Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Géry Trenteseaux Investissements a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 24 septembre 2019 par laquelle le président de la métropole européenne de Lille (MEL) a exercé le droit de préemption urbain sur les parcelles cadastrées AP 95, AP 123, AP 156 et AP 157 situées 9 avenue de l'Europe, rue du Gaz et rue du professeur A... à Croix.
Par un jugement n° 1909948 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 24 septembre 2019.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier et 8 février 2023, la MEL, représentée par la SELAS Bignon Lebray, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 novembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande de la société Géry Trenteseaux Investissements ;
3°) de mettre à la charge de la société Géry Trenteseaux Investissements une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de première instance était irrecevable en l'absence d'intérêt pour agir de la société requérante au regard de son objet social ;
- le tribunal a retenu à tort que la décision de préemption litigieuse serait insuffisamment motivée ;
- les autres moyens soulevés en première instance par la société Géry Trenteseaux Investissements ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2023, la société Géry Trenteseaux Investissements, représentée par la SCP F. Savoye et E. Forgeois, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la MEL ;
2°) de confirmer le jugement d'annulation du 10 novembre 2022 ;
3°) de mettre à la charge de la MEL une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- sa seule qualité d'acquéreur évincé lui donne intérêt à agir contre la décision de préemption litigieuse. Au surplus, l'acquisition de la parcelle en cause relevait bien de son objet statutaire ;
- les éléments retenus par le tribunal justifient l'annulation de la décision du 24 septembre 2019 pour insuffisance de motivation ;
- les autres moyens qu'elle a soulevés en première instance et qui tiennent à la méconnaissance des dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme en l'absence de projet réel et préexistant sur le terrain préempté, en l'absence d'intérêt général suffisant et en un détournement de pouvoir sont également de nature à entraîner l'annulation de la décision du 24 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du commerce ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- les conclusions, de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Sule, représentant la métropole européenne de Lille, et de Me Forgeois, représentant la société Géry Trenteseaux Investissements.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte authentique du 20 mars 2019, la société Géry Trenteseaux Investissements a conclu avec la société SOFILO un compromis de vente, au prix de 4 050 000 euros, portant sur un ensemble immobilier situé 9 avenue de l'Europe, rue du Gaz et rue du professeur A... à Croix, d'une surface totale de 44 648 mètres carrés, comprenant notamment des bâtiments à usage de bureaux, de stationnement, d'activités et de restaurant et cadastré AP 95, AP 123, AP 156 et AP 157. Par une décision du 24 septembre 2019, le président de la métropole européenne de Lille (MEL) a exercé son droit de préemption urbain sur ces parcelles. La société Géry Trenteseaux Investissements a demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Lille, qui, par un jugement du 10 novembre 2022, a annulé cette décision (article 1er), a condamné la MEL à verser à la société Géry Trenteseaux Investissements une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et a rejeté le surplus des conclusions des parties (article 3). La MEL interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'office du juge d'appel :
2. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier. ".
3. En vertu des dispositions précitées, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'une décision de préemption en retenant un seul moyen, de se prononcer sur son bien-fondé et d'apprécier s'il justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir réitérée en appel par la MEL et tirée de l'absence d'intérêt à agir de la société Géry Trenteseaux Investissements :
4. La société Géry Trenteseaux Investissements dispose d'un intérêt à agir à l'encontre de la décision de préemption du 24 septembre 2019 en sa qualité d'acquéreur évincé. La circonstance invoquée en défense et tirée de ce que l'acquisition par cette société de l'ensemble immobilier situé 9, avenue de l'Europe, rue du Gaz et rue du professeur A... à Croix ne se rattacherait pas à son objet social ne peut être utilement invoquée par la MEL pour contester cet intérêt à agir.
5. En tout état de cause, l'article 4 des statuts de la société Géry Trenteseaux Investissements inclut dans son objet social " toutes opérations (...) immobilières (...) pouvant se rattacher directement ou indirectement (...) à tout patrimoine social ". Par suite et ainsi que l'ont estimé à raison les premiers juges, la contestation de la décision de préemption attaquée se rattache bien à son objet social.
6. Il en résulte que la MEL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a écarté sa fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir de la société Géry Trenteseaux Investissements.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal et tenant à l'insuffisante motivation de la décision de préemption :
7. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ".
8. Les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 3001 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
9. Lorsqu'une collectivité publique décide d'exercer le droit de préemption urbain pour constituer une réserve foncière à l'intérieur d'un périmètre qu'elle a délimité en vue d'y mener une opération d'aménagement et d'amélioration de la qualité urbaine, les exigences de motivation résultant de l'article L. 210-1 et rappelées au point précédent doivent être regardées comme remplies lorsque la décision fait référence aux dispositions de la délibération délimitant ce périmètre et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut soit indiquer l'action ou l'opération d'aménagement prévue par la délibération délimitant ce périmètre à laquelle la décision de préemption participe, soit renvoyer à cette délibération elle-même si celle-ci permet d'identifier la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement poursuivie.
10. En l'espèce, la décision de préemption attaquée fait référence au projet d'aménagement du secteur élargi " Branche de Croix " et cite la délibération métropolitaine n° 15 C 0382 du 17 avril 2015 qui en a fixé le périmètre. Toutefois, en ce qui concerne la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine au moyen de la préemption des parcelles cadastrées AP 95, AP 123, AP 156 et AP 157, la décision du 24 septembre 2019 se contente de décrire les enjeux généraux associés au projet d'aménagement de ce secteur, consistant en " une déclinaison opérationnelle de la politique Aménagement et de la Trame Verte et Bleue ", de rappeler la polarité du secteur " Branche de Croix ", ainsi que d'évoquer les ambitions transversales de la MEL consistant dans " l'innovation en matière de développement durable, le traitement des pollutions (...), la résorption des friches, (...) le confortement de la trame verte et bleue ". Enfin, elle se borne à indiquer que le droit de préemption est exercé " conformément à l'objectif de renouvellement urbain de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ". ". Ces mentions ne permettent donc pas, à elles seules, de caractériser la nature du projet d'aménagement envisagé par l'établissement public de coopération intercommunale sur les parcelles en litige.
11. Par ailleurs, la décision de préemption litigieuse vise la délibération de Lille Métropole Communauté Urbaine du 1er juillet 2011, devenue la métropole européenne de Lille, qui autorise le lancement d'une étude globale d'aménagement urbain dans le cadre du Plan bleu dans le secteur de Branche de Croix. Si cette délibération atteste ainsi de la volonté d'intervention de la MEL dans ce secteur et comporte un premier diagnostic et quelques orientations très générales, elle ne permet pas de déterminer la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine du secteur dans lequel se situe le bien préempté.
12. La décision de préemption attaquée vise également, ainsi qu'il l'a été dit, la délibération du 17 avril 2015. Celle-ci a pour objet de " prendre en considération les orientations et conclusions de l'étude d'aménagement sur le secteur élargi de la Branche de Croix ", de " reporter le périmètre aux obligations du plan local d'urbanisme " et de " fixer un périmètre permettant d'opposer des sursis à statuer aux demandes d'autorisation d'occupation des sols ". Cette délibération se borne par ailleurs à rappeler que le projet d'aménagement du secteur de la Branche de Croix, qui concerne un vaste ensemble de 79 hectares ne se limitant pas aux parcelles préemptées par la décision contestée, tend à la requalification du territoire et s'appuie sur la renaturation des cours d'eau, le traitement des pollutions tout en créant un vaste espace ouvert au public, une gestion alternative des eaux et des pollutions diffuses, la création de nouveaux espaces de loisirs et la fixation des limites urbanisables du secteur global et son phasage dans le temps. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas même allégué par l'appelante que la délibération du 17 avril 2015 contiendrait en annexe l'étude d'aménagement qu'elle mentionne de manière très générale, sans en indiquer les principales orientations applicables aux terrains préemptés par la décision attaquée. Cette délibération ne permet donc pas non plus d'identifier la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement poursuivie sur les parcelles préemptées par la MEL.
13. Enfin, si la décision du 24 septembre 2019 invoque " les études d'aménagement urbain et le projet d'aménagement du secteur élargi "Branche de Croix" ", cette mention excessivement générale ne permet pas de déterminer les documents précis auxquels il est fait référence. Il est par ailleurs constant que si des études, notamment un schéma directeur d'aménagement rédigé en 2014 et une étude de capacité de juillet 2019, ont en effet permis d'identifier la nature de l'opération d'aménagement envisagée par la MEL sur les parcelles en cause, consistant en un programme mixte de logements et de commerces auquel pourrait être adjoint un équipement public, celles-ci n'ont pas été jointes à la décision de préemption du 24 septembre 2019.
14. Dans ces conditions, alors que l'opération d'aménagement et d'amélioration de la qualité urbaine auquel l'arrêté de préemption aurait vocation à se rattacher n'a été précisée que dans des études produites devant la juridiction, la MEL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du 24 septembre 2019 pour en prononcer l'annulation.
15. Il en résulte, conformément à ce qui a été dit au point 3, que les conclusions présentées en appel par la MEL et tendant à l'annulation du jugement du 10 novembre 2022 du tribunal administratif de Lille doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la MEL une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Géry Trenteseaux Investissements et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la MEL soit mise à la charge de la société intimée, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la métropole européenne de Lille est rejetée.
Article 2 : La métropole européenne de Lille versera à la société Géry Trenteseaux Investissements la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Géry Trenteseaux Investissements est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole européenne de Lille et à la société Géry Trenteseaux Investissements.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°23DA00052