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30/04/2025 | FRANCE | N°24DA01564

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 30 avril 2025, 24DA01564


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen :



1°) d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Eure a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination ;



2°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " da

ns un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsid...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Eure a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination ;

2°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de lui enjoindre de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2303070 du 4 juillet 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du préfet de l'Eure en date du 18 juillet 2023, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de sa notification et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er août 2024, le préfet de l'Eure demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 4 juillet 2024 ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

Le préfet soutient que :

- le tribunal a retenu à tort que sa décision portant refus de titre de séjour méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il s'en remet à ses écritures de première instance s'agissant des autres moyens soulevés par M. B... contre son arrêté du 18 juillet 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2024, M. B..., représenté par la SELARL Eden Avocats, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel du préfet de l'Eure ;

2°) de confirmer le jugement d'annulation du 4 juillet 2024 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Eure a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination ;

4°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de lui enjoindre de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les éléments relatifs à sa vie privée et familiale justifient l'annulation de l'arrêté du 18 juillet 2023 pour méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance sont de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté 18 juillet 2023.

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît manifestement les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard du pouvoir de régularisation du préfet.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée.

Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé l'aide juridictionnelle partielle à M. B... le 1er octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant turc né le 25 mars 1956 à Istanbul (Turquie) est entré pour la dernière fois en France le 11 mars 2020 muni d'un visa de long séjour " conjoint de Français ". Il a obtenu une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 21 mars 2023. Il a saisi le préfet de l'Eure d'une demande de renouvellement de son titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-1 et L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou d'un changement de statut en salarié sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-1 du même code. Par un arrêté du 18 juillet 2023, le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé son pays de destination. M. B... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 4 juillet 2024, a fait droit à sa demande. Le préfet de l'Eure interjette appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal tenant à la méconnaissance par le refus de titre de séjour des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. M. B... n'est pas né en France, a vécu dans son pays d'origine pendant ses douze premières années et a été absent du territoire national pendant a minima plus de trente ans, entre 1989 et le 11 mars 2020, période au cours de laquelle il a continûment résidé en Turquie. Il ne résidait sur le territoire national que depuis environ trois ans à la date de la décision attaquée. Deux de ses enfants, nés en 1997 et 2003, résident dans son pays d'origine, dans lequel il a également nécessairement tissé des liens privés d'une particulière intensité au cours de son séjour de plus de trente ans. En ce qui concerne ses liens avec la France, il était en cours de divorce avec son épouse de nationalité française à la date de la décision de refus de titre de séjour attaquée. S'il se prévaut de la présence en France de son fils né en 1986 et de nationalité française, de l'enfant de ce dernier, né en 2022, et de son frère, il ressort des pièces du dossier que l'intimé et son fils ont été séparés pour le moins de 1995 à 2020, sans qu'il ne soit établi ni même d'ailleurs allégué que M. B... ait alors contribué à son entretien quand il était mineur ou qu'ils aient conservé des liens d'une particulière intensité malgré leur éloignement. M. B... n'a en outre jamais été logé par son fils au cours de son séjour en France. Enfin, la présence en France d'un de ses frères et d'un de ses petits-enfants ne lui confère aucun droit au séjour, Dans ces conditions, quand bien même l'intimé aurait effectivement résidé en France de 1968 à 1989 et s'est intégré professionnellement depuis sa dernière entrée sur le territoire national en 2020 en concluant un contrat de travail à durée indéterminée en janvier 2021 en qualité de conducteur de car, la décision de refus de titre de séjour contestée n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

4. Par suite, le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 18 juillet 2023 sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

6. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, au regard notamment de la motivation retenue par le préfet de l'Eure dans son arrêté en date du 18 juillet 2023, qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... préalablement à l'édiction de la décision de refus de titre de séjour en litige. En particulier, alors qu'il a expressément rappelé les liens privés et familiaux de l'intéressé avec la France et qu'il a mentionné son activité professionnelle en qualité de conducteur de car, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas procédé à un examen de sa situation au regard de son pouvoir général de régularisation.

7. En deuxième lieu, eu égard aux conditions du séjour en France de M. B... telles qu'exposées au point 3, la décision de refus de titre de séjour contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation par le préfet de l'Eure au titre de son pouvoir de régularisation.

8. En troisième et dernier lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé.

9. La demande initiale de titre de séjour de M. B... reposait sur le seul fondement des articles L. 423-1, L. 423-2 et L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Son conseil n'a par ailleurs pas explicitement sollicité le bénéfice des articles L. 435-1 et L. 423-23 dans son courriel du 17 janvier 2023. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance manifeste des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la méconnaissance de son article L. 423-23 doivent être écartés comme inopérants. En tout état de cause eu égard aux conditions du séjour en France et de la durée limitée de son expérience professionnelle comme conducteur de car telles que rappelées au point 3, de tels moyens ne sont pas fondés.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

11. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision de refus de titre de séjour n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, M. B... ne saurait se prévaloir, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision pour demander l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.

12. En deuxième lieu, en application des dispositions de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision l'obligeant à quitter le territoire français dont est assortie la décision en date du 18 juillet 2023 portant refus de délivrer un titre de séjour à M. B..., dûment motivée, n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique.

13. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, au regard notamment de la motivation retenue par le préfet de l'Eure dans son arrêté en date du 18 juillet 2023, qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... préalablement à l'édiction de la décision d'éloignement en litige

14.

En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés au point 3, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Eure aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision d'éloignement sur la situation personnelle de M. B....

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le préfet de l'Eure l'a obligé à quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

16. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, M. B... ne saurait se prévaloir, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision pour demander l'annulation de la décision fixant son pays de destination.

17. En second lieu, la décision fixant le pays de destination de M. B... comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Elle est ainsi suffisamment motivée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 18 juillet 2023, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées en appel par l'intimé :

19. Eu égard aux motifs qui le fondent, le présent jugement n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées en appel par M. B... ne peuvent ainsi qu'être rejetées.

Sur les frais des instances :

Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par M. B... soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 4 juillet 2024 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de l'Eure, à M. A... B... et à Me Madeline.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.

Le rapporteur,

Signé : V. Thulard

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°24DA01564


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01564
Date de la décision : 30/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Vincent Thulard
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-30;24da01564 ?
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