Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille :
- d'annuler l'arrêté du 18 février 2023 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé son expulsion du territoire ;
- d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2306727 du 7 mai 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 18 février 2023 et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Navy sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 juin 2024, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- la procédure suivie pour l'expulsion de M. A... est régulière ;
- M. A... répond aux conditions pour être expulsé, notamment en raison de sa condamnation à une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans ;
- ses liens personnels et familiaux en France ne suffisent pas à faire regarder l'expulsion comme disproportionnée aux buts poursuivis, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2025, M. B... A..., représenté par Me Sanjay Navy, demande à la cour :
- de rejeter la requête ;
- d'annuler l'arrêté du 18 février 2023 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé son expulsion du territoire ;
- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L.631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- sa situation personnelle n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux et complet ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par une ordonnance du 3 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 24 mars 2025.
Par une lettre du 6 juin 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence du préfet pour prendre l'arrêté d'expulsion du 18 février 2023 en application des dispositions de l'article R.632-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2025 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 20 décembre 1994, de nationalité marocaine, déclare être entré en France le 9 août 2004 à l'âge de neuf ans. Par un arrêté du 18 février 2023, le préfet du Pas-de-Calais a prononcé à son encontre une mesure d'expulsion du territoire français pour menace grave et persistante à l'ordre public. Saisi par M. A..., le tribunal administratif de Lille a, par un jugement du 7 mai 2024, annulé cet arrêté pour vice de procédure et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Navy sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la présente requête, le préfet du Pas-de-Calais interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation accueilli par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'expulsion ne peut être édictée que dans les conditions suivantes :1° L'étranger est préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : /a) du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; /b) d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ; c) d'un conseiller de tribunal administratif. (...) ". Aux termes de l'article L. 632-2 du même code : " La convocation mentionnée au 2° de l'article L. 632-1 est remise à l'étranger quinze jours au moins avant la réunion de la commission. Elle précise que l'intéressé a le droit d'être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et d'être entendu avec un interprète. (...) ". Aux termes de l'article R. 632-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'étranger à l'encontre duquel une procédure d'expulsion est engagée en est avisé au moyen d'un bulletin de notification. Le bulletin de notification vaut convocation devant la commission d'expulsion mentionnée au 2° de l'article L. 632-2. ". Aux termes de l'article R. 632-4 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Le bulletin de notification mentionné à l'article R. 632-3 : / 1° Avise l'étranger qu'une procédure d'expulsion est engagée à son encontre et énonce les faits motivant cette procédure ; 2° Indique la date, l'heure et le lieu de la réunion de la commission d'expulsion à laquelle il est convoqué ; (...) ". Aux termes de l'article R. 632-5 du même code : " La notification du bulletin mentionné à l'article R. 632-3 est effectuée par le préfet du département où est située la résidence de l'étranger ou, si ce dernier est détenu dans un établissement pénitentiaire, du préfet du département où est situé cet établissement. (...) / Le bulletin de notification est remis à l'étranger, quinze jours au moins avant la date prévue pour la réunion de la commission d'expulsion soit par un fonctionnaire de police, soit par le greffier de l'établissement pénitentiaire. L'étranger donne décharge de cette remise. / Si la remise à l'étranger lui-même n'a pu être effectuée, la convocation est envoyée à sa résidence par lettre recommandée avec demande d'avis de réception confirmée, le même jour, par lettre simple. /Si l'étranger a changé de résidence sans en informer l'administration comme l'article R. 431-23 lui en fait obligation, la notification est faite à la dernière résidence connue par lettre recommandée dans les conditions indiquées au troisième alinéa. ".
3. En premier lieu, il ressort du procès-verbal de la commission d'expulsion du 13 février 2023, produit pour la première fois en appel, que la commission appelée à rendre son avis sur la situation de M B... A... était composée de la présidente du tribunal judiciaire d'Arras, de la juge des libertés et de la détention affectée au sein de ce tribunal et d'un conseiller au tribunal administratif de Lille. La composition de cette commission étant conforme aux prescriptions de l'article L.632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de l'absence de justification de la régularité de la composition de la commission d'expulsion doit être écarté comme manquant en fait.
4. En second lieu, il ressort des pièces de la procédure d'expulsion versées pour la première fois en appel par le préfet que M. A... a été informé, par une lettre du 16 janvier 2023 notifiée le 17 janvier 2023, de ce qu'une procédure d'expulsion était engagée à son encontre et motivée par la gravité des faits pour lesquels il avait été condamné sur le territoire français, à savoir sa condamnation le 5 décembre 2017 par la cour d'assises de l'Oise à une peine de onze ans de réclusion criminelle pour des faits de viol, tentative de viol, vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas huit jours et agression sexuelle. Cette lettre l'avisait de sa convocation le 13 février 2023 à 13 heures au tribunal judiciaire d'Arras en vue de la réunion de la commission d'expulsion et l'informait de l'ensemble de ses droits, et notamment de celui de se faire assister par un conseil. Sa convocation étant conforme aux dispositions rappelées au point 2 du présent arrêt, le moyen tiré de l'absence de justification de la régularité de la convocation de M. A... à la commission d'expulsion doit être écarté comme manquant en fait.
5. Il suit de là que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a retenu le moyen tiré du vice de procédure pour annuler son arrêté du 18 février 2023 ordonnant l'expulsion de M. A....
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens dirigés contre l'arrêté du 18 février 2023.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté :
7. D'une part, aux termes de l'article L.631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Aux termes de l'article L.631-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : /1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) /La circonstance qu'un étranger mentionné aux 1° à 5° a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ne fait pas obstacle à ce qu'il bénéficie des dispositions du présent article. ".
8. D'autre part, aux termes de l'article R.632-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3 ainsi qu'en cas d'urgence absolue est le ministre de l'intérieur. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été scolarisé en France entre 2004 et 2011 et qu'il a été muni d'une carte de résident d'une durée de dix ans le 5 septembre 2013, ce qui atteste du caractère habituel de sa résidence depuis 2004 et notamment depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. Il bénéficiait ainsi de la protection particulière prévue au 1° de l'article L.631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de sorte, qu'en application de l'article R.632-2 du même code, seul le ministre de l'intérieur était compétent pour prononcer son expulsion. Dès lors, l'arrêté du 18 février 2023 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé l'expulsion du territoire de M. A... est entaché d'un vice de compétence et doit être annulé, ce dont les parties ont été informées par une lettre du 5 juin 2025.
10. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués par M. A..., le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement du 7 mai 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 18 février 2023 et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Navy sur le fondement des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les frais liés à l'instance d'appel :
11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Navy, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Navy la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Sanjay Navy et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 11 juin 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA01111 2