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29/04/2014 | FRANCE | N°12LY22974

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 29 avril 2014, 12LY22974


Vu l'ordonnance par laquelle, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de l'affaire à la cour ;

Vu le recours, enregistré le 17 juillet 2012, présenté par le ministre de l'égalité des territoires et du logement ;

Le ministre de l'égalité des territoires et du logement demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1001734 du tribunal administratif de Nîmes du 16 mai 2012 condamnant l'Etat à verser une somme de 81 800 euros à M. A...B...et une

somme de 41 800 euros à la SCI de Serre, outre intérêts, en tant que, par ce juge...

Vu l'ordonnance par laquelle, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de l'affaire à la cour ;

Vu le recours, enregistré le 17 juillet 2012, présenté par le ministre de l'égalité des territoires et du logement ;

Le ministre de l'égalité des territoires et du logement demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1001734 du tribunal administratif de Nîmes du 16 mai 2012 condamnant l'Etat à verser une somme de 81 800 euros à M. A...B...et une somme de 41 800 euros à la SCI de Serre, outre intérêts, en tant que, par ce jugement, le tribunal a procédé, d'une part, à une condamnation de l'Etat au profit de M. B...pour des préjudices postérieurs à la date du 2 décembre 2003, à laquelle celui-ci a obtenu un permis de construire tacite, d'autre part, à une condamnation de l'Etat au profit de la SCI de Serre, alors que celle-ci, qui a été constituée après cette date, ne justifie d'aucun préjudice ;

2°) de rejeter la demande d'indemnisation de M. B...devant le tribunal en tant que celle-ci porte sur la période postérieure à la date du 2 décembre 2003 et de rejeter la demande de condamnation de l'Etat présentée par la SCI de Serre ;

Le ministre de l'égalité des territoires et du logement soutient que :

- les préjudices dont M. B...et la SCI de Serre demandent réparation trouvent leur cause, pour la période postérieure au 2 décembre 2003, à laquelle un permis de construire tacite a été acquis, dans le refus illégal du concessionnaire du réseau de distribution d'électricité de procéder au raccordement du bâtiment, et non dans les décisions illégales du préfet du Gard ;

- en conséquence, le trouble de jouissance, les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral invoqués par M. B...doivent être évalués en tenant compte de la seule période antérieure au 2 décembre 2003 ;

- en outre, les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral invoqués par M. B...ne constituent pas des préjudices distincts du trouble de jouissance dont celui-ci s'est également prévalu ;

- la SCI de Serre ne peut obtenir aucun indemnisation, cette société n'ayant été constituée que le 19 janvier 2004, soit à une date à laquelle la régularisation des travaux était déjà acquise ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 29 novembre 2012, présenté pour M. B...et la SCI de Serre, qui demandent à la cour :

- de rejeter la requête ;

- par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué du 16 mai 2012 en tant que, par ce jugement, le tribunal a limité la condamnation de l'Etat à verser une somme de 81 800 euros à M. B...et une somme de 41 800 euros à la SCI de Serre ;

- de condamner l'Etat à verser une somme supplémentaire de 40 000 euros à M. B... et une somme supplémentaire de 67 200 euros à la SCI de Serre ;

- de condamner l'Etat à leur verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. B...et la SCI de Serre soutiennent que :

- les moyens invoqués par le ministre de l'égalité des territoires et de logement ne sont pas fondés ;

- compte tenu du trouble de jouissance subi par M. B...pendant cinq ans, la condamnation de l'Etat à ce titre doit être portée à la somme de 50 000 euros ;

- le préjudice moral subi par M. B...du fait de l'acharnement du préfet à s'opposer à la régularisation des travaux justifie l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;

- le SCI de Serre justifie d'un préjudice de 67 200 euros, du fait de la perte de revenus subie en raison de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée pendant deux ans de louer une partie de la propriété à M. B...;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 17 janvier 2014, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 février 2014 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2014 :

- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

1. Considérant, d'une part, que M. B...a acquis un terrain supportant les vestiges d'un bâtiment provençal situé sur le territoire de la commune de Montclus (Gard), laquelle est dépourvue de tout document d'urbanisme ; qu'en vue de procéder à la restauration de ce bâtiment, l'intéressé a déposé une déclaration préalable, que le préfet du Gard a déclarée irrecevable par une décision du 16 septembre 1996, au motif que les travaux nécessitaient la délivrance d'un permis de construire ; que, pour régulariser les travaux de restauration ayant néanmoins été réalisés, M. B...a déposé en mars 2001 une demande de permis de construire, à laquelle le préfet a opposé un refus le 6 juillet 2001 ; qu'en janvier 2002, M. B... a alors présenté une deuxième demande de permis, appuyée sur une délibération du conseil municipal de la commune de Montclus du 4 septembre 2000 prise sur le fondement du 4° de l'article L 111-1-2 du code de l'urbanisme, dont les dispositions permettent de réaliser une construction en dehors des parties actuellement urbanisées d'une commune dépourvue de plan d'urbanisme sur délibération motivée du conseil municipal ; que cette demande a de nouveau été rejetée par un arrêté du préfet du Gard du 26 février 2002, retiré et remplacé par un nouvel arrêté de refus du 21 mai 2002 ; que, par plusieurs demandes, M. B...a sollicité du tribunal administratif de Montpellier l'annulation des arrêtés des 6 juillet 2001, 26 février 2002 et 21 mai 2002 ; que, par un jugement du 6 avril 2006 devenu définitif, après avoir joint ces demandes, le tribunal a estimé qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 février 2002, retiré en cours d'instance, a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté du 6 juillet 2001, au motif que le préfet avait compétence liée pour rejeter une demande ne portant que sur une partie seulement des travaux réalisés sans autorisation, et a annulé l'arrêté du 21 mai 2002, le préfet ayant commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser les travaux au regard des règles d'implantation par rapport aux voies, compte tenu de l'intérêt général que présente en l'espèce la dérogation, outre une erreur de fait en estimant que l'eau devant alimenter la construction à partir d'un puits n'était pas potable ; qu'en outre, statuant sur les conclusions aux fins d'injonction présentées par M.B..., le tribunal a reconnu à ce dernier le bénéfice d'un permis de construire tacite, obtenu à la suite d'une troisième demande de permis déposée le 13 août 2003, et, pour cette raison, a rejeté les conclusions tendant à ce que l'administration prenne une nouvelle décision sur la demande de permis présentée en janvier 2002 ; qu'après ce jugement, par un courrier du 19 mai 2004, reçu le 27 mai 2004, M. B...a demandé au préfet de lui délivrer une attestation de permis de construire tacite, en application de l'article R. 421-31 alors en vigueur du code de l'urbanisme ; que le préfet a implicitement rejeté cette demande le 27 juillet 2004 ;

2. Considérant, d'autre part, que M. B...et la S.C.I. de Serre, devenue propriétaire du bâtiment à compter du 1er janvier 2004, ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'Etat à verser, d'une part, une somme de 123 400 euros à M.B..., d'autre part, une somme de 150 900 euros à la SCI de Serre, outre intérêts, en réparation des préjudices liés aux fautes résultant de l'illégalité du refus de permis de construire du 21 mai 2002 et du refus implicite du 27 juillet 2004 de délivrance d'une attestation de permis tacite ; que, par un jugement du 16 mai 2012, le tribunal a condamné l'Etat à verser une somme de 81 800 euros à M. B...et une somme de 41 800 euros à la SCI de Serre, outre intérêts ; que le ministre de l'égalité des territoires et du logement relève appel de ce jugement et demande à la cour de réduire l'indemnisation accordée par le tribunal à M. B...et d'exclure toute indemnisation au profit de la SCI de Serre ; que, par la voie de l'appel incident, les intimés demandent à la cour de condamner l'Etat à verser les sommes supplémentaires de 40 000 euros à M. B...et de 67 200 euros à la SCI de Serre ;

Sur l'appel principal de l'Etat :

3. Considérant, en premier lieu, que le ministre de l'égalité des territoires et du logement ne conteste pas que, comme le tribunal administratif de Nîmes l'a jugé, le refus de permis de construire du 21 mai 2002 et le refus implicite du 27 juillet 2004 de délivrance d'un certificat de permis de construire tacite sont entachés d'illégalité et constituent des fautes susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat ; que le ministre fait toutefois valoir que les préjudices dont M. B...et la SCI de Serre demandent réparation trouvent leur cause, pour la période postérieure au 2 décembre 2003 à laquelle un permis de construire tacite a été acquis, dans le refus illégal du concessionnaire du réseau de distribution d'électricité de procéder au raccordement du bâtiment, et non dans ces décisions illégales du préfet du Gard ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le bâtiment que M. B...a restauré sans autorisation et qu'il a ensuite cherché à régulariser en déposant des demandes de permis de construire devait être alimenté en électricité par la pose d'un générateur et de panneaux photovoltaïques par le Syndicat mixte à cadre départemental d'électricité du Gard ; qu'aux dires non contestés de M. B...et de la SCI de Serre, les travaux ont été entrepris par ce syndicat mixte au cours de l'année 2000 ; qu'en interrompant ces travaux à la suite des refus de permis de construire précités du préfet du Gard, le syndicat mixte n'a fait que se conformer aux dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, qui interdisent le raccordement définitif aux réseaux publics d'une construction non autorisée ; que, même si M. B...est devenu titulaire d'un permis de construire tacite le 2 décembre 2003, conformément à la lettre de notification du délai d'instruction indiquant qu'un tel permis interviendrait à cette date en l'absence de toute décision explicite, il ne résulte pas de l'instruction qu'en s'abstenant de reprendre les travaux nécessaires à l'alimentation électrique du bâtiment au vu de ce seul document, en l'absence par ailleurs de toute attestation certifiant l'obtention d'un permis tacite, dont la délivrance a été implicitement refusée par le préfet le 27 juillet 2004, le syndicat mixte à cadre départemental d'électricité du Gard aurait pris une décision illégale susceptible de rompre le lien de causalité existant entre les décisions fautives du préfet et les préjudices invoqués par M. B...et la SCI de Serre ; que, dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le ministre, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nîmes a estimé que ces décisions sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat pour la période du 21 mai 2002, date du refus illégal de permis de construire, au 6 avril 2006, date du jugement du tribunal reconnaissant l'existence d'un permis de construire tacite ; qu'en conséquence, le ministre n'est pas fondé à soutenir que les préjudices liés à l'absence d'alimentation électrique de la construction doivent être réduits, s'agissant de M.B..., et même complètement exclus, s'agissant de la SCI de Serre, qui n'est devenue propriétaire du bâtiment qu'après l'intervention du permis tacite ;

5. Considérant, en second lieu, que M. B...a invoqué un trouble de jouissance lié aux conditions précaires d'habitation dans un bâtiment dépourvu d'électricité et, en outre, d'alimentation en eau, celle-ci devant être réalisée au moyen d'un puits et d'une pompe électrique ; qu'il s'est également prévalu de troubles dans les conditions d'existence, résultant de la nécessité d'entreprendre de multiples démarches administratives et judiciaires, ainsi que d'un préjudice moral lié à la souffrance ressentie à la suite des difficultés rencontrées pour mener à bien son projet de restauration d'un bâtiment typique de l'architecture locale ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre de l'égalité des territoires et du logement, les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral invoqués par M. B...constituent des préjudices distincts du préjudice résultant du trouble de jouissance ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'égalité des territoires et du logement n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a condamné l'Etat à verser une somme de 81 800 euros à M. B...et une somme de 41 800 euros à la SCI de Serre, outre intérêts ;

Sur l'appel incident de M. B...et de la SCI de Serre :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en octroyant à M. B...une indemnité de 25 000 euros pour réparer le préjudice résultant du trouble de jouissance subi en raison de l'habitation, durant la période précitée du 21 mai 2002 au 6 avril 2006, d'une construction dépourvue de toute alimentation en eau et électricité, le tribunal administratif de Nîmes aurait procédé à une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que, de même, en évaluant à la somme de 5 000 euros le préjudice moral subi par M. B...en raison des difficultés rencontrées par celui-ci pour mener à bien son projet de réhabilitation d'un bâtiment typique de l'architecture provençale, le tribunal n'a pas procédé à une appréciation erronée des faits de l'espèce ;

9. Considérant, en troisième et dernier lieu, que la SCI de Serre est devenue propriétaire de la construction réhabilitée par M. B...à compter du 1er janvier 2004, par apport de ce dernier à cette société, dont il est le gérant ; qu'à cette date, cette dernière ne pouvait légitimement ignorer que, même si un permis tacite avait été obtenu peu de temps précédemment, le 2 décembre 2003, cette construction serait dans l'immédiat impossible à louer, étant dépourvue de toute alimentation en eau et électricité, et ce au moins encore pendant un certain temps, compte tenu notamment de la nécessité de réaliser des travaux pour assurer l'alimentation en électricité par le Syndicat mixte à cadre départemental d'électricité du Gard ; que, par ailleurs, les intimés ne contestent pas que la période d'indemnisation doit s'arrêter au 6 avril 2006 ; que, dans ces conditions, ils ne peuvent soutenir que la SCI de Serre a subi un préjudice en raison de l'impossibilité dans laquelle celle-ci s'est trouvée de louer une partie de la construction à M. B...;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'appel incident de M. B...et la SCI de Serre doit être rejeté ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme au profit de M. B...et la SCI de Serre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de l'égalité des territoires et du logement est rejeté.

Article 2 : L'appel incident de M. B...et la SCI de Serre ainsi que les conclusions de ces derniers tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du logement et de l'égalité des territoires, à M. A...B...et à la SCI de Serre.

Délibéré à l'issue de l'audience du 8 avril 2014, à laquelle siégeaient :

M. Riquin, président,

M. Picard, président-assesseur,

M. Chenevey, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 avril 2014.

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N° 12LY22974

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12LY22974
Date de la décision : 29/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03-06 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. RIQUIN
Rapporteur ?: M. Jean-Pascal CHENEVEY
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SCP LACOURTE et BALAS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2014-04-29;12ly22974 ?
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