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29/04/2025 | FRANCE | N°24DA01254

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 29 avril 2025, 24DA01254


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... A... D... et M. F... B... C..., représentés par Me Mary, ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du préfet de la Seine-Maritime du 26 avril 2024 les obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel ils seraient reconduits d'office à l'expiration de ce délai.



Par des ordonnances nos 2401889 et 2401893 du 30 mai 2024, la magistrate désignée du trib

unal administratif de Rouen, après avoir admis les intéressés au bénéfice de l'aide juridictionnelle ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... D... et M. F... B... C..., représentés par Me Mary, ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du préfet de la Seine-Maritime du 26 avril 2024 les obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel ils seraient reconduits d'office à l'expiration de ce délai.

Par des ordonnances nos 2401889 et 2401893 du 30 mai 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen, après avoir admis les intéressés au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a prononcé un non-lieu à statuer sur leurs conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte et rejeté les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 27 juin sous le n° 24DA01254, Me Mary demande à la cour d'annuler l'ordonnance n° 2401889 en tant qu'elle rejette les conclusions de la demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros hors taxes au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à lui verser cette somme ainsi que la somme de 1 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure d'appel.

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dès lors que l'abrogation de la décision contestée par le préfet de la Seine-Maritime est intervenue à la suite de la requête introduite devant le tribunal administratif et aux moyens qu'elles contenait, de sorte que l'Etat, partie perdante, doit supporter les frais du litige ; cette requête a impliqué de sa part des diligences, à savoir, l'organisation d'un rendez-vous avec son client, l'introduction du recours dans le délai de quinze jours ou encore, la réunion des pièces nécessaires à son instruction.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Maritime qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Des pièces complémentaires ont été enregistrées le 26 juillet 2024 et communiquées.

II. Par une requête enregistrée le 27 juin 2024 sous le n° 24DA01255, Me Mary demande à la cour d'annuler l'ordonnance n° 2401893 en tant qu'elle rejette les conclusions de la demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros hors taxes au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à lui verser cette somme ainsi que la somme de 1 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure d'appel.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans la requête n° 24DA01254 analysés ci-dessus.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Maritime qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Des pièces complémentaires ont été enregistrées le 26 juillet 2024 et communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- et les conclusions de M. Frédéric Malfoy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... A... D... et M. F... B... C..., ressortissants djiboutiens, déclarent être entrés en France le 28 janvier 2022 accompagnés de leur fils né le 26 septembre 2020. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par une décision du 31 mai 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 10 janvier 2024. Par cette même décision du 10 janvier 2024, la fille du couple, née sur le territoire français le 23 septembre 2023, s'est vue reconnaître la qualité de refugiée. Par des arrêtés du 26 avril 2024, le préfet de la Seine-Maritime les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Les époux ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir ces arrêtés et d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de leur délivrer une carte de résident de dix ans sur le fondement du 4° de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. La magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen, après avoir admis les intéressés, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de leur demande et a rejeté le surplus de leurs conclusions. Leur conseil, Me Mary, relève appel des ordonnances n° 2401889 et n° 2401893 en tant qu'elles rejettent les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes demandées au titre des frais de procès.

2. Les requêtes, enregistrées sous les nos 24DA01254 et 24DA01255, concernent la situation d'un même couple de ressortissants étrangers et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

3. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre / Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. / (...) ".

4. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge d'une personne qui n'est ni tenue aux dépens, ni la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Lorsque les conclusions principales de la requête ont perdu leur objet, il appartient au juge d'apprécier, en fonction des circonstances de l'espèce, si l'autre partie doit être regardée comme la partie perdante à l'instance et de décider s'il y a lieu de faire droit à ces conclusions, en tenant compte, notamment, de l'équité.

5. Par ailleurs, l'article 27 de la loi du 10 juillet 1991, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " L'avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle (...) perçoit une rétribution. / L'Etat affecte annuellement à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive aux missions d'aide juridictionnelle et aux missions d'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles accomplies par les avocats du barreau. / Le montant de la dotation affecté à l'aide juridictionnelle résulte d'une part, du nombre de missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau et, d'autre part, du produit d'un coefficient par type de procédure et d'une unité de valeur de référence. Le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, de cette unité de valeur de référence est fixé, pour les missions dont l'admission à l'aide juridictionnelle est prononcée à compter du 1er janvier 2022, à 36 €. / (...) ". Aux termes de l'article 38 de la même loi : " La contribution versée par l'Etat est réduite, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, lorsqu'un avocat (...) est chargé d'une série d'affaires présentant à juger des questions semblables ". Aux termes de l'article 70 de cette loi : " Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application de la présente loi, et notamment : / (...) 8° Les modalités suivant lesquelles est réduite la part contributive de l'Etat en cas de pluralité de parties au cas prévu par l'article 38 ; (...) ". Selon l'article 86 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles, la contribution de l'Etat à la rétribution des avocats qui prêtent leur concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale " est déterminée par le produit de l'unité de valeur prévue par la loi de finances (UV) et des coefficients, le cas échéant majorés, fixés dans les tableaux figurant en annexe I du présent décret et du taux d'admission à l'aide juridictionnelle ". Le coefficient prévu dans le tableau fixant le barème de rétribution des avocats en matière d'aide juridictionnelle, figurant en annexe I à ce décret, est de 14 pour les recours dirigés contre les mesures prises en matière de droit des étrangers, à l'exception des recours indemnitaires et des référés. Enfin, l'article 92 du décret du 28 décembre 2020 prévoit, dans sa version applicable au litige, que la part contributive versée à l'avocat choisi ou désigné pour assister plusieurs personnes dans une procédure comportant des prétentions ayant un objet similaire, dans les matières autres que pénale, est réduite de 30 % pour la deuxième affaire.

6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le montant de la part contributive de l'Etat à la rétribution d'un avocat au titre de l'aide juridictionnelle, en deçà duquel ne saurait être fixée par le juge administratif la somme mise à la charge de l'autre partie non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, résulte de l'application du barème fixé par l'article 86 du décret du 28 décembre 2020 et, le cas échéant, des réductions prévues par les textes applicables, notamment par les articles 38 de la loi du 10 juillet 1991 et 92 du décret du 28 décembre 2020.

7. Il ressort des termes des ordonnances n° 2401889 et n° 2401893 du 30 mai 2024 que la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation et d'injonction sous astreinte présentées par les requérants, admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en raison de l'abrogation des décisions contestées par des arrêtés du 22 mai 2024 intervenus postérieurement à l'enregistrement des requêtes. Ces arrêtés indiquent qu'ils ont été pris au motif que la fille du couple avait obtenu le statut de réfugié le 10 janvier 2024. A cet égard, le préfet, qui n'a pas produit en appel, ne fait état dans ses écritures de première instance d'aucune circonstance de nature à démontrer qu'il n'aurait pas eu connaissance de cette circonstance antérieurement à l'édiction des arrêtés du 26 avril 2024 alors qu'il est constant que des demandes de titre de séjour ont été présentées respectivement par Mme A... D... et M. B... C... les 2 février et 7 février 2024 en leur qualité de parents d'enfant réfugié. Dans ces conditions, l'abrogation des arrêtés contestés est liée aux instances que les requérants avaient engagées devant le tribunal administratif et, par conséquent, l'Etat doit être regardé comme étant la partie perdante dans ces instances, au sens des dispositions précitées.

8. Il résulte de ce qui précède, et alors qu'aucune considération tirée de l'équité ne faisait obstacle à ce que les frais de procès soient mis à la charge de l'Etat, que Me Mary est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 des ordonnances contestées, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Rouen a rejeté les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

9. Il y a lieu pour la cour, statuant par l'effet dévolutif de l'appel, de mettre à la charge de l'Etat, dans les circonstances de l'espèce, les sommes de 1 000 euros et de 700 euros à verser à Me Mary en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, au titre des instances n° 2401889 et n°2401893 engagées devant le tribunal administratif de Rouen, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridique qui lui a été confiée.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L.761-1 du code de justice administrative au bénéfice de Me Mary. Les conclusions présentées sur ce fondement au titre des instances d'appel doivent donc être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les ordonnances n° 2401889 et n° 2401893 du 30 mai 2024 sont annulées en tant qu'elles rejettent les conclusions des demandes tendant à la condamnation de l'Etat à verser une somme au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 2 : L'Etat versera à Me Mary les sommes de 1 000 euros et de 700 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre des instances n° 2401889 et n° 2401893 engagées devant le tribunal administratif de Rouen, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridique qui lui a été confiée dans ces deux instances.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : : Le présent arrêt sera notifié à Me Mary et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera délivrée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025.

Le président-assesseur,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La présidente de chambre,

Présidente-rapporteure,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

Nos 24DA01254, 24DA01255

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01254
Date de la décision : 29/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre Viard
Rapporteur public ?: M. Malfoy
Avocat(s) : SELARL MARY & INQUIMBERT;SELARL MARY & INQUIMBERT;SELARL MARY & INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-29;24da01254 ?
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