Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C..., agissant en sa qualité de tutrice de M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 26 mars 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer à M. E... un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2403223-2403258 du 19 août 2024, la magistrate désignée du président du tribunal administratif de Rouen a, d'une part, renvoyé à l'examen d'une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de séjour et les conclusions accessoires à celles-ci, et, d'autre part, a annulé les décisions du 26 mars 2024 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et interdisant le retour de M. E... sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2403223 du 14 novembre 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 26 mars 2024 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer à M. E... un titre de séjour.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2024, sous le numéro 24DA01865, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 août 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée pour M. E....
Il soutient que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a accueilli le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité du refus de titre de séjour en ce qu'il méconnaissait les stipulations du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
Par des mémoires enregistrés le 29 novembre 2024 et le 14 février 2025, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a présenté des observations.
Il soutient que :
- le défaut de traitement médical n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- à titre subsidiaire, l'ensemble des produits médicamenteux prescrits à M. E... sont disponibles en Algérie ou peuvent être substitués par des médicaments qui y sont disponibles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2025, M. E..., représenté par Me Madeline, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer sa situation et à ce qu'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé ;
- l'absence de traitement entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- il n'est pas certain qu'il puisse bénéficier d'un traitement effectif en Algérie.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2024.
II. Par une requête enregistrée le 12 décembre 2024, sous le numéro 24DA02461, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 novembre 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée pour M. E....
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le refus de titre de séjour opposé à M. E... méconnaissait les stipulations du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- M. E... ne justifie pas de sa réside habituelle sur le territoire français ;
- la présence en France de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public de sorte qu'il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, sans qu'y fasse obstacle l'absence de saisine préalable de la commission du titre de séjour.
La requête a été communiquée à M. E... qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et des membres de leur famille ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. E..., ressortissant algérien né le 4 janvier 2002, a déclaré être entré sur le territoire français le 24 juillet 2015. Le 5 mai 2021, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par un arrêté du 19 janvier 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour d'une durée de trois ans. Par un arrêt du 27 juin 2023, devenu définitif, cette cour a annulé cet arrêté au motif que le défaut de prise en charge médicale devait être regardé comme entraînant, pour M. E..., des conséquences d'une exceptionnelle gravité au sens du 7° de l'article 6 des stipulations de l'accord franco-algérien, et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de l'intéressé au regard de son droit au séjour.
2. En exécution de cet arrêt, le préfet de la Seine-Maritime, après avoir recueilli le 5 décembre 2023 un nouvel avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), a refusé de délivrer à M. E... le titre de séjour qu'il avait sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
3. Par deux requêtes distinctes, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler les jugements des 19 août 2024 et 14 novembre 2024 par lesquels la magistrate désignée par le tribunal administratif de Rouen et ce tribunal ont annulé l'arrêté du 24 mars 2024, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. E... au regard de son droit au séjour et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros au titre des frais liés au litige.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
4. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) "
5. D'une part, il ressort des pièces des dossiers que par un arrêt du 27 juin 2023, la cour a annulé un précédent arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 19 janvier 2022 refusant à M. E... la délivrance d'un certificat de résidence pour motif de santé. Cet arrêt n'a enjoint au préfet de la Seine-Maritime que de réexaminer la demande de titre du requérant et n'impliquait donc pas la délivrance d'un titre de séjour. L'arrêté en litige a été pris à la suite d'une nouvelle instruction de la situation personnelle de M. E..., sur le fondement de nouveaux éléments relatifs à son état de santé et, en particulier, au regard d'un nouvel avis du collège de médecins de l'OFII. Par suite, au vu de ces circonstances nouvelles, le refus de séjour contesté du 26 mars 2024 n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt de la cour du 27 juin 2023.
6. D'autre part, pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme E... sur le fondement de ces stipulations, le préfet de la Seine-Maritime a notamment relevé que, par un avis rendu le 5 décembre 2023, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de cet avis, M. E... pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine, l'Algérie.
7. Si M. E... souffre de troubles du comportement en lien avec une déficience intellectuelle modérée et un trouble grave de la personnalité de type psychopathique, il ressort des pièces du dossier, notamment d'une expertise médicale du 23 décembre 2020, que les troubles de l'intéressé sont incurables et qu'aucune amélioration de sa déficience cognitive ni de ses conduites agressives ne peut être attendue. Ainsi que le relève l'OFII dans ses écritures produites devant la cour, le traitement médicamenteux sédatif administré à l'intéressé et l'accompagnement dont il fait l'objet ont pour seul effet de contrôler son impulsivité et son agressivité.
8. Il ressort en outre des pièces du dossier, notamment des indications fournies par l'OFII, que le traitement administré à M. E... à la date de l'arrêté attaqué, tel qu'il résulte des ordonnances du 2 novembre 2013 et du 12 mars 2014, et non pas des ordonnances plus anciennes ou postérieures à cet arrêté, composé de deux antipsychotiques, d'un régulateur de l'humeur, d'une benzodiazépine hypnotique et d'un antiépileptique, était disponible en Algérie ou que des produits strictement équivalents, dans les mêmes classes pharmacologiques, sont disponibles dans ce pays, ce que ne contredit pas l'intimé par les seuls éléments qu'il produit. Il ressort également des éléments fournis par l'OFII que le suivi psychiatrique, ambulatoire ou hospitalier, est également disponible en Algérie, dans plusieurs établissements hospitaliers, contrairement à ce que soutient M. E....
9. Si M. E... soutient qu'il ne disposerait pas des moyens financiers lui permettant de disposer de soins appropriés dans son pays d'origine, il n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation et, en particulier, il n'établit pas, ni même ne soutient, qu'il ne pourrait pas être affilié à la sécurité sociale algérienne.
10. Dans ces conditions, et à supposer même que le défaut de prise en charge médicale soit susceptible d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour l'intéressé, il ressort des pièces du dossier que M. E... peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
11. Il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition de résidence habituelle de l'intéressé en France, que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 pour annuler l'arrêté du 26 mars 2024.
12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les autres moyens soulevés par M. E... :
13. En premier lieu, conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1 et L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles sont fondées ses différentes décisions. Cet arrêté est, dès lors, suffisamment motivé.
14. En deuxième lieu, il ne ressort ni de cette motivation, ni d'aucune autre pièce du dossier qu'avant de prendre la mesure d'éloignement en litige, le préfet de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. E... au vu des éléments portés à sa connaissance ni qu'il aurait méconnu les dispositions de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, le préfet, avant de prendre l'arrêté contesté, a recueilli le 5 décembre 2023, l'avis du collège de médecins de l'OFII.
16. En quatrième lieu, M. E... ne satisfaisant pas, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, aux conditions posées par les stipulations du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le préfet de la Seine-Maritime n'était pas tenu de saisir préalablement à sa décision, la commission du titre de séjour. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.
17. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. E... a, entre 2018 et 2023, fait l'objet de dix condamnations pénales pour des faits notamment de vol et de violences avec usage ou menace d'une arme et de violences aggravées sur une personne dépositaire de l'autorité publique. Compte tenu de la gravité de ces faits, de leur caractère récent et répété, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le préfet de la Seine-Maritime a pu retenir que le comportement de M. E... caractérisait une menace à l'ordre public.
18. En sixième lieu, M. E... fait valoir que sa mère et ses frères vivent en France, et que la présence de sa mère à ses côtés est indispensable compte tenu de son état de santé. Toutefois, M. E..., célibataire et sans enfant, n'établit pas que sa mère, de même nationalité, ne pourrait pas l'accompagner dans son pays d'origine ni même qu'elle serait en situation régulière sur le territoire français au regard de son droit au séjour. Il n'établit pas davantage, ni même ne soutient, que cette aide ne pourrait pas lui être fournie par une personne extérieure. En outre, à supposer même que sa pathologie soit à l'origine de son comportement délictuel, M. E... ne justifie d'aucune intégration dans la société française.
19. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de M. E... en France, et eu égard au fait qu'il a vécu pour l'essentiel en Algérie, l'arrêté litigieux n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts, notamment d'ordre public, en vue desquels il a été pris. Il n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
20. Pour les motifs qui ont été exposés aux points précédents, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de son arrêté sur la situation personnelle de l'intéressé en refusant de l'admettre au séjour, en l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et en interdisant son retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
21. En dernier lieu, compte tenu des éléments mentionnés précédemment, M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire serait illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour, ni que les décisions refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et interdisant son retour pour une durée de trois ans seraient illégales en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen et ce tribunal ont annulé l'arrêté du 26 mars 2024, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. E... et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros au titre des frais liés au litige.
23. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. E... tendant à l'annulation de cet arrêté, celles aux fins d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 19 août 2024 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen et le jugement du 14 novembre 2024 du tribunal administratif de Rouen sont annulés.
Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Madeline.
Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Maritime et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. D...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°24DA01865,24DA02461