Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :
- de condamner le département du Nord à lui verser une somme de 200 000 euros et à lui rétrocéder un terrain en raison des préjudices subis du fait de l'emprise irrégulière constituée par l'empiètement d'un silo à sel de déneigement sur la parcelle cadastrée B 83 située 98, route de Mons à Mairieux (59600), ainsi que de l'enclavement de la parcelle cadastrée B77 dont il est l'exploitant.
- d'enjoindre au département du Nord de déplacer ce silo hors de sa propriété.
Par un jugement n°1909647 du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 4 août 2023, le 11 décembre 2023 et le 23 mai 2024, M. B..., représenté par Me Stéphanie Calot-Foutry, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 12 mai 2023 ;
2°) de désigner avant dire-droit un expert judiciaire afin de procéder à la délimitation de la propriété du département du Nord ;
3°) de condamner le département du Nord à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des dommages causés à sa propriété ;
4°) d'enjoindre, sous astreinte, au département du Nord de remettre en état le chemin de desserte de la parcelle cadastrée B 77.
Il soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'il a sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans le délai d'appel et que sa requête d'appel a été par la suite régularisée dans ce délai ;
- il est nécessaire de délimiter la propriété du département du Nord préalablement à la détermination de son éventuelle emprise irrégulière ; il y a donc lieu de désigner avant dire-droit un expert à cette fin ;
- la responsabilité sans faute du département du Nord est engagée en raison des préjudices causés par le silo à sel à ses immeubles et aux sols ;
- le département du Nord n'a pas bâché ce silo, en méconnaissance du code de l'environnement ;
- il sera fait une juste appréciation des préjudices qui lui ont été causés par ce silo en les fixant à la somme de 20 000 euros ;
- le département du Nord s'est approprié le chemin qui permettait d'accéder à la parcelle cadastrée B 77, qui se trouve ainsi enclavée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2024, le département du Nord, représenté par Me Justine Orier, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de M. B... ;
2°) de confirmer le jugement du 12 mai 2023 ;
3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'appel de M. B... est irrecevable dès lors qu'il a été présenté sans ministère d'avocat, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 431-11 du code de justice administrative ;
- en tout état de cause, aucun empiètement sur sa propriété n'est établi par l'appelant, alors que les plans cadastraux produits en défense démontrent son inexistence ;
- M. B... n'apporte aucune preuve de l'existence des dommages dont il entend obtenir réparation, non plus que du lien de cause à effet entre ces dommages et l'ouvrage public que constitue le silo à sel ;
- seul le juge judiciaire est compétent pour statuer sur l'établissement, l'exercice et les conséquences d'une servitude de droit privé, si bien que la demande de M. B... s'analysant comme une demande d'instauration d'une telle servitude est irrecevable pour incompétence de la juridiction administrative ;
- en tout état de cause, l'appelant ne démontre pas que la parcelle B 77 soit enclavée ; le refus de lui accorder une telle servitude est par ailleurs justifié pour des raisons de sécurité, ainsi qu'il a été indiqué à M. B... le 1er octobre 2019 ; enfin, il ne peut être fait droit à cette demande compte tenu du principe d'inaliénabilité du domaine public.
Par un courrier en date du 27 mars 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au département du Nord de remettre en état le chemin de desserte de la parcelle cadastrée B 77 sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.
Des observations sur ce moyen d'ordre public ont été présentées par M. A... B... le 1er avril 2025 et ont été communiquées.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé par une décision du 12 octobre 2023 le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil,
- le code de l'environnement,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- les conclusions, de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Guézégou représentant le département du Nord.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est propriétaire des parcelles cadastrées B 83, B 75 et B 77 à Mairieux (59600). Sa maison d'habitation est implantée sur la parcelle B 83, située 98, route de Mons. Celle-ci est contiguë aux parcelles B 599 et B 600 qui sont la propriété du département du Nord. Ce dernier a implanté sur la parcelle B 600 un silo à sel de déneigement, après l'établissement d'un plan de bornage le 11 mai 2001 signé par le père de M. B....
2. M. B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le département du Nord à lui verser une somme de 200 000 euros et à lui rétrocéder un terrain en raison des préjudices subis du fait, d'une part, de l'emprise irrégulière constituée par l'empiètement d'un silo à sel sur la parcelle cadastrée B 83 et, d'autre part, de l'enclavement de la parcelle cadastrée B 77 dont il est l'exploitant. Il a également demandé au tribunal d'enjoindre au département de déplacer ce silo hors de sa propriété. Par un jugement du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. M. B... interjette appel de ce jugement et demande désormais à la cour, outre l'annulation du jugement du 12 mai 2023, la désignation avant dire-droit d'un expert judiciaire afin de procéder à la délimitation de la propriété du département du Nord, la condamnation du département à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des dommages causés à sa propriété et enfin l'injonction, sous astreinte, au département du Nord de remettre en état le chemin de desserte de la parcelle cadastrée B 77.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'emprise irrégulière :
3. D'une part, dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.
4. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté.
5. D'autre part, il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile au regard des motifs de droit et de fait qui justifient, selon la demande, la mesure sollicitée.
6. En l'espèce, il résulte de l'instruction et est d'ailleurs constant que le département du Nord est propriétaire de la parcelle cadastrée B 600 sur laquelle est implanté le silo à sel litigieux. Le département a produit en défense des extraits de plans cadastraux issus du site Géoportail qui permettent d'établir que l'emprise de ce bâtiment ne dépasse pas les limites de cette parcelle et n'empiète donc pas sur la parcelle B 83. M. B... lui-même a produit une pièce n°8, jointe à son mémoire d'appel enregistré le 11 décembre 2023, qui est un plan de situation sur lequel il est indiqué " mur béton (silo) implanté entièrement sur la parcelle (B 600) ".
7. Dans ces conditions, quand bien même, ainsi que l'avaient estimé les premiers juges, il n'y aurait pas lieu de retenir le procès-verbal de bornage établi le 11 mai 2001 à la demande du département du Nord pour justifier des limites matérielles de sa propriété en l'absence de qualité d'un de ses signataires, il résulte de l'ensemble des éléments concordants du dossier sur ce point que le silo construit par le département n'est pas implanté, ne serait-ce qu'en partie, sur la propriété privée de l'appelant.
8. Par suite, une expertise judiciaire avant dire-droit serait dépourvue d'utilité dès lors que les conclusions aux fins d'indemnisation au titre de l'emprise irrégulière d'un ouvrage public et d'injonction à déplacement du silo à sel ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, par conséquent, de rejeter les conclusions présentées à cette fin par M. B....
En ce qui concerne les autres conclusions indemnitaires présentées par M. B... :
9. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers en raison tant de leur existence que de leur fonctionnement. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
10. M. B... soutient que le silo à sel construit par le département du Nord est à l'origine de dégâts occasionnés à sa maison et que la salinisation de sa parcelle y empêche toute culture.
11. Toutefois, tant en première instance qu'en appel, il n'apporte aucune preuve tant de l'existence des préjudices qu'il estime avoir subis que de leur possible imputabilité à l'existence ou au fonctionnement de l'ouvrage public. Il en résulte que ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la responsabilité sans faute du département du Nord ne peuvent qu'être rejetées.
12. En second lieu, à supposer que M. B... ait entendu, en première instance comme en appel, se prévaloir du fonctionnement irrégulier du silo à sel en litige en faisant valoir que cet ouvrage n'aurait pas été bâché, il résulte de ce qui vient d'être dit que ses conclusions indemnitaires à ce titre ne pourraient qu'être rejetées en l'absence de démonstration du lien de causalité entre le fonctionnement accidentel de l'ouvrage ainsi reproché et les préjudices allégués. Au surplus, l'intéressé ne saurait démontrer l'existence d'un manquement de l'administration en faisant valoir, sans autre précision, que le " code de l'environnement " imposerait un tel bâchage alors qu'il produit lui-même une réponse ministérielle à une question parlementaire qui précise qu'il n'existe pas de texte réglementaire régissant spécifiquement les silos à sel et que leur bâchage ne peut être prévu qu'au titre de la réglementation dite " loi sur l'eau ", dont il n'établit ni même n'allègue qu'elle s'appliquerait en l'espèce.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes d'indemnisation.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées en appel :
14. Les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au département du Nord de remettre en état le chemin de desserte de la parcelle cadastrée B 77, qui sont nouvelles en appel, doivent être rejetées comme irrecevables, ainsi que les parties en ont été informées par un courrier en date du 27 mars 2025 en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le département du Nord au regard des dispositions de l'article R. 431-11 du code de justice administrative, que la requête d'appel de M. B... doit être rejetée dans toutes ses conclusions.
Sur les frais de l'instance :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du département du Nord présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département du Nord présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Calot-Foutry et au département du Nord.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la formation de jugement,
Signé : I. Legrand
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
2
N°23DA01517