlot TP et de l'Etat, in solidum, ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article " L. 621-1 " du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- comme l'a l'exposé l'expert, la responsabilité de la commune ne saurait être engagée concernant les désordres subis résultant de dégradations du revêtement de surface posé dans le cadre de l'aménagement de la place du 8 mai 1945, aucune faute ne pouvant lui être reprochée ;

- la responsabilité, concernant ces désordres, de la société Merlot TP, qui avait notamment en charge la pose du matériau et la vérification de sa conformité, doit être engagée sur le fondement de la garantie décennale dès lors que ces désordres sont imputables à plusieurs manquements de cette société dans l'exécution de ses missions, qu'ils rendent nécessairement l'ouvrage impropre à sa destination et compromettent sa solidité, la réfection complète de la place devant être réalisée pour y remédier et les défauts n'étant pas apparents lors de la réception ;

- la responsabilité de la société Merlot TP est engagée sur le fondement du dol dès lors que la société a déclaré une consommation de produits de revêtement plus importante que celle prévue, que pour une partie des trottoirs elle n'a pas utilisé le traitement en surface prévu, qu'elle a ainsi consommé pour le chantier une quantité de produits inférieure à celle prévue et a conservé une partie du produit de revêtement destiné aux travaux d'aménagement pour l'utiliser nécessairement sur d'autres chantiers au préjudice du maître d'ouvrage ;

- la responsabilité de l'Etat, en sa qualité de maître d'oeuvre, doit être engagée pour les désordres constatés pour méconnaissance de son obligation de conseil à son égard dès lors qu'il a failli dans sa mission de direction et de contrôle du chantier, qu'il aurait pu avoir connaissance des vices s'il avait accompli sa mission selon les règles de l'art en suivant le chantier de manière conforme et en procédant aux analyses nécessaires et en effectuant consciencieusement les opérations nécessaires à la réception des travaux ;

- la responsabilité de l'Etat concernant l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP est entière, aucune imprudence fautive ne pouvant être retenue à l'encontre de la commune comme il résulte notamment de la décision de renvoi du Conseil d'Etat, l'Etat devant ainsi lui verser une somme de 34 500 euros en réparation de ce préjudice ;

- le préjudice subi correspond à la solution n° 3 préconisée par l'expert judiciaire qui évalue à 126 166,62 euros TTC les travaux de reprise avec un enrobé beige qui est le plus proche possible de la conception initiale ;

- le préjudice moral de la commune peut être estimé à 30 000 euros en raison de la perte de crédibilité des élus ayant eu en charge la réalisation de ce projet qui se répercute sur la renommée de la collectivité et sur ses finances.

Par des mémoires enregistrés les 7 et 21 octobre 2013, 25 août 2014 et 22 mars 2016, la société Merlot TP, représentée par la société Elexdia associés, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête ainsi que les conclusions que l'Etat présente à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à la garantir de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Tracy-sur-Loire une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la commune ne définit pas précisément les désordres dont elle demande réparation ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut être recherchée dès lors que les travaux ont été réceptionnés et que le marché a fait l'objet d'un décompte général définitif ; les réserves se bornaient à faire mention d'imperfections s'agissant de la reprise de 200 m² de revêtement de surface Enverr'paq pour teinte non conforme et il a été procédé à une reprise dans le délai de parfait achèvement ; la commune ne justifie d'aucun acte interruptif de prescription dans ce délai ;

- elle n'a commis aucune faute ; elle n'avait pas ainsi à proposer l'agrément d'un laboratoire au maître d'oeuvre pour valider le stabilisé renforcé compte tenu de ce qu'il s'agissait d'un produit breveté prêt à l'emploi et eu égard aux stipulations incompatibles contenues dans l'article 4 du CCTP ; l'absence de vérification du dosage en liant et de la teneur en eau lors de la fabrication du produit ne peuvent lui être reprochées alors qu'il s'agissait d'un produit prêt à l'emploi breveté ; elle n'avait pas à réaliser de planche d'essai compte tenu de la destination de la place et de ce que cette planche n'aurait pas permis de déceler la non tenue superficielle du produit ; le tonnage a été respecté comme l'a relevé l'expert, la différence d'épaisseur résultant de ce que seule la partie supérieure de l'enduit est ressortie du trou lors du carottage, les carottes ne reflétant donc pas l'épaisseur réellement mise en oeuvre ; le produit a été appliqué partout sur le site, et plus particulièrement sur les trottoirs lors de la seconde journée de pose ;

- l'ouvrage ne bénéficie pas, compte tenu de sa nature, de la garantie décennale mais de la garantie biennale ; en tout état de cause, sa responsabilité décennale ne peut être engagée dès lors que les désordres étaient apparents à la réception ; seule la responsabilité du maître d'oeuvre peut être engagée, ce dernier ne pouvant l'appeler en garantie du fait de la réception ; si le maître d'oeuvre avait accompli sa mission conformément aux règles de l'art les désordres n'auraient pu lui échapper ; elle n'a pas reconnu sa responsabilité sur ce fondement ; il n'est pas démontré que le désordre aurait un caractère décennal, la commune ne produisant aucun élément établissant l'existence d'une atteinte à la destination ou à la solidité de l'ouvrage ; le produit utilisé a été imposé par le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage ;

- sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement du dol, notion ne trouvant aucune application en matière de marchés de travaux publics et caractérisant un vice du consentement dont l'existence s'apprécie au seul stade de la formation du contrat ; le dol ne peut être utilement invoqué qu'à l'expiration du délai de garantie décennale et un tel régime n'est applicable que si le désordre est apparu après la réception, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; il n'est pas établi de manquement intentionnel et délibéré aux règles de l'art ; une éventuelle surconsommation de produit ne saurait démontrer d'intention dolosive, le produit ayant été utilisé intégralement sur le site sans pouvoir, s'agissant d'un produit spécifique, être partiellement utilisé sur d'autres chantiers ; la pertinence des carottages ayant fondé l'analyse de l'expert judiciaire est contestable ; aucune faute ne peut lui être reprochée s'agissant du défaut de qualité du produit Enverr'Paq, qui est prêt à l'emploi ; il était impossible de réaliser une planche d'essai ;

- la solution retenue par l'expert est différente des choix initialement opérés par la commune, qui avait opté pour un ouvrage stabilisé renforcé, moins coûteux qu'un enrobé ;

- elle ne peut être condamnée au titre des pénalités de retard dès lors que le décompte général de son marché, devenu définitif, ne lui applique pas de telles pénalités ;

- l'existence d'un préjudice moral pour la commune, qui est une personne morale distincte des élus, personnes physiques, n'est pas justifiée ; la jurisprudence n'admet l'indemnisation d'un préjudice moral qu'en ce qui concerne les personnes physiques ;

- à titre subsidiaire, elle devrait être garantie d'une condamnation à ce titre par l'Etat, qui a été un maître d'oeuvre défaillant et a commis des manquements contractuels à l'origine des désordres.

Par des mémoires, enregistrés les 6 janvier 2014 et 24 mars 2016 le ministre de l'intérieur et le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer concluent, à titre principal, au rejet de la requête la commune de Tracy-sur-Loire, à titre subsidiaire, au rejet des conclusions de la société Merlot TP dirigées contre l'Etat et, à titre très subsidiaire, à ce que les prétentions indemnitaires de la commune soient ramenées à de plus justes proportions.

Ils font valoir que :

- la commune, qui met en avant la concomitance du procès-verbal des opérations de réception et de la proposition de réceptionner les travaux, ne démontre pas avoir contesté à l'époque la proposition du maître d'oeuvre tant sur la nature des réserves que sur la date d'achèvement des travaux, alors que la décision lui incombait en tant que personne responsable du marché ;

- si les désordres sont intervenus au moment des élections municipales de mars 2008, soit plus de trois ans après la date d'achèvement des travaux, il est inexact de prétendre que les vices étaient aisément décelables ou que l'ouvrage était impropre à sa destination ;

- la réception des travaux, prononcée avec une réserve ne portant pas sur les désordres dont il est demandé réparation, a éteint toute possibilité légale d'engager la responsabilité contractuelle de la société Merlot TP ou de la maîtrise d'oeuvre ;

- les défauts qui étaient décelables, tenant à la différence de teinte sur une partie des surfaces aménagées, ont fait l'objet d'une réserve lors de la réception des travaux, ultérieurement levée ; il est paradoxal de soutenir que le maître d'oeuvre aurait eu connaissance de vices en cours de chantier tout en lui reprochant de ne pas avoir conduit les actions nécessaires pour les détecter ; s'il revenait à l'Etat d'effectuer le contrôle des mesures de compactage, il appartenait à la société Merlot TP de diligenter les vérifications qualitatives des matériaux ; la circonstance que le maître d'oeuvre n'ait pas rempli certaines de ses tâches n'ayant pu, à elle seule, avoir causé directement l'ensemble des désordres dont se plaint la commune, la responsabilité du maître d'oeuvre au titre de son devoir de conseil ne peut être engagée ; les éléments produits par la commune ne démontrent pas que le maître d'oeuvre avait connaissance des désordres affectant l'ouvrage lors de la réception, ni que la responsabilité de l'Etat au titre d'un manquement à ses obligations de conseil puisse être engagée ; la société Merlot TP et la commune ont commis des fautes de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité pour défaut de conseil si cette dernière devait être retenue ; la société Merlot TP est ainsi la seule responsable pour ne pas avoir sollicité le laboratoire d'Autun lors de la phase de réalisation des travaux, pour ne pas avoir procédé aux contrôles de la fabrication et de la formulation chimique du matériau Enverr'Paq, pour avoir délivré un bon de commande du produit non conforme au CCTP, pour ne pas avoir respecté les quantités et épaisseurs préconisées concernant le traitement et pour avoir conservé et utilisé le produit sur le chantier dans des conditions anormales ; le maître d'ouvrage a fait preuve d'une inaction fautive ;

- à titre subsidiaire, si la responsabilité décennale devait être engagée l'appel en garantie présentée par la société devra être rejeté dès lors que les désordres sont seulement imputables à cette société ;

- à titre très subsidiaire, concernant le préjudice de la commune, la solution préconisée par la commune génère une plus value pour cette dernière (esthétique, entretien, durée) ; il convient de retenir la solution n° 1 proposée par l'expert correspondant à des travaux d'une valeur de 73 026,78 euros qui suffit à remédier aux désordres, le préjudice ne pouvant excéder ce montant ; l'évaluation du préjudice doit prendre en compte le fait que la commune a bénéficié d'une subvention spéciale en raison du caractère nouveau et innovant du produit utilisé ; il y a lieu d'appliquer un coefficient de vétusté dès lors que quatre années se sont écoulées entre la fin des travaux et l'apparition des désordres ; un abattement de 25 % devra être appliqué au motif que la commune a manqué à ses obligations d'entretien de l'ouvrage ;

- l'Etat ne peut être condamné au titre des pénalités de retard, dès lors que la commune a accepté le décompte général alors qu'elle savait que la fin des travaux était intervenue plus tard que prévu, que des pénalités pouvaient être encourues et calculées, sans nécessité de compétences techniques ou financières spécifiques ; la connaissance de ces informations par le maître d'ouvrage démontre qu'il a commis une imprudence et exonère le maître d'oeuvre ;

- s'agissant du préjudice moral, la commune n'explique pas le montant qu'elle revendique, ni le nombre d'élus concernés ; la perte de crédibilité alléguée n'a pas empêché le maire d'être réélu en mars 2008.

Par des mémoires enregistrés les 24 octobre 2013 et 6 avril 2016, la société Esportec, représentée par la SCP Marguerit-Baysset-Ruffié, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à sa mise hors de cause, aucune demande n'étant formulée à son encontre, et demande que les dépens soient mis à la charge de toute partie perdante ainsi qu'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'elle n'est pas concernée par la partie du litige renvoyée à la cour par le Conseil d'Etat.

Par ordonnance du 23 mars 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 avril 2016, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

- et les observations de Me D... pour la commune de Tracy-sur-Loire, ainsi que celles Me C... pour la société Merlot TP.

1. Considérant que la commune de Tracy-sur-Loire a décidé, par un marché de travaux du 16 avril 2004, de confier l'aménagement de la place du 8 mai 1945 à la société Merlot TP, sous maîtrise d'oeuvre de l'Etat ; qu'en raison de désordres apparus en surface, la commune a recherché devant le tribunal administratif de Dijon la responsabilité de cette entreprise et du maître d'oeuvre, ainsi que celle de la société Esportec qui avait livré à la société Merlot TP le produit de revêtement utilisé ; qu'elle a également recherché la responsabilité de l'Etat du fait de l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP ; que, par jugement du 10 janvier 2013, le tribunal a condamné l'Etat à indemniser la commune à hauteur de 17 250 euros correspondant à la moitié du préjudice tenant à l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP, après avoir retenu que la commune, qui avait commis une imprudence fautive, était responsable pour moitié du dommage ; que, par ce même jugement, le tribunal a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise et a rejeté le surplus des conclusions de la commune ; que la commune de Tracy-sur-Loire a relevé appel de ce jugement ; que, par arrêt du 18 septembre 2014, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il avait statué sur les conclusions de la commune dirigées contre la société Esportec, a rejeté ces conclusions comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et a rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de la commune ; que, par décision du 21 octobre 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur pourvoi de la commune de Tracy-sur-Loire, annulé cet arrêt du 18 septembre 2014 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire tendant à la condamnation de la société Merlot TP et de l'Etat et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure ;

Sur les conclusions relatives aux désordres affectant l'ouvrage :

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, que des désordres ont affecté la chaussée et les trottoirs de la place du 8 mai 1945 après la réception, prononcée le 4 novembre 2004, des travaux d'aménagement de cette place prévoyant notamment la réalisation d'un revêtement en stabilisé de type Enverr'paq ; que lors des opérations d'expertise, il a été constaté une forte dégradation du revêtement au niveau du joint de bandes de finisseur, une dégradation du matériau de surface, un affaissement autour d'un luminaire au sol, des fissures de retrait au niveau de la sortie du parking ; que sur les trottoirs, il a été observé une qualité hétérogène du matériau avec des zones se délitant simplement sous la pression du pied ; que l'existence de fissures traversantes, une décohésion de surface, ainsi que la présence de vides au sein de la couche ont été relevées ; que ces désordres s'expliquent par une insuffisante épaisseur du revêtement pour une partie des surfaces traitées et une absence de revêtement pour une partie des trottoirs, par un non-respect de la qualité de compactage du matériau, par un non-respect de la qualité du matériau prévu au cahier des charges notamment quant à sa teneur en eau lors de sa fabrication telle que prévue dans le contrat ;

3. Considérant que la commune de Tracy-sur-Loire soutient que la responsabilité de l'Etat, maître d'oeuvre, et de la société Merlot TP doit être engagée in solidum à raison, pour le premier d'un manquement à son devoir de conseil à l'égard du maître d'ouvrage et, pour la seconde, au titre de la garantie décennale et du dol ;

En ce qui concerne la responsabilité de la société Merlot TP au titre de la garantie décennale :

4. Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon que la forte dégradation du revêtement et les désordres précédemment décrits ont été recensés en différents points de la place aménagée, l'expert relevant " des dégradations sur l'ensemble des surfaces de place du 8 mai 1945 dont le revêtement a été réalisé en stabilisé de type Enverr'paq " ; que les désordres et la dégradation du revêtement décrits au point 2 résultant de la qualité du matériau et des conditions de sa pose, étaient suffisamment importants pour que la solidité de ce revêtement et sa destination à usage de voirie, puissent être regardées comme compromises, bien que la place n'ait cessé d'être utilisée par les véhicules et les piétons ; que, par ailleurs, les désordres en cause n'ont été apparents que postérieurement à la réception définitive de l'ouvrage ; qu'enfin, ces désordres sont imputables à la société Merlot TP qui était chargée de la pose du matériau de revêtement ainsi que de la vérification de sa conformité au cahier des charges ; qu'aucune faute du maître d'ouvrage ne saurait être retenue concernant ces désordres ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen tiré de ce que la responsabilité de la société serait engagée au titre de ces mêmes désordres pour une faute assimilable à un dol, la commune de Tracy-sur-Loire est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a estimé que la responsabilité de la société Merlot TP ne pouvait être engagée sur le fondement de la garantie décennale ;

En ce qui concerne les manquements imputés au maître d'oeuvre au titre de son devoir de conseil :

6. Considérant que la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ; qu'il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier ;

7. Considérant que la commune, qui n'a pas recherché la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la garantie décennale concernant les désordres affectant l'ouvrage, se prévaut seulement de ce que ce dernier, en sa qualité de maître d'oeuvre, a manqué à son devoir de conseil lors des opérations de réception ; que, toutefois, le préjudice subi par le maître de l'ouvrage du fait de manquements du maître d'oeuvre à son devoir de conseil découle de l'absence de réserves l'empêchant de mettre en cause la responsabilité contractuelle des personnes à l'origine de ces désordres et du fait de l'impossibilité de faire jouer la garantie biennale ou décennale, le dommage ne résidant pas dans les désordres eux-mêmes, même si ceux-ci servent à évaluer la réparation du dommage ; que la commune pouvant, en l'espèce et comme il a été dit au point 5, faire jouer la garantie décennale pour obtenir réparation au titre des désordres en cause, les manquements du maître d'oeuvre à son devoir de conseil allégués par la commune ne peuvent être regardés comme lui ayant causé un quelconque préjudice ; que, dans ces conditions, les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant des désordres affectant l'ouvrage sur le fondement d'un manquement à son devoir de conseil doivent être rejetées ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Tracy-sur-Loire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions dirigées contre l'Etat en raison d'une méconnaissance de ses obligations de conseil ;

En ce qui concerne les préjudices :

9. Considérant, en premier lieu, que le montant du préjudice matériel dont le maître de l'ouvrage est fondé à demander réparation à la société Merlot TP afin de remédier aux désordres correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection ; que la commune évalue ce préjudice à la somme de 126 566,62 euros TTC correspondant à l'enlèvement du revêtement existant, à son évacuation et à la fourniture et à la pose d'un enrobé beige ; que, toutefois, comme l'expose la société Merlot TP, si cette solution porte sur une couleur du même type que celle posée, elle porte sur un revêtement de type enrobé au lieu d'un revêtement stabilisé objet du marché et représente une plus-value pour la commune ; qu'en revanche, compte tenu de la date d'apparition des désordres et de la longévité des ouvrages en béton, il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement pour vétusté ; que compte tenu de ces éléments, de la nature des travaux nécessaires pour remédier aux désordres tels que décrits dans le rapport d'expertise, comprenant le décapage du revêtement existant, ainsi que du coût du revêtement du stabilisé beige résultant notamment du bordereau de prix du marché, il sera fait une juste appréciation du coût des travaux permettant de remédier aux désordres affectant l'aménagement de la place en l'évaluant à la somme de 75 000 euros TTC ; que, par suite, il y a lieu de condamner la société Merlot TP à verser cette somme à la commune de Tracy-sur-Loire ;

10. Considérant, en second lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'image de la commune ait été affectée par les désordres en litige ou par le retard résultant de la nécessité d'y remédier pour mettre l'ouvrage dans un état conforme à sa destination, ni, par suite, qu'elle aurait subi de ce fait un préjudice moral ;

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société Merlot TP :

11. Considérant que la société Merlot TP ne peut utilement invoquer le fait qu'elle n'aurait pas été suffisamment contrôlée par le maître d'oeuvre dans le choix et la mise en oeuvre du produit de revêtement pour demander à être garantie par ce dernier alors que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, les dommages affectant le revêtement de la place ont pour origine ses négligences dans le contrôle de la formulation chimique du matériau et lors de la pose du revêtement ; que, par suite, les conclusions d'appel en garantie de la société Merlot TP dirigées contre l'Etat doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de la commune de Tracy-sur-Loire concernant l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP :

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commune de Tracy-sur-Loire, qui compte moins de 1 000 habitants, avait confié à l'Etat la maîtrise d'oeuvre des travaux d'aménagement, faute de disposer des compétences pour assurer la mise en oeuvre et le suivi de l'opération, tant sur le plan juridique que technique ; que, compte tenu de ces circonstances, la commune de Tracy-sur-Loire, qui ne peut être regardée comme ne pouvant ignorer qu'en raison de leur absence du décompte elle ne pourrait plus ensuite réclamer les pénalités de retard à la société Merlot TP, n'a pas commis d'imprudence fautive en ne relevant pas que le décompte général du marché, présenté par le maître d'oeuvre, ne comportait pas de pénalités de retard ; qu'ainsi, et comme le soutient la commune, la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices subis du fait de l'absence de pénalités de retard infligées à la société Merlot TP doit être engagée entièrement et non à hauteur seulement de la moitié des conséquences dommageables de l'erreur sur les pénalités de retard, ainsi que l'ont retenu les premiers juges ; que, par suite, il y a lieu de porter la condamnation prononcée au titre de l'erreur commise sur les pénalités de retard à la somme de 34 500 euros ;

Sur les frais d'expertise :

13. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, taxés et liquidés à la somme de 13 105,89 euros, doivent être mis à la charge de la société Merlot TP à hauteur de 70 % et de l'Etat à hauteur de 30 % et non intégralement à la charge de l'Etat, comme l'a jugé le tribunal ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Merlot TP ainsi que de l'Etat, parties tenues aux dépens, le paiement par chacun d'eux à la commune de Tracy-sur-Loire d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'égard de la société Merlot TP, la somme que celle-ci demande au titre de ses frais non compris dans les dépens ; qu'enfin, la société Esportec n'étant pas partie à la présente instance eu égard au périmètre du litige résultant de la décision de renvoi du Conseil d'Etat du 21 octobre 2015, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de ces même dispositions ne peuvent qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La société Merlot TP est condamnée à verser à la commune de Tracy-sur-Loire une indemnité d'un montant de 75 000 euros TTC.

Article 2 : L'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à la commune de Tracy-sur-Loire par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 janvier 2013 est portée à la somme de 34 500 euros.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 13 105,89 euros TTC, sont mis à la charge définitive de la société Merlot TP à hauteur de 70 % (9 174,12 euros) et de l'Etat à hauteur de 30 % (3 931,77 euros).

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 janvier 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : La société Merlot TP versera à la commune de Tracy-sur-Loire la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : L'Etat versera à la commune de Tracy-sur-Loire la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Tracy-sur-Loire, à la société Merlot TP, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Copie en sera adressée :

- au préfet de la Nièvre ;

- à la société Esportec ;

- à M. B...A..., expert.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2016, à laquelle siégeaient :

M. Boucher, président de chambre,

M. Gille, président-assesseur,

M. Segado, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 novembre 2016.

2

N° 15LY03613

mg


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY03613
Date de la décision : 15/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité décennale - Désordres de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité trentenaire.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Actions en garantie.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Réparation - Préjudice indemnisable - Évaluation.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: M. Juan SEGADO
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SELARL CABINET LECHAT LIANCIER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-11-15;15ly03613 ?
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