Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2308201 du 11 décembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 avril 2024 et des mémoires complémentaires et de production de pièces enregistrés le 22 mai 2024, le 29 novembre 2024, le 24 février 2025 et le 18 mars 2025, M. A... B..., représenté par Me Marion Vergnole, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du 15 septembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et fixant le pays de destination ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocate d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée car elle ne mentionne pas sa qualité de parent d'enfant français et sa contribution à l'éducation et à l'entretien de ses cinq enfants ;
- elle méconnaît l'article L.611-3 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où il est père d'un enfant français et contribue à l'éducation et à l'entretien de ses cinq enfants ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où il vit en France depuis plus de vingt ans et n'a aucun lien avec le Monténégro qui ne le reconnaît pas comme un de ses ressortissants ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, alors qu'il est très présent pour ses filles ;
- sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L.612-2 et L.612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'il présente des garanties de représentation en France.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation alors qu'il n'est pas légalement réadmissible au Monténégro.
Par des mémoires de production de pièces et un mémoire en défense, enregistrés le 24 mai 2024, le 7 février 2025 et le 26 février 2025, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 mars 2025.
M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- et les observations de Me Marion Vergnole, représentant Me B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., qui déclare être né le 3 mai 1990 à Berane (Montenegro), a fait l'objet le 15 septembre 2023 d'un arrêté du préfet du Nord portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par la présente requête, il demande l'annulation du jugement du 11 décembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions attaquées :
2. Aux termes des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, les mesures de police doivent être " motivées " et " comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui [en] constituent le fondement ".
3. En l'espèce, les décisions attaquées mentionnent avec une précision suffisante les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles sont fondées. D'une part, l'arrêté vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et plusieurs dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. D'autre part, le préfet du Nord, qui n'avait pas à mentionner l'ensemble des circonstances de fait de l'espèce, a notamment examiné la régularité et la durée de la présence en France de l'intéressé, ses liens personnels et familiaux sur le territoire ainsi que l'existence d'un risque pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine ou dans un pays dans lequel il est légalement réadmissible. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, eu égard à la motivation retenue par le préfet pour obliger M. B... à quitter le territoire français, le défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle n'est pas établi.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... justifie de sa présence en France entre mars 2006 et mai 2009 en produisant des attestations de domiciliation et d'hébergement de ses parents et de sa fratrie émanant de trois associations. Il établit avoir été présent en France pour déclarer ses filles nées en 2010, 2011, 2013 et 2015. Hormis une attestation de domiciliation postale auprès d'une association entre mars et mai 2012, il ne justifie pas de la continuité de sa présence en France avant novembre 2018, date à laquelle il a été emprisonné au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin et a travaillé au sein de l'établissement de novembre 2018 à mars 2020. Il produit ensuite des attestations d'hébergement par une association entre mai 2020 et mai 2023, puis une attestation d'hébergement par sa mère et sa sœur, établie le 27 décembre 2023 postérieurement à la décision attaquée.
7. D'autre part, il ressort de ses propres déclarations qu'il est séparé de sa compagne qui a la garde des quatre enfants qu'il établit avoir eus avec elle. Il ne produit en revanche aucune justification probante au sujet de sa cinquième fille qui serait élevée par sa mère et sa sœur. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que sa fille née en 2011 a été scolarisée en 2019-2020, sa fille née en 2013 l'a été entre 2021 et 2023 et sa fille née en 2015 entre 2019 et 2023. S'il affirme voir régulièrement ses filles après les cours et en fin de semaine et contribuer à leur entretien et à leur éducation, il se borne à fournir à l'appui de cette allégation un certificat médical établi le 5 décembre 2023, postérieurement à la décision attaquée, selon lequel il accompagne parfois ses enfants en consultation, ainsi qu'une attestation d'un tiers indiquant qu'il est un bon père de famille, une attestation non datée de sa mère et de sa sœur selon laquelle il s'occupe de ses filles et une facture d'achat du 28 octobre 2024 d'articles de sport au profit de sa fille française née en 2010. Enfin, M. B..., qui a indiqué lors de son audition par les services de police le 15 septembre 2023 ne pas avoir d'activité professionnelle mais " travaille[r] la ferraille de temps en temps au noir ", ne démontre pas une insertion sociale ou professionnelle notable en France.
8. Dès lors, compte tenu de ces circonstances, la décision attaquée ne saurait être regardée comme portant au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B... une atteinte disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise et comme méconnaissant l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relatives aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle doivent être écartés.
9. En troisième lieu, M. B... ne peut pas se prévaloir utilement des stipulations de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : /(...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...). ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. /Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur. ".
11. Il ressort des pièces du dossier que la fille du requérant née en 2010 et âgée de treize ans à la date de la décision attaquée dispose de la nationalité française. Toutefois, comme il a été dit au point 9 du présent arrêt, M. B... ne démontre pas qu'il contribuerait à son entretien et à son éducation depuis sa naissance ou depuis au moins deux ans à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à se prévaloir de la méconnaissance des dispositions du 5° de l'article L.611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai.
En ce qui concerne la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
13. M. B... est irrecevable à présenter pour la première fois en appel des conclusions à l'encontre de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
14. En tout état de cause, en premier lieu, l'ensemble des moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, M. B... n'est pas fondé à en invoquer, par voie d'exception, l'illégalité à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
15. En deuxième lieu, aux termes de l'article L.612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : /1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; /2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; /3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L.612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : /1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".
16. Si M. B... fait valoir qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente décision d'éloignement et qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, le préfet a pu légalement estimer, au vu de sa situation irrégulière en France, de sa volonté de se maintenir sur le territoire, de son absence de document d'identité et de l'absence de justification de son lieu de domicile à la date de la décision attaquée, qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement, justifiant qu'un délai de départ volontaire ne lui soit pas accordé. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L.612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté comme non fondé.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
18. En premier lieu, l'ensemble des moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, M. B... n'est pas fondé à en invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la mesure d'éloignement à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
19. En deuxième lieu, si M. B... produit un certificat du 11 juillet 2022 de l'unité régionale des affaires administratives, de la citoyenneté et des étrangers de Berane rattaché au ministère des affaires intérieures selon lequel il n'est pas inscrit dans le registre des citoyens du Montenegro tenu par la municipalité de Berane, ce document ne suffit pas à établir que le Montenegro ne le reconnaît pas comme un de ses ressortissants. Au demeurant, la décision fixant le pays de destination indique " son pays d'origine " ou " tout autre pays dans lequel il serait légalement réadmissible ".
20. En troisième lieu, eu égard à l'alternative prescrite pour le pays de destination de la mesure d'éloignement et à la motivation retenue par le préfet selon laquelle M. B... n'établit pas être exposé à des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans son pays d'origine ou dans tout autre pays dans lequel il serait légalement réadmissible, le défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle n'est pas établi.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision fixant de pays de destination de la mesure d'éloignement.
22. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 11 décembre 2023 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2023.
Sur les frais liés au litige :
23. Partie perdante à la présente instance, M. B... ne peut voir accueillies ses conclusions en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Marion Vergnole et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera en outre adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 28 mai 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
N°24DA00727 2