Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société France Europe Immobilier a demandé au tribunal administratif de Rouen :
1°) d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2021 par lequel la maire de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc a refusé de lui délivrer un permis d'aménager, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre au maire de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc, à titre principal, de lui délivrer un permis d'aménager, ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2104855 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 septembre 2023 et le 27 septembre 2024, la société France Europe Immobilier, représentée par la SELARL Patrice Lemiègre, Philippe Fourdrin, Suna Güney et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 juillet 2023 ;
2°) d'ordonner avant dire-droit une expertise judiciaire ;
3°) d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2021 par lequel la maire de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc a refusé de lui délivrer un permis d'aménager, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux ;
4°) d'enjoindre au maire de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc, à titre principal, de lui délivrer un permis d'aménager, ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société pétitionnaire soutient que :
- le refus de permis d'aménager contesté est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- il est également entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir ;
- la caractérisation d'une éventuelle méconnaissance du code de l'urbanisme par son projet ne saurait reposer sur les seules conclusions du rapport établi par la société Antéa, dès lors qu'il n'a pas été réalisé à son contradictoire et qu'il est entaché d'insuffisances et d'incohérences ;
- il y a lieu dans ces conditions d'ordonner avant dire-droit une expertise judiciaire relativement au risque d'inondation présenté par son projet de lotissement.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 mars et 15 octobre 2024, la commune de Saint-Romain-de-Colbosc, représentée par Me Sandrine Gillet, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire et au cas où la cour ferait droit aux conclusions d'annulation de la société France Europe Immobilier, à ce qu'elle limite l'injonction qui lui sera faite au simple réexamen de sa demande et, en toute hypothèse, à la condamnation de la société France Europe Immobilier à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens d'annulation soulevés par l'appelante ne sont pas fondés ;
- les conclusions à fin d'expertise judiciaire de la société France Europe Immobilier ne sont pas assorties des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
- à supposer même fondé le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme par le refus contesté, il y aurait lieu d'assortir l'autorisation délivrée à la société pétitionnaire de prescriptions. Il en résulte que l'injonction qu'elle sollicite doit se limiter à un simple réexamen de sa demande.
Par ordonnance du 21 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Par courrier du 30 janvier 2025, des pièces ont été demandées à la société France Europe Immobilier en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Ces pièces ont été réceptionnées au greffe de la cour le 14 février 2025 et ont été communiquées.
Une pièce a été enregistrée pour la commune de Saint-Romain-de-Colbosc le 11 mars 2025, après la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement,
- le code de l'urbanisme,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- les conclusions, de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Gillet, représentant la commune de Saint-Romain-de-Colbosc.
Considérant ce qui suit :
1. La société France Europe Immobilier a déposé le 17 décembre 2020 une demande de permis d'aménager un lotissement de vingt-deux parcelles à bâtir et une parcelle édifiée d'un bâtiment à réhabiliter, sur un terrain situé route de Saint-Laurent à Saint-Romain-de-Colbosc, constitué des parcelles cadastrées AB 350, AB 466 et AB 500. Par un arrêté du 2 juillet 2021, le maire de Saint-Romain-de-Colbosc a refusé de faire droit à cette demande aux motifs d'une méconnaissance par le projet des dispositions des articles R. 111-2 et R. 111-5 du code de l'urbanisme. La société France Europe Immobilier a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Rouen, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Par un jugement du 6 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La société France Europe Immobilier interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable à un refus d'aménager un lotissement :
2. Les lotissements constituent des opérations d'aménagement ayant pour but l'implantation de constructions. Il appartient par suite à l'autorité compétente de refuser le permis d'aménager sollicité lorsque, compte tenu de ses caractéristiques telles qu'elles ressortent des pièces du dossier qui lui est soumis, le projet de lotissement prévoit l'implantation de constructions dont la conformité avec les règles d'urbanisme ne pourra être ultérieurement assurée lors de la délivrance des autorisations d'urbanisme requises.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 1112 du code de l'urbanisme :
3. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".
4. En vertu de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, lorsqu'un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettraient d'assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect.
5. Lorsqu'une autorisation d'urbanisme est sollicitée pour une installation relevant également d'une autorisation ou d'une déclaration environnementale, il incombe à l'autorité d'urbanisme compétente, le cas échéant, de tenir compte des prescriptions édictées au titre du code de l'environnement ou qui sont susceptibles de l'être pour caractériser une éventuelle atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique.
6. Pour refuser de délivrer le permis d'aménager sollicité par la société France Europe Immobilier, il ressort des pièces du dossier que le maire s'est fondé sur l'existence d'un risque d'inondation des voies d'accès au terrain d'assiette du projet, lié aux débordements de la mare du Frescot. Il a considéré que le projet en cause aggraverait ce risque et que ce dernier était susceptible d'empêcher le passage des engins de secours.
7. La mare du Frescot est un bassin tampon dont le bassin versant comprend notamment le terrain d'assiette du lotissement projeté. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'avant prise en compte des aménagements des parcelles AB 350, AB 466 et AB 500, il présente un volume de stockage insuffisant en cas de très fortes pluies, ce qui conduit à des hauteurs d'eau au niveau des voies publiques la longeant pouvant atteindre 30 à 40 cm.
8. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier, notamment du plan masse intitulé " gestion des eaux pluviales " d'avril 2021 joint à la demande et du synoptique hydraulique qu'il contient, ainsi que d'un document intitulé " gestion du risque inondation " que la société France Europe Immobilier a prévu des aménagements hydrauliques sur le terrain d'assiette de son projet de lotissement, afin de pouvoir gérer les eaux de ruissellement. Dans ce cadre, elle a estimé le volume de rétention d'eau nécessaire à 648 m3 et a prévu des ouvrages tampons d'une capacité totale de stockage de 735 m3, se distribuant entre une noue paysagère n°1 pour 140 m3, une noue à redents pour 55 m3, une noue tampon paysagère n°2 pour 340 m3 et des massifs drainants pour 200 m3. Si la commune a estimé cette capacité de stockage insuffisante, elle s'est pour ce faire appuyée sur les conclusions d'une étude réalisée en avril 2022 par la société AntéaGroup pour Le Havre Seine Métropole qui estime quant à elle en sa page 8, l'augmentation des volumes d'eau à stocker en raison du projet de lotissement en litige à seulement 578 m3 (=2 845 -2 267) en cas de pluie centennale. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a estimé la commune de Saint-Romain-de-Colbosc et à ce qu'ont retenu les premiers juges, le projet de lotissement en cause n'est pas de nature à aggraver le risque d'inondation pré-existant.
9. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, notamment du dossier de déclaration préalable qu'elle a déposée au titre de la loi sur l'eau, conformément aux articles L. 214-1 à L. 214¬6 du code de l'environnement, que la société France Europe Immobilier a projeté de céder gratuitement à Le Havre Seine Métropole une partie de la parcelle AB 466 afin que cette dernière y réalise un bassin tampon d'infiltration. Le plan masse d'avril 2021 mentionne bien à cet emplacement une zone enherbée pour débit de fuite et une noue d'infiltration et précise qu'elle est " hors permis d'aménager ". L'étude réalisée par la société AntéaGroup confirme la pertinence de cette localisation, à proximité de la mare du Frescot, et indique que l'infiltration des eaux ruisselées pouvait être privilégiée comme solution technique. Le préfet de la Seine-Maritime a pris le 5 mai 2021, antérieurement au refus de permis d'aménager attaqué, une décision de non-opposition à cette déclaration préalable au titre de la loi sur l'eau déposée par la société France Europe Immobilier. Dans un courriel du 9 septembre 2024, le bureau d'études ayant réalisé le dossier de déclaration préalable déposée par la société immobilière au titre de la loi sur l'eau, Ecotone Ingénierie, a fait valoir que " les problèmes d'inondation du carrefour actuellement récurrents et non imputables [au] projet " avait conduit à ce que ce scénario soit proposé à la police de l'eau, que " ce plan avait été validé par la métropole " et que " ce bassin supplémentaire va significativement améliorer les écoulements extérieurs au projet ". Il n'est en rien contesté en défense que le bassin tampon envisagé en dehors du périmètre du permis d'aménager querellé est ainsi bien de nature à pallier l'insuffisance de la capacité de stockage de la mare du Frescot antérieure au projet litigieux et ainsi à mettre un terme aux inondations liées à ses débordements.
10. De plus, dans un courrier du 19 juin 2024, un autre bureau d'études spécialisé consulté par la société France Europe Immobilier a fait valoir qu'il aurait été loisible au maire de Saint-Romain-de-Colbosc d'exiger que les aménagements hydrauliques sur le terrain d'assiette du projet de lotissement soient calibrés de façon à traiter davantage de pluies de ruissellement et que " cela pouvait tout à fait se réaliser techniquement et sans réel surcoût à l'échelle du projet ".
11. Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier qu'afin de tenir compte du risque d'inondation au niveau de la mare de Frescot, il était possible au maire d'accorder à la société pétitionnaire le permis d'aménager qu'elle sollicitait en l'assortissant de prescriptions spéciales, consistant en la réalisation d'aménagements hydrauliques complémentaires à ceux d'ores et déjà prévus par France Europe Immobilier sur son terrain d'assiette, afin d'assurer la conformité du projet de lotissement litigieux aux dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111¬5 du code de l'urbanisme :
12. Aux termes de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à son importance ou à la destination des constructions ou des aménagements envisagés, et notamment si les caractéristiques de ces voies rendent difficile la circulation ou l'utilisation des engins de lutte contre l'incendie. (...) ".
13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 11 qu'il ressort des pièces du dossier que l'édiction par le maire de prescriptions spéciales portant sur la réalisation d'ouvrages hydrauliques complémentaires à ceux d'ores et déjà prévus par France Europe Immobilier sur son terrain d'assiette, étaient de nature à assurer la conformité du projet de lotissement litigieux aux dispositions précitées dès lors que ces ouvrages pallient le risque d'inondation des voies d'accès au terrain d'assiette du projet.
14. Dans ces conditions et conformément à ce qui a été dit au point 4, la société France Europe Immobilier est fondée à soutenir que le refus de permis d'aménager qui lui a été opposé par le maire de Saint-Romain-de-Colbosc le 2 juillet 2021 est entaché d'erreur d'appréciation dans l'application des articles R. 111-2 et R. 111-5 du code de l'urbanisme.
15. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier. ". Aucun autre moyen n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de la décision contestée.
16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire-droit une expertise judiciaire, que la société France Europe Immobilier est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
17. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la nécessité d'évaluer très précisément le dimensionnement des ouvrages hydrauliques nécessaires à la gestion des eaux pluviales sur le site et à ses abords immédiats, le présent jugement implique seulement d'enjoindre au maire de Saint-Romain-de-Colbosc de procéder à un nouvel examen de la demande de la société France Europe Immobilier, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais des instances :
18. En application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc une somme de 2 000 euros en remboursement des frais exposés par la société France Europe Immobilier et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la commune soit mise à la charge de la société appelante, qui n'est pas la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 6 juillet 2023 et l'arrêté du maire de Saint-Romain-de-Colbosc en date du 2 juillet 2021, ensemble sa décision implicite de rejet du recours gracieux de la société France Europe Immobilier, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au maire de Saint-Romain-de-Colbosc de procéder à un nouvel examen de la demande de la société France Europe Immobilier, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Saint-Romain-de-Colbosc versera à la société France Europe Immobilier la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Saint-Romain-de-Colbosc présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera à la société France Europe Immobilier et à la commune de Saint-Romain-de-Colbosc.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°23DA01749