Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B..., représenté par Me Marseille, a demandé au tribunal administratif de Lille :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 mars 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2302276 du 24 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire en son article 1er et a rejeté le surplus de sa demande en son article 2.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Marseille, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 juillet 2023 en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 mars 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête n'est pas tardive.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale dès lors qu'il justifie relever des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui instituent un titre de séjour de plein droit,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant,
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi de délai de départ volontaire :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français,
- elle est insuffisamment motivée,
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Le préfet du Nord a produit des pièces, qui ont été enregistrées le 8 novembre 2023.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. B... le 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Thulard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant sénégalais né le 20 février 1999 à Feteniebe (Sénégal) a fait l'objet le 12 mars 2023 d'un arrêté du préfet du Nord portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation de son pays de destination et interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Lille qui, par un jugement du 24 juillet 2023, a rejeté en son article 2 ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte. M. B... interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. B..., qui fait valoir être entré en France le 20 février 2015, démontre par les pièces qu'il produit, notamment un certificat d'inscription scolaire pour l'année 2016/2017, y résider depuis pour le moins septembre 2016, soit près de 7 ans à la date de la décision attaquée et depuis ses 17 ans. Il a gagné la France pour y rejoindre sa mère, qui avait obtenu le 12 décembre 2012 le bénéfice de la protection subsidiaire en raison de menaces de mort et de mauvais traitements répétés infligés par son époux, ainsi que cela ressort de la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du même jour. Sa mère réside depuis lors légalement sur le territoire national, en dernier lieu sous couvert d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 13 mars 2027. M. B... a également rejoint l'ensemble de ses frères et sœurs, nés en 2002, 2004 et 2006. Sa sœur aînée a obtenu à sa majorité une carte de séjour en qualité de membre de la famille d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire et résidait ainsi régulièrement en France à la date de la décision attaquée. Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal dans son jugement attaqué, il ressort de plusieurs pièces du dossier, dont les certificats d'inscription scolaires de M. B... à compter de l'année 2020-2021 qui mentionnent comme adresse de l'appelant celle de sa mère au 16 rue Masséna à Roubaix, que l'intéressé est hébergé depuis de nombreuses années par celle-ci et qu'il cohabite avec ses frères et sœurs, avec lesquels il entretient donc nécessairement des liens particuliers. Enfin, s'il est constant que son père n'est pas décédé, M. B... a fait valoir que ni-lui ni les autres membres de sa famille n'entretenaient plus de liens avec lui depuis 2007. Cette circonstance est corroborée par les motifs ayant conduit la mère de l'appelant à quitter le Sénégal tels que mentionnés dans la décision de l'OFPRA du 12 décembre 2012 et elle n'a pas été remise en cause sérieusement par le préfet du Nord, qui n'a pas produit de mémoire en défense ni en première instance ni en appel. Il ressort enfin des pièces du dossier, notamment d'une attestation du service social en faveur des élèves de l'Education nationale en date du 28 mars 2023 et de ses bulletins scolaires, que M. B... a été un élève assidu et au comportement exemplaire depuis son entrée en France et qu'il a notamment validé en juin 2022 un CAP Monteur Installation Sanitaire. Il était inscrit à la date de la décision attaquée en CAP carreleur mosaïste et obtenait de bons résultats avec une moyenne générale de 13 / 20 au 1er trimestre et de 15,45 au second.
4. Par suite, dans les circonstances très particulières de l'espèce, compte tenu notamment de l'absence de tout lien familial effectif du requérant dans son pays d'origine depuis de très nombreuses années, de son jeune âge à son arrivée en France et du caractère régulier de la présence de sa mère et de l'ensemble de sa fratrie sur le territoire national, la décision portant obligation de quitter le territoire français litigieuse a porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de M. B..., que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 12 mars 2023 par laquelle le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, ainsi que, par suite, de ses décisions du même jour portant fixation du pays de destination et interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
7. Le présent arrêt implique ainsi nécessairement d'enjoindre au préfet du Nord de délivrer à M. B... sans délai une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai qu'il convient de fixer à deux mois à compter de la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance d'appel :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et, sous réserve que l'avocat de l'appelant renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Marseille.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 24 juillet 2023 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 2 : L'arrêté du 12 mars 2023 par lequel le préfet du Nord a fait obligation à M. B... de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. B... sans délai une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Marseille, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Marseille renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié M. A... B..., à Me Marseille, au ministre de l'intérieur et au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 6 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
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N°23DA02032