Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société WP France 23 a demandé à la cour :
- d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2019 par lequel la préfète de la Somme a refusé de lui délivrer l'autorisation unique pour l'exploitation d'un parc de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de La Neuville-Sire-Bernard en tant que le refus porte sur les éoliennes E1 à E4 ;
- d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer l'autorisation unique ou, à tout le moins, de réexaminer sa demande ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par un arrêt n°19DA02104 du 28 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'arrêté du 8 juillet 2019, accordé à la société WP France 23 l'autorisation unique sollicitée et enjoint à la préfète de la Somme d'assortir l'autorisation accordée des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Par une décision n° 459079 du 10 novembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sur pourvoi de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a annulé cet arrêt et renvoyé à la cour le jugement de l'affaire.
Procédure devant la Cour après renvoi :
Par des mémoires enregistrés les 17 juin 2024, 13 et 18 novembre 2024, la société WP France 23, représentée par Me Paul Elfassi, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures et demande, à titre subsidiaire, d'organiser une visite des lieux.
Elle reprend les moyens précédemment développés et soutient, en outre que :
- elle a tenu compte de l'arrêt du conseil d'Etat et fait réaliser une note paysagère complémentaire par un bureau d'études qui a appliqué la méthodologie retenue par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) des Hauts-de-France, en étudiant les critères d'occupation de l'horizon, de densité et d'espace de respiration dans l'étude de la saturation visuelle théorique ;
- il ressort de cette analyse que, depuis le village du Plessier-Rozainvillers les seuils d'alerte étaient déjà tous atteints avant l'implantation du projet et que ce dernier participe peu au dépassement de ces seuils ; il ressort des nouveaux photomontages réalisés que le motif éolien est régulièrement masqué par la trame végétale et bâtie du village et que, lorsque le projet est visible, il prend place dans un contexte de plateau cultivé déjà marqué par la présence du motif éolien, avec une implantation lisible et régulière, et une occupation de l'horizon non continue ; les photomontages mettent en évidence une visibilité ponctuelle du projet et nuancent celle des autres parcs et projets qui gravitent autour du village avec des masques visuels réguliers qui permettent une occupation horizontale moins dense et moins importante en réalité, ainsi que des espaces de respiration plus réguliers ;
- pour tenir compte de la production par le préfet, en cours d'instance, de la cartographie et du recensement actualisés des parcs éoliens, qui révèlent que deux nouveaux parcs sont en cours d'instruction et qu'un troisième est autorisé, la société a mis à jour la note relative à l'analyse de la saturation visuelle pour le village du Plessier-Rozainvillers ; les conclusions demeurent les mêmes sur la relativisation de la visibilité de ces trois parcs au regard de la topographie, du bâti et de la végétation présente ;
- il en résulte que le projet ne cause pas un effet de saturation visuelle présentant des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage au Plessier-Rozainvillers ;
- elle produit un vidéomontage illustrant la traversée du village La Neuville-Sire-Bernard qui confirme l'absence d'effet de surplomb du projet qui sera en grande majorité masqué par le bâti ; elle s'engage d'ailleurs à mettre en place des plantations afin de réduire la visibilité du projet ;
- c'est à bon droit que la cour a initialement jugé que le préfet ne pouvait légalement fonder son refus sur le motif de l'atteinte à la commodité du voisinage.
Par un mémoire enregistré le 2 octobre 2024, en réponse à une mesure d'instruction de la cour, le préfet de la Somme a transmis une cartographie et un recensement actualisés au 30 août 2024 des parcs éoliens construits, autorisés ou en instruction dans un rayon de 5 et 10 kms autour du projet litigieux en tenant compte des décisions juridictionnelles éventuelles ayant trait à ces projets.
Par une ordonnance du 19 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Kabra, représentant la société WP France 23.
Une note en délibéré présentée par Me Elfassi a été enregistrée le 15 avril 2025.
Considérant ce qui suit :
1. La société WP France 23 a déposé le 12 décembre 2016 une demande d'autorisation unique pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien dénommé " Vallaquins " composé de cinq aérogénérateurs et de trois postes de livraison sur la commune de La Neuville-Sire-Bernard dans le département de la Somme. Par un arrêté du 8 juillet 2019, la préfète de la Somme a refusé de délivrer cette autorisation. La société WP France 23 a saisi la cour pour demander l'annulation de cette décision en tant que le refus porte sur les éoliennes E1 à E4. Par un arrêt du 28 septembre 2021, la cour a annulé cet arrêté, délivré à la société WP France 23 une autorisation unique portant sur ces quatre éoliennes et enjoint à la préfète de la Somme d'assortir cette autorisation des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L.511-1 du code de l'environnement, et notamment du respect du plan de bridage renforcé. Par une décision du 10 novembre 2023, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2019 :
2. Pour refuser d'autoriser l'installation et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de La Neuville-Sire-Bernard, la préfète de la Somme s'est fondée sur trois séries de motifs, le premier relatif à l'atteinte aux paysages environnants, en raison de l'impact du projet sur le paysage de la vallée de l'Avre au niveau du marais de Moreuil et du coteau crayeux adjacent, le deuxième relatif à l'atteinte à la commodité du voisinage, en raison des l'effet d'écrasement sur le village de La Neuville-Sire-Bernard et de l'effet d'encerclement sur le village du Plessier-Rozainvillers, et le troisième relatif à l'atteinte à la protection de la nature et de l'environnement et à l'insuffisance des mesures " éviter, réduire, compenser ", en raison de l'impact grave du projet pour les chiroptères.
En ce qui concerne le régime juridique applicable :
3. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance, ou au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014, avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; / 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; (...) ".
4. Sous réserve des dispositions de son article 15 précité, l'article 16 de la même ordonnance abroge les dispositions de l'ordonnance du 20 mars 2014 relatives à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement.
5. Il résulte de ces dispositions que l'ordonnance du 26 janvier 2017 n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier rétroactivement les dispositions régissant la procédure de délivrance des autorisations uniques prévue par l'ordonnance du 20 mars 2014.
6. En vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise, comme l'autorisation l'unique l'était avant elle ainsi que les autres autorisations mentionnées au 1° de l'article 15 de cette même ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.
7. Si, en application du 1° de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017, les autorisations uniques délivrées au titre de l'ordonnance du 20 mars 2014 sont considérées, depuis le 1er mars 2017, comme des autorisations environnementales, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 qu'il revient au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'une contestation contre une autorisation unique, d'en apprécier la légalité au regard des règles de procédure relatives aux autorisations uniques applicables à la date de sa délivrance.
8. Par ailleurs, lorsqu'il estime qu'une autorisation unique a été délivrée en méconnaissance des règles de procédure applicables à la date de sa délivrance, le juge peut, eu égard à son office de juge du plein contentieux, prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu'elles n'aient pas eu pour effet de nuire à l'information complète de la population. En outre, si une telle régularisation n'est pas intervenue à la date à laquelle il statue, le juge peut, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, créé par l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai qu'il fixe afin de permettre à l'administration de régulariser l'illégalité par une autorisation modificative.
En ce qui concerne l'impact sur les paysages :
9. Pour refuser de faire droit à la demande d'autorisation de la société WP France 23, la préfète de la Somme s'est fondée sur l'atteinte portée par le projet aux paysages environnants, et notamment au paysage de la vallée de l'Avre au niveau du marais de Moreuil et du coteau crayeux adjacent.
10. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) pour la protection (...) des paysages, (...) pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".
11. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".
12. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer l'autorisation sollicitée ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
S'agissant de la qualité du site :
13. Il résulte de l'instruction que le projet de parc éolien prendra place dans l'entité paysagère de la vallée de l'Avre, qui ne fait pas l'objet d'une protection réglementaire mais est qualifiée de paysage emblématique par l'atlas des paysages de la Picardie, notamment en raison de la présence à proximité du marais de Moreuil et du coteau de Génonville, considérés comme des éléments paysagers majeurs. Le site du projet prendra place sur le plateau du Santerre, un espace agricole vallonné ponctué de bosquets et proche de villages. Un seul monument inscrit se situe dans l'aire d'étude rapprochée.
S'agissant de l'impact du projet :
14. Si l'administration met en avant la hauteur importante des éoliennes projetées, de près de 150 mètres, au regard de la hauteur de la vallée, limitée à 60 mètres, il résulte du photomontage n° 60, joint à l'étude d'impact, que les éoliennes seront certes covisibles avec la vallée de l'Avre depuis les routes situées sur le plateau mais que les éoliennes d'autres parcs sont également visibles, parfois même davantage, ainsi que des poteaux et lignes électriques. Les éoliennes projetées n'apparaissent ainsi pas disproportionnées par rapport à la vallée et aux éléments industriels qui y figurent déjà. En outre, il résulte des photomontages n°s 67 et 78, pris des deux rives de la vallée que les éoliennes projetées sont certes visibles de manière plus importante que celles des autres parcs existants, mais elles ne créent pas d'effet de surplomb sur la vallée, au regard de sa configuration peu profonde. Par ailleurs, il résulte du photomontage n° 76 pris du fond de la vallée que les éoliennes dépassent peu du boisement touffu présent à cet endroit. Enfin, si l'administration soutient que les éoliennes viendront barrer une petite vallée sèche, dite vallée Baron, perpendiculaire à la vallée de l'Avre, il ne résulte pas de l'instruction que cet espace, qui ne jouit d'aucune protection particulière, constituerait une ligne de force du paysage qui serait menacée par le projet.
15. Il suit de là que le motif tenant à l'atteinte portée par le projet aux paysages environnants, et notamment au paysage de la vallée de l'Avre au niveau du marais de Moreuil et du coteau crayeux adjacent, ne peut valablement justifier le refus d'autorisation.
En ce qui concerne les inconvénients pour la commodité du voisinage :
16. Pour refuser de faire droit à la demande d'autorisation de la société WP France 23, la préfète s'est fondée sur l'atteinte à la commodité du voisinage en raison de l'effet d'écrasement sur le village de La Neuville-Sire-Bernard et de l'effet d'encerclement sur le village du Plessier-Rozainvillers.
17. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) pour la commodité du voisinage (...) ".
S'agissant du village de La Neuville-Sire-Bernard :
18. En vertu de l'article L. 515-44 du code de l'environnement, la délivrance de l'autorisation d'exploiter est subordonnée au respect d'une distance d'éloignement d'au moins 500 mètres entre les installations et les constructions à usage d'habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l'habitation.
19. Il résulte du photomontage n°73 que seule une partie des pales de l'éolienne E4 sera visible depuis le centre du village, par ailleurs marqué par d'autres éléments d'anthropisation, à l'instar des poteaux et lignes électriques. Cependant, il résulte des photomontages n°s 72, 74 et 75 pris respectivement à l'entrée sud du village, à la sortie est et au bord de la vallée de l'Avre sur la route départementale (RD) n° 935 à hauteur du cimetière, ainsi que du vidéomontage de la traversée du village, que si les éoliennes sont peu visibles depuis la portion de route qui longe les maisons, elles sont en revanche très visibles depuis les autres lieux de vie et créent, de par leur dimensionnement et leur positionnement, un rapport d'échelle défavorable qui aboutit à créer un effet de surplomb sur le paysage et les habitations.
20. La circonstance que l'implantation des éoliennes à 810 mètres des habitations les plus proches est conforme à la distance minimale de 500 mètres imposée par l'article L. 515-44 du code de l'environnement ne suffit pas à éviter l'effet d'écrasement pesant sur les lieux de vie. En outre, la proposition de la société de planter des haies bocagères en fond de jardin des habitations des villages les plus proches n'apparaît pas suffisante pour réduire de manière crédible et significative le risque d'écrasement compte tenu de la proximité des éoliennes et de leur hauteur.
21. Les mesures d'évitement et de réduction envisagées par la société pétitionnaire ne permettent pas de remédier utilement au risque d'écrasement pesant sur le village de La Neuville-Sire-Bernard, qualifié de " fort " par l'étude d'impact elle-même et relevé également par la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) et la direction régionale des affaires culturelles des Hauts-de-France.
S'agissant du village du Plessier-Rozainvillers :
22. La circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article. Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.
23. Pour apprécier les risques de saturation visuelle ou d'effet d'encerclement par des parcs éoliens, le guide national relatif à l'élaboration des études d'impact des projets de parcs éoliens terrestres, élaboré en décembre 2016 et actualisé en octobre 2020 par le ministère de la transition écologique, définit une méthodologie consistant à évaluer, dans un rayon de dix kilomètres autour des lieux de vie d'une zone habitée, trois " indices " mesurant respectivement la " somme des angles de l'horizon interceptés par des parcs éoliens " (indice d'occupation de l'horizon), le " ratio du nombre d'éoliennes présentes par angle d'horizon occupé " (indice de densité) et le " plus grand angle continu sans éolienne " (indice d'espace de respiration visuelle).
24. Pour chacun de ces indices, la DREAL des Hauts-de-France fixe des " seuils d'alerte " qui correspondent, pour l'indice d'occupation de l'horizon, à un angle cumulé supérieur à 120° sur l'aire de 10 km, pour l'indice de densité des éoliennes à un ratio supérieur à 0,1 à moins de 5 kms et supérieur à 0,25 à plus de 5 kms et pour l'indice de respiration visuelle, à un angle inférieur à 160° ou 180° sur l'aire de 10 kms. Cependant, dès lors que la valeur de ces indices n'est que théorique en ce qu'elle ne tient pas compte de la configuration réelle des lieux et en particulier des obstacles visuels que peuvent localement constituer le relief, le bâti ou la végétation, la circonstance qu'un ou plusieurs de ces " seuils d'alerte " seraient atteints ne suffit pas à établir à elle-seule une atteinte excessive à la commodité du voisinage, mais justifie seulement une analyse approfondie des incidences concrètes du projet.
25. Il résulte de l'instruction que la société pétitionnaire a fait réaliser en février et en octobre 2024 des notes paysagères complémentaires portant sur l'évaluation de l'occupation visuelle du motif éolien autour du village du Plessier-Rozainvillers, voisin de la commune d'implantation du projet. Il en ressort qu'autour de ce village, 99 éoliennes sont déjà construites ou autorisées dans un rayon de moins de 10 kilomètres et 44 éoliennes dans un rayon de moins de 5 kilomètres, sur un arc de cercle essentiellement orienté nord-ouest/sud-est, avec un parc implanté au sud-ouest. Par ailleurs, il résulte de la combinaison de la carte et de la note produites par l'administration relatives aux éoliennes en production, autorisées administrativement, en instruction, refusées et abandonnées au 30 août 2024 que, depuis la date de l'arrêté attaqué, cinq parcs éoliens ont été autorisés et construits dans un rayon de 10 kms - les parcs éoliens des Hauts de Saint-Aubin, de Champs perdus, du Quesnel, de Thennes et du Trèfle -, tandis que deux ont été autorisés mais non encore construits - les parcs éoliens de champ Personnette et de l'extension des Gressières -, un parc a été refusé - le parc éolien du bois de Bouillancourt - et deux sont en cours d'instruction - celui de Filescamps et l'extension du parc l'Argillière. Dans sa note paysagère complémentaire d'octobre 2024, la société pétitionnaire a procédé à neuf nouveaux photomontages centrés sur le village du Plessier-Rozainvillers qui intègrent, conformément aux prescriptions posées par l'article R. 122-5 II 5° e) du code de l'environnement, le parc éolien de Filescamps en cours d'instruction pour deux éoliennes, celui de l'extension des Gressières autorisé pour trois éoliennes et celui de l'extension de l'Argillière en cours d'instruction. Pour mesurer l'incidence du projet sur les indices d'occupation de l'horizon et de respiration visuelle, il appartient au juge de plein contentieux de prendre en compte les parcs installés ou autorisés, conformément au principe dégagé au point 22 du présent arrêt.
26. D'une part, il résulte de l'instruction que les quatre éoliennes projetées, dont la distance effective est de moins d'un kilomètre par rapport aux habitations les plus proches et de deux kilomètres par rapport au centre du village, occuperont une emprise propre d'environ 40°. En prenant en compte les parcs qui gravitent dans un périmètre de 5 et 10 kms autour du village, les seuils d'alerte étaient déjà atteints pour les trois indices avant le projet de parc éolien Vallaquins ; subsistait un seuil de respiration de 99° à l'ouest du village. Ces indices sont aggravés par le projet, l'indice d'occupation de l'horizon passant de 187° à 221° et l'indice de respiration de 104° à l'ouest à 57° au sud, le parc en cause s'implantant à l'intérieur de l'espace de respiration initial situé à l'ouest.
27. D'autre part, il ressort des photomontages n° 82, 83 et 84 de l'étude d'impact initial que depuis la RD 54 au nord et à l'est du village, les autres parcs éoliens sont peu visibles, soit qu'ils sont masqués par des arbres, soit qu'ils se situent dans le lointain. Certes, à l'exception de l'éolienne E4, les éoliennes projetées sont visibles au nord de la RD 54, mais elles épousent la forme vallonnée du paysage et ne contribuent pas à un effet d'encerclement du fait de l'invisibilisation des autres parcs. Depuis la frange urbaine sud-ouest du village, les éoliennes sont visibles, à l'exception de l'éolienne E3, largement masquée par un bosquet, mais ne contribuent pas davantage à un effet d'encerclement en raison de l'invisibilisation des autres parcs.
28. Enfin, il ressort de la note paysagère complémentaire d'octobre 2024 que sur les neuf photomontages complémentaires effectués, trois l'ont été depuis les principales entrées et sorties du village, trois depuis des franges bâties et trois depuis l'intérieur du village, à hauteur de dents creuses ou d'un premier plan non construit. Il est vrai que ces photomontages ont été effectués par un temps couvert qui réduit les contrastes. Cependant, comme dans les précédents photomontages, il ressort des nouveaux photomontages n° 1, 2, 5, 6, 7 et 9 que le projet apparaît souvent masqué par les arbres ou le bâti ou est peu visible. Si certains des autres parcs éoliens sont visibles, ils ne contribuent pas à créer un effet d'encerclement, en raison de leur prégnance ponctuelle ou de leur distance d'éloignement avec le village. Il ressort également des photomontages n°s 4 et 8 que les éoliennes projetées sont plus visibles mais que les autres parcs sont dissimulés par la trame végétale ou bâtie ou de faible prégnance. Toutefois, il résulte du photomontage n° 3 pris depuis la frange nord du bourg le long d'une voie communale que le motif éolien apparaît prégnant sur le paysage et quasi continu sur plus de 200 degrés, ce qui créé un effet d'encerclement et de saturation visuelle autour des lieux de vie et notamment des habitations présentes.
29. La circonstance que certaines éoliennes seront masquées par le bâti urbain ou la végétation de sorte que l'ensemble des éoliennes environnantes ne seront pas simultanément visibles depuis un même lieu de vie ne saurait exclure, comme l'a jugé le Conseil d'Etat, l'existence d'une situation de saturation visuelle. En outre, si certaines éoliennes seront moins visibles que d'autres en raison de leur implantation dans un rayon de 5 à 10 kilomètres, l'atténuation liée à l'éloignement ne suffit pas à réduire à un niveau acceptable l'effet de saturation du paysage.
30. Il suit de là que le projet fait peser un risque avéré d'encerclement et de saturation visuelle sur le village du Plessier-Rozainvillers.
31. Dans ces conditions, le motif de refus tenant aux inconvénients excessifs du projet pour la commodité du voisinage en raison de l'effet d'écrasement sur le village de La Neuville-Sire-Bernard et de l'effet d'encerclement sur le village du Plessier-Rozainvillers peut valablement justifier le refus d'autorisation.
En ce qui concerne les inconvénients pour la protection de la nature et pour l'environnement :
32. Pour refuser de faire droit à la demande d'autorisation, la préfète de la Somme s'est fondée sur l'atteinte à la protection de la nature et de l'environnement et à l'insuffisance des mesures " éviter, réduire, compenser ", en considérant qu'au regard des enjeux liés à la présence de nombreuses espèces protégées de chauves-souris, l'implantation des éoliennes à moins de 200 mètres de leurs zones d'activité créerait un risque d'impact inacceptable, que le plan de bridage proposé par la société pétitionnaire ne pourrait pallier.
33. Aux termes de l'article L.511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) pour la protection de la nature, de l'environnement (...). ". Aux termes de l'article L.110-1 du même code : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage. (...) II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : (...) /2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; / Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité (...) ".
34. D'une part, il résulte de l'étude d'impact que l'enjeu chiroptérologique de l'aire d'étude rapprochée et de l'aire d'étude immédiate a été considéré comme " assez fort " en raison de la présence de onze espèces " à enjeu écologique avéré ", dont deux à enjeu écologique " assez fort " - le grand murin et le murin de Brandt - et neuf à enjeu " moyen ". L'étude d'impact note que l'impact brut du projet sur les chauves-souris sera " faible " à " négligeable ", sauf pour la pipistrelle commune pour laquelle le risque de collision pourrait être localement de niveau " moyen " et pour la sérotine commune, pour laquelle les risques de collision et de perturbation du domaine vital et des routes de vol pourraient être localement de niveau " moyen ". Aucun lieu de reproduction ou d'hibernage n'a été repéré dans l'aire immédiate du projet.
35. D'autre part, il résulte de l'instruction que les éoliennes E1, E2 et E4 seront éloignées d'environ 160 à 180 mètres des bois et haies présentes aux alentours, à l'exception d'une haie dépourvue de rôle fonctionnel en raison de sa faible taille. Si la société pétitionnaire n'a pas respecté la recommandation du groupe de travail de l'accord européen dit " A... " d'implanter toute éolienne à une distance d'au moins 200 mètres de bois et de haies susceptibles d'accueillir des chauves-souris, c'est afin de concilier d'autres intérêts tenant à la protection du paysage et à l'évitement de nuisances liées au bruit.
36. Enfin, pour réduire ces risques à un niveau acceptable, la société WP France 23 a prévu un plan de bridage de début mars à fin novembre, de l'heure précédant le coucher du soleil à l'heure suivant le coucher du soleil, pour des vents supérieurs à six mètres par seconde, pour des températures supérieures à sept degrés en l'absence de précipitation, ainsi que la mise en drapeau des éoliennes par vent faible, et a veillé à la conception des nacelles pour éviter que les chauves-souris ne puissent y gîter. Si ce plan concernait initialement seulement les éoliennes E1, E2 et E4, la société a proposé en cours d'instance un plan de bridage renforcé s'étendant à l'éolienne E3, sans que la ministre de la transition écologique ne critique son insuffisance. Si la préfète de la Somme, quant à elle, avait disqualifié le plan de bridage initial en considérant qu'il ne pouvait venir qu'en complément de l'éloignement de plus de 200 mètres des bois et haies, cette position n'apparaît pas justifiée au regard des conclusions de l'étude d'impact qui considère " après mise en œuvre des mesures de réduction, qu'il n'existe pas d'impacts résiduels prévisibles sur les espèces, si ce n'est des collisions aléatoires accidentelles ne remettant pas en cause les cycles biologiques des espèces ni leur état de conservation à l'échelle locale ".
37. Il suit de là que le motif tiré de ce que le parc éolien projeté présenterait un danger significatif pour la protection des chiroptères ne peut valablement fonder le refus d'autorisation opposé par la préfète de la Somme.
38. Il résulte de tout ce qui précède qu'en estimant que le projet litigieux porterait atteinte à la commodité du voisinage, la préfète de la Somme a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 181-3 et de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. L'ensemble des éoliennes est concerné par cette atteinte, de sorte qu'un refus seulement partiel n'est pas possible pour l'éviter. Par suite, la préfète de la Somme était fondée à refuser le projet dans sa totalité et il résulte de l'instruction qu'elle aurait pris la même décision si elle n'avait retenu que le seul motif tiré de l'atteinte à la commodité du voisinage.
39. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une visite des lieux, que les conclusions à fin d'annulation présentées par la société WP France 23 doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction.
Sur les frais liés à l'instance :
40. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la société WP France 23 et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société WP France 23 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société WP France 23, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 10 avril 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°23DA02111 2