Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse devant le tribunal administratif :
La commune de Forges-les-Eaux a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la SA Groupe Bigard à lui verser une indemnité de 1 478 009,60 euros au titre de l'occupation irrégulière de l'abattoir municipal et de ses dépendances du 1er mars 2010 au 19 novembre 2015 et des frais de leur remise en état.
Par un jugement n°1703462 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné la SA Groupe Bigard à verser à la commune de Forges-les-Eaux la somme de 1 147 294,40 euros à ce titre, a assorti cette somme des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017 et a ordonné la capitalisation de ces intérêts en son article 1er , a mis les frais d'expertise qui avaient été taxés et liquidés à la somme totale de 18 380,95 euros par ordonnance du 14 juin 2016, à la charge définitive de la SA Groupe Bigard, a assorti cette somme des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017 et a ordonné la capitalisation de ces intérêts en son article 2, a condamné la SA Groupe Bigard à verser à la commune de Forges-les-Eaux une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en son article 3 et a rejeté le surplus des conclusions de la commune de Forges-les-Eaux en son article 4.
Procédure contentieuse devant la cour avant cassation :
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2020 sous le n°20DA00590, et des mémoires, enregistrés les 29 janvier et 15 avril 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SA Groupe Bigard, représentée par la SELARL Le Roy-Gourvennec-Prieur, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes de la commune de Forges-les-Eaux ;
3°) à titre subsidiaire, de la condamner à verser à la commune de Forges-les-Eaux une indemnité n'excédant pas la somme de 80 974,30 euros, soit 1 562,30 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public de décembre 2011 à janvier 2015 et 79 412 euros hors taxes au titre du coût de remise en activité de l'abattoir, et de rejeter le surplus des conclusions de la commune de Forges-les-Eaux ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Forges-les-Eaux la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la responsabilité au titre de l'occupation sans titre du domaine public :
- le tribunal a commis des erreurs sur l'évaluation du préjudice ;
- la commune a acté sa volonté de maintenir la société dans les lieux à titre gratuit ;
- la créance est prescrite ;
- la commune a commis une faute exonératoire de responsabilité ;
- l'évaluation du montant du préjudice est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.
S'agissant de la responsabilité au titre de la remise en état du domaine public :
- le montant réclamé par la commune est en partie injustifié ;
- il convient de prendre acte de ce que la commune accepte la somme de travaux de remise en état du site, telle que retenue par le tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 19 mars 2021, la commune de Forges-les-Eaux, représentée par Me Isabelle Enard- Bazire, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SA Groupe Bigard de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Une note en délibéré a été présentée pour la SA Groupe Bigard par la SELARL Le Roy-Gourvennec-Prieur le 30 mars 2022 et n'a pas été communiquée.
Par un arrêt du 12 avril 2022, la cour a rejeté la requête de la SA Groupe Bigard et l'a condamnée à verser à la commune de Forges-les-Eaux une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une décision n°464879 du 5 juin 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé, à la demande de la SA Groupe Bigard, cet arrêt du 12 avril 2022 en tant qu'il statue, d'une part, sur le montant de l'indemnité due à raison de l'occupation sans droit ni titre du domaine public au cours de la période comprise entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011 et, d'autre part, sur le montant de l'indemnité due à raison des frais de remise en état du domaine public, et a renvoyé, dans la mesure de l'annulation prononcée, l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°23DA01056.
Procédure contentieuse devant la cour après cassation :
Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2023, la commune de Forges-les-Eaux, représentée par Me Enard Bazire, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 janvier 2020 en tant qu'il limite à 95 408,40 euros l'indemnisation qui lui est due au titre des frais de remise en état du domaine public et retient une indemnisation au titre de l'indemnité d'occupation qui lui est due par la SA Groupe Bigard antérieurement au 15 novembre 2011 qu'au titre de la période débutant le 1er mars 2010, sur le fondement d'un montant annuel de 184 000 euros ;
2°) de condamner la SA Groupe Bigard à lui verser les sommes de 757 918,83 euros au titre de l'indemnité d'occupation qui lui est due antérieurement au 15 novembre 2011 et de 238 634,40 euros TTC au titre des frais de remise en état du domaine public ;
3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017 ;
4°) de mettre à la charge de la SA Groupe Bigard une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- une indemnité d'occupation lui est due en principe par la SA Groupe Bigard, conformément à l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, au titre de la période comprise entre le 1er mars 2008 et le 15 novembre 2011 pour l'abattoir et au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2006 et le 15 novembre 2011 pour l'atelier de découpe ;
- aucune cause exonératoire ne peut en l'espèce être retenue dès lors qu'elle a toujours été claire dans sa volonté de maintenir l'activité de l'abattoir et de ses annexes et que la SA Groupe Bigard ne pouvait ignorer le caractère public de cet abattoir jusqu'au 22 février 2010, date d'abrogation de l'arrêté du 22 novembre 1968 qui fixait la liste des abattoirs publics ;
- l'indemnité d'occupation doit être fixée à un montant annuel de 184 000 euros ;
- il y a lieu par conséquent de condamner la SA Groupe Bigard à lui verser une somme totale de 757 918,83 euros au titre de l'indemnité d'occupation due jusqu'au 15 novembre 2011 ;
- il y a par ailleurs lieu de condamner la SA Groupe Bigard à lui verser une somme au titre des frais engagés pour la remise en état des lieux ;
- elle est fondée à solliciter à ce titre les sommes de :
* 9 790 euros HT au titre de la reprise de l'étanchéité de la toiture ;
* 19 684 euros HT au titre des travaux de grattage, de brossage manuel et de peinture intérieure ;
* 3 600 euros HT au titre des travaux de nettoyage extérieur ;
* 21 450 euros HT au titre du brossage et nettoyage des rails corrodés ou oxydés ;
* 2 615 euros HT au titre de la remise en état des plafonds des bureaux ;
* et 141 723 euros HT au titre de la remise en état de la ligne d'abattage porcin ;
- dans ces conditions, il y a lieu de condamner la SA Groupe Bigard à lui verser la somme de 198 862 euros HT, soit 238 634,40 euros TTC, au titre des frais de remise en état.
Par un mémoire, enregistré le 4 mars 2024, la SA Groupe Bigard, représentée par la SELARL Le Roy, Gourvennec, Prieur, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 janvier 2020 ;
2°) à titre principal, de rejeter l'ensemble des demandes de la commune de Forges-les-Eaux ;
3°) à titre subsidiaire, de fixer l'indemnité d'occupation due à la commune de Forges à 737 553 euros pour la période du 1er mars 2010 au 19 novembre 2015, de fixer l'indemnité qui lui est due au titre des frais de remise en état du domaine public à 68 566,88 euros TTC et de rejeter le surplus des conclusions de la commune ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Forges-les-Eaux une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la commune de Forges-les-Eaux a commis des fautes en sa qualité de gestionnaire de son domaine public qui sont de nature à l'exonérer du paiement d'une indemnité d'occupation dès lors qu'elle s'est abstenue de lui réclamer une redevance d'occupation après le 1er mars 2010, date à laquelle expirait le bail à construction qu'elle avait conclu relativement aux abattoirs, qu'elle ne l'a pas mise en demeure de quitter les lieux ni même ne lui a demandé de régulariser sa situation, et ce alors qu'elle avait conclu avec elle en 2009 une convention relativement à l'occupation des entrepôts frigorifiques, et, enfin, qu'elle l'a laissée effectuer des travaux d'entretien et d'aménagement ;
- ces fautes sont de nature à l'exonérer totalement du paiement de l'indemnité en principe due à la commune au titre de l'occupation irrégulière de son domaine public entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011 ;
- les conclusions indemnitaires tendant à sa condamnation au titre de la période antérieure au 1er mars 2010 ont été présentées pour la première fois par la commune dans son mémoire du 29 septembre 2023 et sont irrecevables, dès lors que le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé le jugement de l'affaire à la cour dans cette mesure et qu'en outre, il s'agit de demandes nouvelles en appel. Au surplus, cette créance est prescrite et elle s'est déjà acquittée de redevances en 2007 et 2008, si bien que cette demande est également dépourvue de bien-fondé ;
- dans ces conditions, aucune indemnisation n'est due à la commune de Forges-les-Eaux au titre de la période antérieure au 15 novembre 2011, si bien qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué en ne retenant au titre de l'indemnité d'occupation qui lui est due qu'une somme de 737 553 euros ;
- en ce qui concerne les travaux de remise en état du domaine public, elle ne conteste pas les montants sollicités par la commune, à la seule exception de la remise en état de la ligne d'abattage porcin qui n'a pas été retenue comme imputable par le sapiteur désigné dans le cadre de l'expertise judiciaire. Dans ces conditions, il y a lieu de fixer la somme due à ce titre à 57 139 euros HT, soit 68 566,88 euros TTC.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil,
- le code général de la propriété des personnes publiques,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- les conclusions, de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Lecom, représentant la SA Groupe Bigard, et de Me Colliou, représentant la commune de Forges-les-Eaux.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Forges-les-Eaux a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société anonyme (SA) Groupe Bigard à l'indemniser, d'une part, à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'occupation sans titre, entre le 1er mars 2010 et le 19 novembre 2015, d'un abattoir et d'un atelier de découpe constituant des dépendances de son domaine public, d'autre part, à raison des frais exposés pour la remise en état de ces locaux. Par un jugement du 30 janvier 2020, le tribunal a condamné la société à verser à la commune la somme totale de 1 147 294,40 euros à ces deux titres, assortie des intérêts moratoires, a ordonné la capitalisation de ces intérêts, a mis à la charge définitive de la SA Groupe Bigard les frais d'expertise judiciaire et a condamné la société à verser à la commune de Forges-les-Eaux une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un arrêt du 12 avril 2022 n°20DA00590, la cour a rejeté l'appel que la SA Groupe Bigard avait formé contre ce jugement.
2. Par une décision n°464879 du 5 juin 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé, à la demande de la SA Groupe Bigard, cet arrêt du 12 avril 2022 en tant qu'il statue, d'une part, sur le montant de l'indemnité due à raison des frais de remise en état du domaine public, et, d'autre part, sur le montant de l'indemnité due à raison de l'occupation sans droit ni titre du domaine public au cours de la période comprise entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011 et a renvoyé, dans la mesure de l'annulation prononcée, l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°23DA01056.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la remise en état du domaine public :
S'agissant du principe de l'indemnisation :
3. Il résulte des règles générales de la domanialité publique que l'occupant sans titre d'une dépendance du domaine public est tenu de la remettre en état. À défaut, la personne publique propriétaire est fondée à demander la condamnation de l'occupant à l'indemniser des frais de remise en état correspondants.
4. Il résulte de l'instruction que la commune de Forges-les-Eaux a donné à bail à construction à la Société d'abattage du pays de Bray, le 27 février 1990, un abattoir, une station de prétraitement des eaux et un local de désossage situés au lieu-dit Le Champ Vecquemont, pour une durée de 18 ans. Elle a également conclu avec la société Vianor le 27 septembre 1988 et pour une durée de 15 ans puis avec la société Arcadie Centre Est en 1999 et pour une durée de 7 ans un contrat de crédit-bail portant sur l'atelier de découpe situé sur le même lieu-dit, qui constitue une dépendance de l'abattoir. La société Arcadie Centre Est, venue aux droits de la société Vianor et de la Société d'abattage du pays de Bray, a cédé le fonds de commerce de l'abattoir de Forges-les-Eaux et de ses dépendances à la SA Groupe Bigard le 21 novembre 2006.
5. Cet abattoir et cet atelier de découpe constituent des dépendances du domaine public communal, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 376864 en date du 13 février 2015.
6.
Il en résulte qu'en l'absence de toute convention autorisant régulièrement cette occupation de dépendances du domaine public pour le moins à compter de 2008, la SA Groupe Bigard avait bien la qualité d'occupant sans titre du domaine public jusqu'à son départ effectif des lieux le 19 novembre 2015.
7. Par conséquent, il y a lieu de condamner ladite société à indemniser la commune des frais de remise en état de l'abattoir et de ses dépendances, sans procéder à la compensation de cette créance par une éventuelle dette que l'appelante détiendrait sur l'intimée dès lors que l'inapplicabilité aux personnes publiques des voies d'exécution de droit commun, rappelée par l'article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques, y fait obstacle.
S'agissant du montant de l'indemnisation due à ce titre par la SA Groupe Bigard à la commune de Forges-les-Eaux :
8. Il résulte de l'instruction, notamment d'un rapport d'un sapiteur désigné par une ordonnance du président du tribunal administratif de Rouen le 2 février 2015, que les frais de remise en état des installations de l'abattoir et de l'atelier de découpe incluent 9 790 HT euros au titre des travaux de nettoyage et réfection des chéneaux et d'étanchéité, 19 684 HT euros au titre des travaux de grattage, brossage manuel et peinture, 3 600 HT euros au titre des travaux de nettoyage extérieur, 21 450 HT euros au titre des travaux de nettoyage des rails, 2 615 HT euros au titre des travaux de réhabilitation des bureaux, consistant dans le remplacement de quatre-vingts dalles de plafond, de la laine de verre et du pare-vapeur, et 26 890 HT euros au titre de l'installation d'une épileuse-échaudeuse sur la ligne d'abattage des porcs. L'utilité de ces travaux pour la remise en état des installations de l'abattoir n'est pas contestée par la société Bigard.
9. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'avant la remise des clés à la commune, la société Bigard a procédé à des travaux de reprise partielle des défauts constatés par le sapiteur, à savoir le remplacement de 30 dalles de plafond dans les bureaux pour un montant hors taxes de 675 euros et des travaux d'étanchéité des chéneaux et de la toiture pour un montant hors taxes de 3 942 euros. S'il ressort notamment des constatations du sapiteur que ces travaux ne sont pas suffisants pour remédier aux désordres constatés, il n'est pas contesté qu'ils ont contribué à y remédier partiellement, et la société Bigard est donc fondée à soutenir que les sommes correspondantes, d'un montant total de 4 617 euros HT, doivent être déduites de l'indemnité qu'elle doit à la commune de Forges-les-Eaux.
10. Dans le dernier état de ses écritures, la commune de Forges-les-Eaux réclame en outre la somme de 137 799,60 euros toutes taxes comprises au titre de la remise en état de la ligne d'abattage porcin. Toutefois, le sapiteur n'a estimé justifiés, s'agissant de la ligne d'abattage porcin, que les travaux d'installation d'une épileuse-échaudeuse mentionnés au point précédent, et a expressément rejeté le devis sur lequel se fonde la commune dans ses écritures en indiquant qu'il " est inacceptable car il vise l'installation d'un nouveau système sans rapport avec ce qui préexistait " et qu'il concerne " une amélioration très substantielle et non le remontage du système d'origine ". Aucune autre pièce du dossier ne vient contredire ces conclusions du sapiteur, si bien que cette demande de la commune doit être rejetée comme ne visant pas à la remise en état du domaine public.
11.
Par suite, la commune de Forges-les-Eaux est fondée à réclamer à la SA Groupe Bigard une indemnisation d'un montant de 79 412 euros HT. Dans le dernier état de ses écritures, l'appelante ne conteste plus l'assujettissement de cette somme à la taxe sur la valeur ajoutée. En toute hypothèse et ainsi que l'avait jugé à raison le tribunal dans son jugement attaqué, si, en application de l'article 260 A du code général des impôts, les collectivités territoriales peuvent, sur leur demande, être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'activité de leurs abattoirs publics, l'indemnité à laquelle est condamné le groupe Bigard au titre des frais de remise en état de l'abattoir municipal est due à la commune en tant que propriétaire du domaine public et non en tant qu'exploitant de l'abattoir. Par suite, il y a bien lieu d'augmenter la somme de 79 507 euros du montant de ladite taxe et ainsi de fixer l'indemnité due à la commune à la somme de 95 294,40 euros TTC.
En ce qui concerne la réparation du préjudice résultant de l'occupation sans titre du domaine public antérieurement au 15 novembre 2011 :
S'agissant du cadre juridique applicable :
12. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ". Aux termes de l'article L. 2125-1 du même code : " Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance (...) ". Aux termes de l'article L. 2125-3 de ce code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ". L'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant qui l'oblige à réparer le dommage causé au gestionnaire de ce domaine par cette occupation irrégulière. Le gestionnaire du domaine public est fondé à réclamer à ce titre à l'occupant irrégulier une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. A cette fin, il doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l'occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de la dépendance concernée du domaine public.
13. D'autre part, lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public n'a pas mis l'occupant irrégulier en demeure de quitter les lieux, ne l'a pas invité à régulariser sa situation ou a entretenu à son égard une ambiguïté sur la régularité de sa situation, ces circonstances, si elles ne sauraient faire obstacle, dans son principe, au droit du gestionnaire du domaine public à la réparation du dommage résultant de cette occupation irrégulière, sont de nature, le cas échéant, à constituer une cause exonératoire de la responsabilité de l'occupant, dans la mesure où ce comportement du gestionnaire serait constitutif d'une faute.
S'agissant du montant des redevances qui auraient été appliquées à la SA Groupe Bigard si elle avait été placée dans une situation régulière :
14. Ainsi que l'ont jugé la cour dans son arrêt du 12 avril 2022 et le Conseil d'Etat statuant au contentieux dans sa décision du 5 juin 2023 et comme il est d'ailleurs constant entre les parties dans le dernier état de leurs écritures, le montant des redevances qui auraient été appliquées à la SA Groupe Bigard en cas d'occupation régulière du domaine public ne peut être établi par référence aux loyers prévus par les contrats mentionnés au point 4, pas plus que par les délibérations du 2 février 2015 par lesquelles le conseil municipal de Forges-les-Eaux a fixé rétroactivement le tarif des redevances d'occupation de l'abattoir et de l'atelier de découpe pour la période litigieuse en retenant le montant du dernier loyer acquitté par la SA Groupe Bigard en application de mêmes contrats, actualisé par référence à l'indice des loyers commerciaux, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les loyers prévus par ces contrats prenaient en compte, même partiellement, les avantages de toute nature qui ont été procurés à l'appelante par l'occupation du domaine public.
15. Dans ces conditions, à défaut de pouvoir déduire des contrats analysés ci-dessus des tarifs tenant compte des avantages de toute nature procurés à la SA Groupe Bigard par l'occupation irrégulière de l'abattoir et de ses dépendances, il convient de rechercher le revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de ces dépendances du domaine public.
16. Ainsi que l'ont jugé également la cour dans son arrêt du 12 avril 2022 et le Conseil d'Etat statuant au contentieux dans sa décision du 5 juin 2023 et comme il est d'ailleurs constant entre les parties dans le dernier état de leurs écritures, ce revenu doit être fixé à la somme de 184 000 euros par an, correspondant au montant de 31 euros par mètre carré retenu par une délibération adoptée par le conseil municipal de Forges-les-Eaux le 29 novembre 2018 s'étant elle-même fondée sur un rapport rédigé par un expert en estimations immobilières qui a tenu compte des différents facteurs physiques, économiques et juridiques susceptibles d'avoir exercé une influence sur les avantages de toute nature pouvant être retirés de l'exploitation du site.
17. Aucun élément propre à la période antérieure au 15 novembre 2011 et qui serait de nature à ce que la cour ne retienne pas ce montant dans la mesure de ce qui lui reste à juger ne résulte de l'instruction.
S'agissant de l'indemnité sollicitée par la commune au titre de l'occupation irrégulière antérieurement au 1er mars 2010 :
18. D'une part, l'indemnité que l'autorité gestionnaire du domaine public est fondée à réclamer à l'occupant sans droit ni titre de ce domaine, au titre de la période d'occupation irrégulière, devient exigible au terme de chaque journée d'occupation irrégulière.
19. D'autre part, aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Il résulte de ces dispositions, applicables aux actions tendant à obtenir la réparation du préjudice subi à raison de l'occupation sans titre du domaine public, qui ne sont pas relatives à des produits ou redevances du domaine public au sens de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques, que celles-ci se prescrivent par cinq ans à compter de la date à laquelle le gestionnaire du domaine public a eu ou devait avoir connaissance de cette occupation irrégulière. Le délai de prescription est interrompu notamment dans les conditions prévues par les articles 2240, 2241 et 2244 du même code.
20. En l'espèce, la commune de Forges-les-Eaux sollicite pour la première fois dans son mémoire enregistré à la cour le 29 septembre 2023 une indemnité au titre de l'occupation irrégulière de l'abattoir et de ses dépendances entre le 1er janvier 2008 et le 28 février 2010. A ces dates, elle devait avoir connaissance de cette occupation irrégulière, dès lors notamment qu'elle n'avait procédé à aucun déclassement domanial de ces biens. Par ailleurs, aucune cause d'interruption de cette prescription quinquennale n'est invoquée par l'intimée ni ne résulte de l'instruction.
21. Dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir qu'elle a opposées en défense, la SA Groupe Bigard est fondée à soutenir que cette créance était prescrite le 29 septembre 2023 et que les conclusions indemnitaires de la commune de Forges-les-Eaux à ce titre ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
S'agissant de l'indemnité sollicitée par la commune au titre de l'occupation irrégulière entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011 :
22. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 16 et 17 que le montant des redevances qui auraient été appliquées à la SA Groupe Bigard si elle avait été placée dans une situation régulière entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011 doit être fixé, sur la base d'un montant annuel de 184 000 euros et après application d'un prorata temporis, à la somme de 314 564,38 euros.
23. En second lieu et pour l'application des principes rappelés au point 13, la SA Groupe Bigard peut toutefois utilement soutenir que la commune de Forges-les-Eaux a commis une faute en entretenant à son égard une ambiguïté sur la régularité de sa situation de nature à l'exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité. Ainsi qu'elle le soutient, il résulte de l'instruction que, par des délibérations des 7 novembre 2005, 30 mars 2006 et 2 juin 2008, le conseil municipal de Forges-les-Eaux a autorisé la cession pour un euro symbolique, au profit de la société Arcadie Centre Est, aux droits de laquelle elle est venue, puis à son profit, de l'abattoir et de l'atelier de découpe. Ces délibérations ne mentionnaient pas explicitement le rattachement de ces immeubles au domaine public, non plus que la nécessité de procéder à leur déclassement préalablement à la réalisation de la vente qu'elles organisaient. Après leur adoption, la commune s'est abstenue de réclamer à la société appelante une redevance au titre de l'occupation de ces dépendances et cette situation s'est poursuivie sans changement jusqu'au 15 novembre 2011, date à laquelle le conseil municipal a rapporté ces délibérations. Enfin, la commune a conclu avec la SA Groupe Bigard en 2009 une convention relativement à l'occupation des entrepôts frigorifiques situés à proximité des abattoirs, ce qui a pu légitimement la conduire à considérer que sa situation était régulière au titre des autres immeubles qu'elle occupait sur le même site.
24. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le comportement de la commune de Forges-les-Eaux a bien constitué une faute et il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en jugeant que ladite faute est de nature à exonérer la SA Groupe Bigard de 50% de sa responsabilité au titre de la période comprise entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011.
25. Il y a ainsi lieu de condamner la SA Groupe Bigard à verser une indemnité d'un montant de 157 282,19 euros au titre de l'occupation irrégulière de l'abattoir de Forges-les-Eaux et de ses dépendances entre le 1er mars 2010 et le 15 novembre 2011.
S'agissant du montant total de l'indemnisation due par la SA Groupe Bigard :
26. Il résulte de l'arrêt de la cour du 12 avril 2022, devenu définitif sur ce point, que l'indemnité due à la commune de Forges-les-Eaux par la SA Groupe Bigard au titre de l'occupation irrégulière du domaine public entre le 15 novembre 2011 et le 19 novembre 2015 s'élève à 738 016,44 euros.
27. Conformément aux points 11, 25 et 26 du présent arrêt, il y a ainsi lieu de ramener le montant de l'indemnisation due par la SA Groupe Bigard à la commune de Forges-les-Eaux à un total de 990 593,03 euros, en l'assortissant des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017 et en ordonnant la capitalisation de ces intérêts, et de réformer en ce sens le jugement du tribunal administratif de Rouen.
Sur les frais de l'instance :
28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la commune de Forges-les-Eaux, partie perdante, soit mise à la charge de la SA Groupe Bigard.
29. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a par ailleurs pas lieu de faire droit aux conclusions de la SA Groupe Bigard présentées sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 1 147 294,40 euros que la société anonyme (SA) Groupe Bigard a été condamnée à verser à la commune de Forges-les-Eaux par le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 30 janvier 2020 est ramenée à 990 593,03 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017. Les intérêts échus à la date du 13 novembre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 30 janvier 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA Groupe Bigard est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Forges-les-Eaux présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Groupe Bigard et à la commune de Forges-les-Eaux.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 6 février 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
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N°23DA01056