Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler l'arrêté du 22 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé le droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
- d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois ;
- de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 200 euros à son conseil Me Leroy au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2303295 du 25 janvier 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de M. C....
Procédure devant la cour :
Par une requête, des mémoires et des pièces enregistrées le 22 mai 2024, le 19 septembre 2024, le 9 novembre 2024 et le 31 décembre 2024, représenté par Me Leroy, avocat, M. C... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2303295 du 25 janvier 2024 par lequel tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé le droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant l'arrêt à intervenir, à défaut de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois et, en tout état de cause, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours suivant l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision a été prise en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu avant toute décision défavorable ;
- il n'a pas été invité à compléter sa demande avant le rejet de celle-ci, en méconnaissance de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- les agents de la police aux frontières n'étaient pas compétents pour apprécier la régularité des documents ;
- les avis rendus par la police aux frontières ne lui ont pas été communiqués avant l'édiction de la décision et il n'a pas été invité à présenter des observations sur lesdits avis ;
- elle a été prise sans un examen complet de sa situation ;
- elle méconnait les dispositions des articles L. 811-2 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celles de l'article 47 du code civil ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; à cet égard, d'une part, le préfet a commis une erreur de droit en faisant de l'existence de liens familiaux dans le pays d'origine un critère prépondérant et, d'autre part, une erreur d'appréciation dans la mise en œuvre de cette disposition ;
- elle porte atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait le droit à l'instruction ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il y a un vice du fait de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision a été prise en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu avant toute décision défavorable ;
- il n'a pas été invité à compléter sa demande avant le rejet de celle-ci, en méconnaissance de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- les agents de la police aux frontières n'étaient pas compétents pour apprécier la régularité des documents ;
- les avis rendus par la police aux frontières ne lui ont pas été communiqués avant l'édiction de la décision et il n'a pas été invité à présenter des observations sur lesdits avis ;
- elle a été prise sans un examen complet de sa situation ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité dont est elle-même entachée la décision de refus de titre de séjour ;
- dès lors qu'il devait se voir délivrer un titre de séjour de plein droit, sur le fondement des articles L. 423-22 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- elle porte atteinte à son droit à la vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense enregistré 5 septembre 2024, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 septembre 2024.
Un mémoire et des pièces présentées pour M. C... ont été enregistrés les 24 et 25 mars 2025, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'ont pas été communiqués.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil, notamment son article 47 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 1er février 2011 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police aux frontières ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant malien né le 31 décembre 2004 à Souranguedou (Mali) est entré irrégulièrement en France en septembre 2019 selon ses déclarations. Il a été confié aux services de l'aide à l'enfance de novembre 2019 à décembre 2022. Par l'arrêté litigieux du 22 mai 2023, le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit. Par un jugement du 25 janvier 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions attaquées :
2. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". L'article R. 431-10 du même code précise que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil (...) ". En vertu de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
3. Il résulte des dispositions précitées que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4.
M. C... a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour un acte de naissance, une copie d'extrait d'acte de naissance du même jour, un jugement supplétif d'acte de naissance ainsi qu'une carte consulaire, faisant apparaître de manière cohérente les mêmes informations concernant les nom, prénom, date et lieu de naissance, et la filiation de l'intéressé. S'il résulte des conclusions des services de la police aux frontières que le jugement supplétif du 26 mai 2017 produit par M. C... présente des défauts d'alignement et de centrage de mentions censées être pré-imprimées, que le mode d'impression de l'acte de naissance daté du 24 juillet 2017 présente de non-conformités et que les documents produits ne comportent pas de numéro dit " B... ", il résulte des pièces du dossier et notamment des nombreux éléments produits par M. C..., lesquels ne sont pas contestés par le préfet, que tels défauts ne sont pas de nature à établir, à eux-seuls, le caractère frauduleux ou falsifié des documents produits par M. C.... De plus, si les services de la police de l'air et aux frontières (PAF) ont relevé des irrégularités concernant le volet 3 de l'acte de naissance daté du 24 juillet 2017, tenant à l'absence de numérotation imprimée, à la présence d'abréviations alors que la législation malienne proscrit toute abréviation dans les documents d'état civil et si les conclusions du 6 décembre 2022 de services de la PAF concernant la copie d'extrait d'acte de naissance délivrée le 24 juillet 2017 font apparaître que la date de délivrance de l'acte n'est pas inscrite en toutes lettres, contrairement à la législation malienne applicable, que deux dates inscrites sur le document ont été raturées et que le jugement supplétif du 26 mai 2017 produit par M. C..., comporte la mention tribunal " d'instace " de Diema - et non d'instance - faisant ainsi apparaître également une faute d'orthographe, l'appelant produit, à hauteur d'appel, une seconde copie d'un extrait d'acte de naissance qui lui aurait également été délivrée le 26 mai 2017, ainsi qu'un justificatif de demande de passeport daté du 18 décembre 2023, lesquels ne sont pas contestés en défense.
5. Ainsi au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige soumis à la cour, le préfet de la Seine-Maritime ne pouvait, sans entacher sa décision d'illégalité, se fonder sur l'absence de justification de l'état civil de M. C... ainsi que de son âge pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, la décision par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer un tel titre à M. C... doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination de son éloignement. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 22 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté la demande de délivrance d'un titre de séjour de M. C... pour un motif de fraude documentaire, n'implique pas que la cour enjoigne à l'administration de lui délivrer un titre de séjour mais seulement que le préfet réexamine la demande de M. C.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de procéder à ce réexamen et de le munir d'un récépissé l'autorisant à travailler, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303295 du 25 janvier 2024 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 22 mai 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la situation de M. C... et de le munir d'un récépissé l'autorisant à travailler, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C..., à Me Leroy, au ministre de l'intérieur et au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
Le rapporteur,
Signé : D. D...
La présidente,
Signé : G. Borot La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
2
N°24DA00971