Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme F... et B... E... ont demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, ainsi que des pénalités correspondantes et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2106660 du 4 juillet 2024, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2024, et un mémoire, enregistré le 6 février 2025, M. et Mme E..., représentés par Me Virginie Stienne-Duwez, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que l'administration a estimé non probante la comptabilité de la SARL JCBA pour l'exercice clos en 2014 dès lors que l'absence de justification du détail des recettes pour la période du 1er janvier 2014 au 13 avril 2014 est due à un changement de caisse le 14 avril 2014 et que l'absence d'inventaire des stocks à l'ouverture de l'exercice 2014 est due à un changement de cabinet comptable à partir de l'exercice 2015 ;
- c'est à tort que l'administration a estimé non sincère la comptabilité de la SARL JCBA pour l'exercice clos en 2015 dès lors que le taux de pertes et d'offerts pris en compte par l'administration pour estimer les quantités disponibles des boissons à la vente ne correspond pas à la réalité et que compte tenu de l'insuffisance du stock de pétillant blanc de blanc, elle a servi du champagne au titre de ces ventes ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL JCBA est viciée dès lors que l'administration n'a pas tenu compte de l'existence d'un service limonade qui est exclu du chiffre d'affaires du restaurant, ni de l'existence de menus " boissons incluses " pour la reconstitution du chiffre d'affaires des liquides et que le ratio chiffre d'affaires liquides sur chiffre d'affaires total utilisé par l'administration aurait dû être de 26,72 % pour l'exercice 2014 et de 27,52 % pour l'exercice 2015 ;
- M. E... n'était pas le maître de l'affaire pour l'exercice 2014 dès lors qu'il ne détenait que 33 % du capital pour la période du 1er janvier au 7 avril 2014, les deux autres tiers étant détenus par M. et Mme D... jusqu'à la cession de leurs parts le 7 avril 2014 et dès lors que Mme D... était co-gérante sur cette même période ;
- il n'était pas le maître de l'affaire pour l'exercice 2015 dès lors qu'il n'était pas le seul à manipuler des espèces au sein de la société qui comptait des salariés ;
- en l'absence de présomption d'appréhension des revenus distribués résultant de la reconstitution des bénéfices de la société, l'administration n'apporte pas la preuve de cette appréhension ;
- la qualité de maître de l'affaire est en tout état de cause sans incidence pour l'imposition fondée sur le 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts de sorte qu'ils doivent être à tout le moins déchargés, en base, à hauteur de la somme de 11 423 euros ;
- la décharge des pénalités doit être prononcée en conséquence de la décharge des impositions en litige.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 décembre 2024 et 7 février 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) JCBA, dont la gérance est assurée par M. E..., exploite un restaurant sous l'enseigne " L'auberge du cheval blanc " à Bailleul. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période s'étendant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration a, par une proposition de rectification du 7 septembre 2017, rejeté la comptabilité présentée par la SARL JCBA pour les exercices clos en 2014 et 2015, procédé à la reconstitution des recettes et informé la société des rappels de TVA et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qu'elle envisageait de mettre à sa charge au titre de ces deux exercices.
2. Par une proposition de rectification du même jour, l'administration a, en conséquence, assujetti M. et Mme E..., sur le fondement des dispositions du 1° et du 2° de l'article 109 du code général des impôts, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, à raison des revenus distribués par la SARL JCBA au titre des années 2014 et 2015, qui ont été assorties de la majoration pour manquement délibéré.
3. En l'absence de décision prise par l'administration sur leur réclamation, M. et Mme E... ont porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en lui demandant de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015 et des pénalités correspondantes. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 4 juillet 2024 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Sur les conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne l'existence de revenus distribués :
S'agissant du rejet de la comptabilité de la société :
Quant à l'année 2014 :
4. Pour rejeter la comptabilité présentée par la SARL JCBA au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014, l'administration a estimé qu'en l'absence de justificatifs du détail des recettes pour la période du 1er janvier au 13 avril 2014 et de présentation de l'inventaire des stocks à l'ouverture de l'exercice 2014, la comptabilité était irrégulière et ne présentait pas de caractère probant.
5. M. et Mme E... font valoir que l'absence de justificatifs du détail des recettes pour la période du 1er janvier au 13 avril 2014 est due à la défectuosité du matériel de caisse qui a été changé le 14 avril 2014 et que l'absence de présentation de l'inventaire des stocks à l'ouverture de l'exercice 2014 est due au changement de comptable à compter de l'exercice 2015.
6. Toutefois, de telles circonstances, au demeurant non établies, ne sauraient justifier ni l'absence totale de pièces permettant d'établir le détail des recettes pour une période d'activité de trois mois et demi, ni l'absence de production de l'inventaire des stocks à l'ouverture de l'exercice 2014.
7. Dans ces conditions, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que l'administration ne pouvait pas regarder la comptabilité qui lui était présentée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014 comme non probante.
Quant à l'année 2015 :
8. Pour écarter la comptabilité présentée par la SARL JCBA au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015, l'administration a d'abord relevé, dans le dernier état de son analyse, que cette comptabilité n'était pas sincère dès lors que pour différentes boissons la confrontation des factures fournisseurs et des inventaires de stocks d'une part et de l'état des ventes d'autre part révélait l'existence d'un grand nombre d'articles manquants par rapport aux articles qui étaient disponibles à la vente.
9. Le service a ensuite relevé que l'état des ventes mentionnait, pour le pétillant blanc de blanc, 142 bouteilles utilisées alors que le total des articles disponibles à la vente résultant des factures fournisseurs corrigé de la variation des stocks faisait apparaître un nombre de 63 bouteilles et il a estimé que cette discordance révélait soit des achats non comptabilisés soit une erreur de comptabilisation des stocks.
10. Pour contester ces éléments, M. et Mme E... font valoir, d'une part, que le taux de pertes et d'offerts pris en compte par l'administration à hauteur de 5 et 12,5 % pour estimer les quantités de boissons vendues ne correspondait pas à la réalité et aurait dû être de 20 % et que, d'autre part, compte tenu de l'insuffisance du stock de pétillant blanc de blanc, elle a servi du champagne au titre de ces ventes.
11. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du compte rendu de l'entretien du 15 mai 2017 adressé à la SARL JCBA le 19 mai suivant, que le vérificateur et le gérant de la SARL JCBA sont convenus d'un taux de pertes de 12,5 % sur la bière pression et de 5 % sur les autres boissons. M. et Mme E... n'établissent pas qu'un taux de 20 % correspondait davantage à la réalité de l'activité de la société.
12. D'autre part, M. et Mme E... n'apportent aucun élément de preuve permettant de démontrer que du champagne a été servi en vendant du pétillant blanc de blanc.
13. Dans ces conditions, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que l'administration ne pouvait pas regarder la comptabilité qui lui était présentée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 comme non sincère.
S'agissant de la reconstitution du chiffre d'affaires :
14. Pour reconstituer le chiffre d'affaires total de la SARL JCBA pour les exercices 2014 et 2015, l'administration a procédé à la reconstitution des recettes " liquides " en appliquant aux volumes des boissons achetées, après déduction d'un taux de pertes et d'offerts et des quantités intégrées à la préparation des plats, les prix de vente pratiqués, puis a fait application d'un ratio recettes liquides / recettes totales issu des états statistiques mensuels et établi au taux de 25,61 % pour l'exercice 2014 et au taux de 26,32 % pour l'exercice 2015 afin de reconstituer le chiffre d'affaires global.
15. Pour contester la méthode de reconstitution, M. et Mme E..., d'une part, reprochent à l'administration d'avoir tenu compte du service limonade dans le chiffre d'affaires global du restaurant et de ne pas avoir déduit, pour la reconstitution du chiffre d'affaires des liquides, les boissons vendues dans les menus " boissons incluses " qui s'élèvent au nombre de 356 en 2014 et de 656 en 2015 et, d'autre part, soutiennent que le ratio chiffre d'affaires liquides sur chiffre d'affaires total utilisé par l'administration aurait dû être de 26,72 % pour l'exercice 2014 et de 27,52 % pour l'exercice 2015.
16. Toutefois, M. et Mme E... n'ont apporté aucun élément permettant de démontrer que la SARL JCBA assurait un service limonade, ni qu'elle a vendu ou même proposé des menus " boissons incluses " en dehors des menus enfants dont il n'est pas contesté qu'ils ont été pris en compte par l'administration dans le cadre de la reconstitution des recettes liquides.
17. De même, M. et Mme E... n'ont apporté aucun élément de preuve susceptible d'étayer les taux qu'ils avancent concernant le ratio recettes liquides / recettes totales.
18. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... n'établissent pas que la méthode de reconstitution retenue par l'administration serait radicalement viciée ou excessivement sommaire et qu'elle aboutirait donc à un résultat exagéré.
En ce qui concerne l'appréhension de revenus distribués :
Quant à l'application de l'article 109-1-1° du code général des impôts :
19. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ".
20. D'une part, ces revenus sont présumés distribués à la date de clôture de l'exercice au terme duquel leur existence a été constatée, sauf si le contribuable ou l'administration apportent des éléments de nature à établir que la distribution a été, en fait, soit postérieure, soit antérieure à cette date.
21. D'autre part, pour l'application du 1° de l'article 109 du code général des impôts, il incombe, en principe, à l'administration d'apporter la preuve que le contribuable a effectivement disposé des sommes regardées par elle comme distribuées par une société.
22. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.
23. Pour retenir que M. E... devait être regardé comme le seul maître de l'affaire et avait, à ce titre, appréhendé les distributions effectuées par la SARL JCBA au titre des exercices 2014 et 2015, l'administration s'est fondée sur les circonstances que celui-ci, au cours des années en litige, détenait à lui seul 100 % du capital social, un tiers directement et deux tiers par l'intermédiaire d'une SARL dont il détenait les parts conjointement avec son épouse, qu'il disposait statutairement des pouvoirs de gestion de la société dont il était le gérant, qu'il détenait seul la signature bancaire du compte professionnel et qu'il était l'interlocuteur privilégié auprès des clients, des fournisseurs et des salariés de la société.
24. Pour contester la qualité de maître de l'affaire de l'intéressé en 2014, M. et Mme E... font valoir qu'il ne détenait que 33 % du capital pour la période du 1er janvier au 7 avril 2014, les deux autres tiers étant détenus par M. et Mme D... jusqu'à la cession de leurs parts le 7 avril 2014.
25. Toutefois, M. et Mme E..., qui n'apportent aucun élément de nature à établir que la distribution des revenus a été antérieure à la date de clôture de l'exercice 2014, ne contestent pas utilement, en se bornant à invoquer cette seule circonstance, les constats opérés par l'administration qui doivent être regardés comme établissant que M. E... était le seul maître de l'affaire à la date de clôture de l'exercice 2014.
26. Pour contester la qualité de maître de l'affaire de M. E... en 2015, les requérants font valoir que les salariés de la société étaient habilités à manipuler les espèces.
27. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause la circonstance que M. E... détenait seul la signature bancaire du compte professionnel.
28. Dans ces conditions, M. et Mme E... ne contestent pas utilement le bien-fondé des constats opérés par l'administration qui doivent être regardés comme établissant que M. E... était le seul maître de l'affaire à la date de clôture de l'exercice 2015.
Quant à l'application de l'article 109-1-2° du code général des impôts :
29. Si M. et Mme E... persistent à contester l'imposition, sur le fondement de cet article, de la somme de 11 423 euros au titre de l'année 2015, ce rehaussement a fait l'objet d'un dégrèvement en première instance comme le point 2 du jugement du tribunal l'a relevé.
En ce qui concerne les pénalités :
30. Compte tenu de ce qui a été dit, A... et Mme E... ne sont pas fondés à demander la décharge des pénalités en conséquence de la décharge des impositions en litige.
31. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins de décharge, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme F... et B... E... et à la ministre chargée des comptes publics.
Copie en sera adressée à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 5 juin 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : A. Minet Le président de chambre,
Signé : M. C...
La greffière,
Signé : S. Cardot
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Sophie Cardot
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N°24DA01842