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03/04/2025 | FRANCE | N°24DA02568

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 03 avril 2025, 24DA02568


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... A..., épouse C..., a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 mai 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un mois.



Par un jug

ement n°2402652 du 26 novembre 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A..., épouse C..., a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 mai 2024 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un mois.

Par un jugement n°2402652 du 26 novembre 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme C..., condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- sa décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ne repose pas principalement sur l'entrée irrégulière de Mme C... sur le territoire français en l'absence de déclaration lors de son entrée ;

- Mme C... ne remplit pas les conditions de l'article L. 426-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle n'a pas fait sa demande de titre dans les trois mois suivant son entrée en France, qu'elle ne justifie pas de ressources suffisantes et stables, en l'absence d'emploi, et qu'elle ne démontre pas disposer d'une assurance maladie ;

- elle ne peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle relève de la procédure du regroupement familial et ne se prévaut d'aucune insertion particulière dans la société française.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2024, Mme C..., représentée par Me Cécile Madeline, conclut :

1°) à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) au rejet de la requête ;

3°) à l'annulation de l'arrêté du 28 mai 2024 ;

4°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros hors taxe à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, la somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :

- elle repose sur une erreur de fait relative à son entrée sur le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que compte tenu de l'emploi de son conjoint, en situation régulière, elle doit s'occuper de leurs trois enfants et ne peut retourner dans son pays d'origine pour initier une procédure de regroupement familial, que ses enfants sont scolarisés en France, que son frère et sa sœur vivent en France en situation régulière, qu'elle est intégrée et bénéficie d'une promesse d'embauche en qualité d'assistance comptable ;

- pour les mêmes raisons, elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations du 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 621-1 et R. 621-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle procède d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 621-1 et R. 621-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle procède d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle procède d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai du 6 mars 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante tunisienne née le 27 juin 1986, est entrée en France, selon ses déclarations le 11 juillet 2019. Le 14 février 2024, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 28 mai 2024, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui accorder le titre de séjour sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdite de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois.

2. A la demande de Mme C..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté par un jugement du 26 novembre 2024. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :

3. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 mars 2025. Il n'y a pas lieu en conséquence de statuer sur sa demande d'aide juridictionnelle provisoire.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

4. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à Mme C..., le préfet de la Seine-Maritime a estimé, après avoir indiqué que Mme C... était entrée irrégulièrement sur le territoire français, que l'intéressé, qui n'avait pas déposé sa demande de titre de séjour dans les trois mois qui ont suivi son entrée en France, ne remplissait pas les conditions de l'article L. 426-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et qu'au regard de sa situation familiale, professionnelle et personnelle, elle ne remplissait pas davantage les conditions des articles L. 423-23 et L 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Aux termes de l'article L. 621-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger en provenance directe du territoire d'un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 peut se voir appliquer les dispositions de l'article L. 621-2 lorsqu'il est entré ou a séjourné sur le territoire français sans se conformer aux stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 19, du paragraphe 1 de l'article 20, et des paragraphes 1 et 2 de l'article 21, de cette convention, relatifs aux conditions de circulation des étrangers sur les territoires des parties contractantes, ou sans souscrire, au moment de l'entrée sur ce territoire, la déclaration obligatoire prévue par l'article 22 de la même convention, alors qu'il était astreint à cette formalité ". Aux termes de l'article R. 621-4 du même code : " N'est pas astreint à la déclaration d'entrée sur le territoire français l'étranger qui se trouve dans l'une des situations suivantes : / (...) 2° Est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, d'une durée supérieure ou égale à un an, délivré par un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ; toutefois un arrêté du ministre chargé de l'immigration peut désigner les étrangers titulaires d'un tel titre qui demeurent astreints à la déclaration d'entrée ".

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... était, lors de son entrée en France le 11 juillet 2019, titulaire d'un titre de séjour italien résident longue durée délivré le 7 février 2019 de sorte qu'elle n'était pas astreinte à la déclaration d'entrée sur le territoire français en application des dispositions précitées.

7. Si l'arrêté en litige a ainsi relevé à tort que Mme C... était entrée de manière irrégulière sur le territoire français, faute d'avoir déclaré son entrée aux autorités compétentes, il résulte toutefois de l'instruction que le préfet, qui n'a pas principalement fondé sa décision refusant la délivrance d'un titre de séjour sur ce motif, aurait pris la même décision sans commettre cette erreur.

8. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme C... était entachée d'illégalité pour ce motif.

9. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... et son époux, avec lequel elle est mariée depuis 2011, tous deux titulaires d'un titre de séjour italien de longue durée, sont entrés en France le 11 juillet 2019 accompagnés de leurs deux premiers enfants nés en 2015 et 2016 et que le couple, dont la vie commune n'est pas contestée, a accueilli un troisième enfant en 2022. Il ressort également des pièces du dossier que le conjoint de Mme C..., qui disposait d'un contrat à durée indéterminée en qualité de technicien monteur réseaux mobiles depuis le 25 juin 2020 et qui subvebait aux besoins de la famille, était titulaire, à la date de l'arrêté attaqué, d'un titre de séjour pluriannuel valable jusqu'au 8 octobre 2024 et renouvelé depuis cette date jusqu'au 8 octobre 2028. Enfin, Mme C... fait état de liens étroits avec son frère et sa sœur qui séjournent en France en situation régulière.

12. Dans ces conditions, même si la procédure de regroupement familial n'a pas été initiée, l'arrêté attaqué a porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C... une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par Mme C..., que le préfet n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal a annulé son arrêté.

Sur l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative :

14. Eu égard au motif d'annulation retenu et en l'absence de circonstance nouvelle depuis l'arrêté attaqué y faisant obstacle, il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme C... dans les deux mois suivant la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

15. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le jugement attaqué, par son article 2, a fait injonction au préfet de réexaminer la demande de Mme C....

Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

16. Mme C... ayant été admise à l'aide juridictionnelle, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à Me Madeline sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme C... au titre de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme C... dans les deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement du 26 novembre 2024 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Cécile Madeline, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 5 : La requête du préfet de la Seine-Maritime et le surplus des conclusions de Mme C... sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Seine-Maritime, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à Mme E... A..., épouse C..., et à Me Cécile Madeline.

Délibéré après l'audience publique du 20 mars 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président assesseur,

- Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.

La rapporteure,

Signé : A. Minet Le président de chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°24DA02568


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA02568
Date de la décision : 03/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Alice Minet
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-03;24da02568 ?
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