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05/06/2025 | FRANCE | N°24DA02463

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 05 juin 2025, 24DA02463


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 mars 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un mois.



Par un jugement n° 240292

6 du 26 novembre 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de dél...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 mars 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un mois.

Par un jugement n° 2402926 du 26 novembre 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à M. C... et a condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2024 sous le n° 24DA02463, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. C... devant le tribunal administratif.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que son arrêté méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2025, M. C..., représenté par Me Cécile Madeline, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation de l'arrêté du 28 mars 2024 ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen d'annulation retenu par le tribunal est fondé dès lors qu'il vit depuis plus de sept ans en France où il a suivi un cursus scolaire sérieux, qu'il dispose d'une promesse d'embauche et qu'il dispose de nombreuses attaches familiales et amicales sur le territoire français ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivé ;

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît l'autorité de chose jugée par le tribunal par son jugement du 31 octobre 2023 ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

II - Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2024 sous le n° 24DA02465, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.

Il présente le même moyen que dans sa requête n° 24DA02465.

La requête a été communiquée à M. C... qui n'a pas produit de mémoire.

M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai du 29 janvier 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant tunisien né le 5 août 2000, est entré en France le 23 février 2017 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 28 décembre 2023, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 28 mars 2024, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui accorder le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un mois.

2. A la demande de M. C..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté par un jugement du 26 novembre 2024, a enjoint au préfet de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais de justice. Par deux requêtes distinctes, qu'il y a lieu de joindre, le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement et demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".

4. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 28 mars 2024, le tribunal administratif de Rouen a retenu qu'en refusant de délivrer un titre de séjour à M. C..., le préfet de la Seine-Maritime avait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Toutefois, en premier lieu, il ressort des pièces du dossier que si M. C... est entré régulièrement en France le 23 février 2017 à l'âge de seize ans, il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français depuis l'expiration de son visa le 17 avril 2017 en dépit de mesures d'éloignement en 2021 et 2022 validées par le tribunal administratif et par la cour.

6. En deuxième lieu, si M. C..., célibataire et sans enfant, se prévaut de la présence en France de plusieurs membres de sa famille, dont sa sœur et son beau-frère qui l'ont accueilli lors de son entrée en France alors qu'il était mineur, il n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine où vivent ses parents qui ont bénéficié de visas touristiques pour se rendre en France.

7. Enfin, si M. C... fait valoir qu'il était inscrit dans un établissement scolaire en vue de la préparation d'un brevet de technicien supérieur de support à l'action managériale au cours de l'année 2023-2024, diplôme qu'il a obtenu en juillet 2024 postérieurement à l'arrêté attaqué, et qu'il disposait d'une promesse d'embauche de la part de l'entreprise où il a effectué ses stages, il ne démontre, ni même n'allègue qu'il ne pourrait pas exercer une activité professionnelle en adéquation avec sa formation dans son pays d'origine.

8. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. C... a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.

Sur le moyen commun aux décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :

10. Les décisions attaquées comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de leur insuffisante motivation doit être écarté.

Sur la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 et de celles de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. C... doivent être écartés.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision attaquée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

13. En deuxième lieu, l'annulation pour excès de pouvoir d'une mesure d'éloignement, quel que soit le motif de cette annulation, n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour mais impose au préfet de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer sur son droit à un titre de séjour. Si, au terme de ce nouvel examen de la situation de l'étranger, le préfet refuse de délivrer un titre de séjour, il peut, sans méconnaître l'autorité de chose jugée s'attachant au jugement d'annulation, assortir ce refus d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. S'il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 31 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé un arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 26 octobre 2023 portant, à l'encontre de M. C..., obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour en France pendant un an au motif qu'il méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français a été prise après que le préfet de la Seine-Maritime, ainsi qu'il y était tenu, s'est prononcé sur le droit au séjour de M. C... sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 31 octobre 2023 doit être écarté.

15. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. C... doivent être écartés.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision attaquée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire.

17. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur la situation personnelle de M. C... doit être écarté.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un mois :

18. En premier lieu, la décision attaquée, qui cite les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est fondée sur les conditions d'entrée et de séjour de M. C... sur le territoire français et sur sa situation privée et familiale en France. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

19. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision attaquée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire.

20. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".

21. Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

22. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est maintenu irrégulièrement en France depuis l'expiration de son visa le 17 avril 2017 et qu'il a fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement auxquelles il n'a pas déféré. Par ailleurs, il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où vivent ses parents.

23. Dans ces conditions, le préfet n'a pas méconnu les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant une interdiction de retour en France d'un mois.

24. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 28 mars 2024.

26. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'annulation et à fin d'injonction présentées par M. C..., ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour doivent être rejetées.

27. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 26 novembre 2024, les conclusions de la requête n° 24DA02465 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet. Il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2402926 du 26 novembre 2024 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. C... devant le tribunal et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 24DA02465.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Cécile Madeline.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 22 mai 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président assesseur,

- Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : A. Minet Le président de chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth HELENIAK

2

N°24DA02463, 24DA02465


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA02463
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Alice Minet
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;24da02463 ?
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