Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2024 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de l'Orne de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale ", ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2400032 du 12 janvier 2024, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen a admis M. A... provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1), a annulé les décisions, contenues dans l'arrêté du 5 janvier 2024, par lesquelles le préfet de l'Orne a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans (article 2), a réservé les conclusions de la requête sur lesquelles il n'a pas expressément statué (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 4).
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2024, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 12 février 2025 et le 7 mars 2025, ce dernier non communiqué, le préfet de l'Orne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en son article 2 ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de la méconnaissance des articles L.611-1 et L.611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français et le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision pour annuler les décisions refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
- M. A... ne démontre pas partager une communauté de vie avec la mère de sa fille française, participer à l'éducation et à l'entretien de son enfant et pouvoir subvenir aux besoins de sa famille ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors qu'il s'est maintenu en France en ne déférant pas à trois décisions portant obligation de quitter le territoire français, qu'il a été interpellé pour des faits de violences conjugales le 4 janvier 2024, qu'il n'a pas établi de liens amicaux en France et n'est pas isolé dans son pays d'origine où résident ses frères et sœurs et où il a vécu jusqu'à l'âge de 27 ans ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dans la mesure où il ne justifie pas participer à l'entretien et à l'éducation de son enfant français et a fait preuve de violence envers sa femme et les deux autres enfants de celle-ci ;
- la décision refusant d'accorder un délai volontaire de départ ne méconnaît pas les dispositions de l'article L.612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison des différents alias utilisés par M. A... et de sa soustraction à de précédentes décisions portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour en France ne méconnaît pas les dispositions de l'article L.612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais a été prise en tenant compte de l'ensemble des éléments qu'il mentionne ;
- la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L.721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans la mesure où M. A... ne justifie pas des risques pour sa vie en cas de retour en Tunisie.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 février 2025 et des mémoires de production de pièces enregistrés les 6 et 17 mars 2025, M. B... A..., représenté par Me Cécile Madeline, demande à la cour :
- de rejeter la requête ;
- d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2024 par lequel le préfet de l'Orne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner en France pendant une durée de deux ans ;
- d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans l'attente du réexamen de sa situation ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros toutes taxes comprises à verser à son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou directement à son profit en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ; elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par une ordonnance du 14 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 7 mars 2025.
M. B... A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2025 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant tunisien né le 18 janvier 1984, déclare être entré en France en 2011. Il a fait l'objet de trois précédentes mesures d'éloignement, sous plusieurs alias, respectivement le 31 octobre 2011, le 5 mars 2014 et le 10 avril 2018. Le 15 novembre 2023, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 4 janvier 2024, il a été placé en garde à vue par les services de police d'Argentan pour des faits de violences sur conjoint. Par un arrêté du 5 janvier 2024, le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement n° 2400032 du 12 janvier 2024, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen a admis M. A... provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1), a annulé les décisions, contenues dans l'arrêté du 5 janvier 2024, par lesquelles le préfet de l'Orne a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans (article 2), a réservé les conclusions de la requête sur lesquelles il n'a pas expressément statué (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 4). Par la présente requête, le préfet de l'Orne demande l'annulation de l'article 2 de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
3. Les moyens du préfet de l'Orne tirés de ce que les premiers juges ont entaché leur décision d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ne ressortissent pas à la régularité du jugement mais à son bien-fondé. Il appartient donc à la cour de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre les décisions, contenues dans l'arrêté du 5 janvier 2024, par lesquelles le préfet de l'Orne a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
4. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ". Aux termes de l'article L. 611-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. /Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est marié le 15 octobre 2022 avec une ressortissante française avec laquelle il a eu une fille de nationalité française, née le 22 avril 2023. Le 4 janvier 2024, son épouse a déposé à son encontre une plainte pénale pour des violences conjugales commises le même jour. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des comptes-rendus d'audition établis par les services de police dans le cadre de ce dépôt de plainte et des factures produites en première instance, que M. A... vit au domicile de son épouse depuis leur mariage où vit également sa fille depuis sa naissance. Contrairement à ce que soutient le préfet, il contribue ainsi nécessairement, compte tenu de cette communauté de vie, à l'éducation et à l'entretien de son enfant, ainsi d'ailleurs que le confirment les attestations établies par son épouse et une amie du couple qui, bien que postérieures à la date de la décision contestée, révèlent des faits qui leur sont antérieurs. La seule circonstance que M. A... soit sans emploi ne permet pas d'établir qu'il ne contribuerait pas à l'entretien de sa fille, cette condition devant en effet s'apprécier à proportion de ses ressources conformément aux dispositions précitées de l'article 371-2 du code civil. Enfin, la plainte de son épouse à son encontre pour des faits de violences conjugales le 4 janvier 2024, la veille de l'édiction de la décision en litige, n'est pas de nature à démontrer, à la date de cette décision, qu'il ne contribuerait pas à l'entretien et à l'éducation de sa fille depuis sa naissance au sens des dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Ainsi, le préfet de l'Orne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L.611-3 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision du 5 janvier 2024 faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français, et par voie de conséquence les décisions fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Sur les conclusions reconventionnelles :
7. Dès lors que l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... implique, en application des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'autorité administrative le munisse d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'elle ait à nouveau statué sur son cas, il n'y a pas lieu de prononcer une injonction. S'agissant des décisions refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français, leur annulation n'implique aucune mesure d'exécution particulière. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent par conséquence être rejetées.
8. Dès lors que M. A... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cecile Madeline renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre, sur ce fondement, à la charge de l'État le versement à ce conseil de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Orne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Cécile Madeline, avocat de M. A..., la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions reconventionnelles de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Cécile Madeline et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience publique du 10 avril 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA00148 2