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29/01/2025 | FRANCE | N°23DA00451

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 29 janvier 2025, 23DA00451


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SCP Diesbecq Zolotarenko, agissant en qualité de liquidateur de la société Transports Loheac de l'Ouest Parisien (TLOP), a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 23 février 2021 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. A... B..., a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2020 autorisant le licenciement de M. B... et a refusé de

délivrer l'autorisation sollicitée.



Par un jugement n° 2101515 du 12 janvier 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCP Diesbecq Zolotarenko, agissant en qualité de liquidateur de la société Transports Loheac de l'Ouest Parisien (TLOP), a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 23 février 2021 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. A... B..., a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2020 autorisant le licenciement de M. B... et a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée.

Par un jugement n° 2101515 du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 10 mars 2023 sous le n° 23DA00451, la société A. LOHEAC SAS, la société Centre Couronnais de Maintenance (CCM) et la société STERNA, représentées par Me Mechantel (SCP Boniface Dakin et associés), demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ainsi que la décision du 23 février 2021 de la ministre du travail ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles ne sont pas intervenues en première instance dans la mesure où la demande d'autorisation de licenciement avait été sollicitée par le mandataire liquidateur de la société TLOP ; cependant, dès lors que M. B... a sollicité sa réintégration au sein des sociétés in bonis de l'UES LOHEAC, elles disposent d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation du jugement ;

- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne les possibilités de reclassement de M. B... ; l'intéressé n'a jamais donné son accord express pour occuper un poste de conducteur poids-lourd au sein de l'entreprise STERNA dès lors qu'il a subordonné cet accord au maintien de sa rémunération, ce qui équivaut à un refus ; contrairement à ce qu'a retenu la ministre du travail, le maintien du niveau de rémunération de l'intéressé était impossible compte tenu des conditions de rémunération d'un chauffeur poids-lourd au sein de la société STERNA ;

- c'est également à tort que le tribunal a retenu que la ministre du travail était fondée à refuser d'autoriser le licenciement de M. B... au motif de l'existence d'un lien avec l'exercice de son mandat de représentant du personnel dès lors que, la société TLOP ayant été liquidée, le licenciement est justifié par un motif économique et ne repose en aucun cas sur une discrimination syndicale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Levesques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SCP Diesbecq - Zolotarenko et à ce qu'une somme de même montant soit mise à la charge des sociétés CCM, LOHEAC et STERNA, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par les sociétés appelantes ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 28 juin 2024, la SCP Diesbecq - Zolotarenko, représentée par Me Masson, conclut à l'annulation du jugement, à l'annulation de la décision du 23 février 2021 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. B..., a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2020 autorisant le licenciement de M. B... et a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée, et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le liquidateur de la société TLOP a respecté l'obligation de reclassement de M. B... ;

- il n'existe aucun lien entre le licenciement de M. B... et l'exercice de son mandat de membre du comité social et économique de l'UES LOHEAC.

La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 26 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024 à 12 heures.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la requête dès lors que les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance (CCM) et STERNA n'étaient pas présentes dans l'instance devant le tribunal administratif de Rouen, qu'elles n'y ont pas davantage été appelées et que, en l'absence d'intervention de leur part devant le tribunal, elles n'ont pas qualité pour former tierce opposition contre le jugement attaqué. Dès lors, elles n'ont pas qualité pour interjeter appel du jugement n° 2101515.

II - Par une requête enregistrée le 10 mars 2023 sous le n° 23DA00452, la SCP Diesbecq Zolotarenko, agissant en qualité de liquidateur de la société Transports Loheac de l'Ouest Parisien (TLOP), représentée par Me Masson, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 23 février 2021 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. B..., a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2020 autorisant le licenciement de M. B... et a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont confirmé la légalité de la décision de la ministre du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. B... ;

- ils ont porté une appréciation erronée en ce qui concerne le sérieux des recherches de reclassement de M. B... ;

- les offres de reclassement transmises à M. B... étaient conformes aux dispositions de l'article D. 1233-2-1 du code du travail ;

- l'intéressé n'a jamais donné son accord exprès pour occuper un poste de conducteur poids-lourd au sein de l'entreprise STERNA dès lors qu'il a subordonné cet accord au maintien de sa rémunération, ce qui équivaut à un refus ; contrairement à ce qu'a retenu la ministre du travail, le maintien du niveau de rémunération de l'intéressé était impossible compte tenu des conditions de rémunération d'un chauffeur poids-lourd au sein de la société STERNA ; le tribunal a commis une erreur de droit en retenant qu'un échange devait être organisé avec le salarié sur le niveau de rémunération de l'emploi de reclassement ;

- c'est également à tort que le tribunal a retenu que la ministre du travail était fondée à refuser d'autoriser le licenciement de M. B... au motif de l'existence d'un lien avec l'exercice de son mandat de représentant du personnel dès lors que, la société TLOP ayant été liquidée, le licenciement est justifié par un motif économique et ne repose en aucun cas sur une discrimination syndicale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2023, M. B..., représenté par Me Levesques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SCP Diesbecq - Zolotarenko et à ce qu'une somme de même montant soit mise à la charge des sociétés CCM, A. LOHEAC et STERNA, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- compte tenu de sa réintégration, le 17 juillet 2023, sur un poste de conducteur poids lourds au sein de la société STERNA, les sociétés SAS A. LOHEAC, STERNA et Centre couronnais de maintenance (CCM) n'ont plus aucun intérêt à agir contre la décision contestée et le jugement attaqué ;

- les moyens soulevés par la SCP Diesbecq - Zolotarenko ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 20 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Levesques, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. L'unité économique et sociale (UES) LOHEAC regroupe plusieurs établissements ayant une activité de transport routier, dont la SAS A. LOHEAC, la SAS STERNA, la SARL Centre couronnais de maintenance (CCM) et la société Transports Lohéac de l'Ouest Parisien (TLOP). Par un jugement du tribunal de commerce d'Evreux du 20 décembre 2019, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte avec poursuite d'activité concernant la société TLOP. La SCP Diebecq -Zolotarenko, prise en la personne de Me Zolotarenko, a été désignée en qualité de mandataire-liquidateur. Par un jugement du 12 mars 2020, le tribunal de commerce d'Evreux a déclaré la cessation d'activité de la société TLOP et, dans ce contexte, le mandataire liquidateur a mis en place un plan de licenciement collectif. Le 9 juin 2020, la SCP Diebecq - Zolotarenko a sollicité auprès de l'inspection du travail de l'unité de contrôle Ouest de l'Eure l'autorisation de licencier pour motif économique M. B..., salarié protégé détenant les mandats de membre titulaire du comité social et économique de l'UES LOHEAC et de représentant des salariés. Par une décision du 6 août 2020, l'inspectrice du travail a accordé cette autorisation. Par une décision du 23 février 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, saisie d'un recours hiérarchique formé par M. B... a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique puis, d'une part, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2020 et d'autre part, a refusé d'autoriser le licenciement de M. B....

2. La SCP Diebecq - Zolotarenko a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir, la décision précitée du 23 février 2021 de la ministre du travail. Elle relève appel du jugement n° 2101515 du 12 janvier 2023, par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance (CCM) et STERNA, qui se présentent comme intervenantes volontaires, demandent à la cour d'annuler ce même jugement.

3. Ces deux requêtes, qui présentent des questions semblables à juger, ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité de l'appel formé par les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance et STERNA :

4. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. / (...) ". Et aux termes de l'article R. 832-1 du même code : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ".

5. Il ressort des pièces du dossier que les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance et STERNA n'ont été ni appelées ni présentes en première instance. Par suite, ainsi qu'elles en ont été informées par une lettre du 6 janvier 2025, elles sont sans qualité, au sens de l'article R. 811-1 précité du code de justice administrative, pour interjeter appel du jugement attaqué. Par ailleurs, si, pour justifier de leur qualité pour faire appel, ces trois sociétés font valoir qu'un arrêt rendu le 3 février 2022 par la chambre sociale de la Cour d'appel de Rouen a enjoint à l'unité économique et sociale qu'elles constituent, de procéder à la réintégration de M. B... dans l'un de leurs établissements, cette obligation ne résulte pas du jugement attaqué qui a rejeté le seul recours formé par le mandataire liquidateur de la société TLOP. Dans ces conditions, le jugement du 12 janvier 2023 du tribunal administratif de Rouen ne préjudiciant pas à leurs droits, les sociétés précitées n'auraient en tout état de cause pas eu qualité pour former tierce opposition contre ce jugement.

6. Il résulte de ce qui précède que les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance et STERNA ne sont pas recevables à former appel contre le jugement attaqué, de sorte que leur requête doit être rejetée.

Sur l'appel n° 23DA00452 formé par la SCP Diesbecq-Zolotarenko :

Sur le bien-fondé du jugement :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / (...) Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Aux termes de l'article D. 1233-2-1 du même code : " I. - Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. / II. - Ces offres écrites précisent : a) L'intitulé du poste et son descriptif ; b) Le nom de l'employeur ; c) La nature du contrat de travail ; d) La localisation du poste ; e) Le niveau de rémunération ; f) La classification du poste. (...) III. (...) La liste précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite. (...) Dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours francs à compter de la publication de la liste. L'absence de candidature écrite du salarié à l'issue du délai mentionné au deuxième alinéa vaut refus des offres ".

8. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

9. Lorsque le motif de licenciement invoqué par l'employeur fait obligation à l'administration d'apprécier le sérieux des recherches préalables de reclassement effectuées par celui-ci, l'inspecteur du travail doit apprécier les possibilités de reclassement du salarié à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu'à la date à laquelle il statue sur la demande de l'employeur. Le ministre saisi d'un recours hiérarchique doit, lorsqu'il statue sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date de cette décision.

10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... occupait, depuis 2010, un poste de responsable d'exploitation au sein de la société TLOP. Le 9 juillet 2020, le mandataire liquidateur a diffusé trois postes de conducteurs poids-lourd au sein de la société STERNA pour lesquels M. B... a manifesté son intérêt le 17 juillet suivant par l'envoi d'un courriel aux termes duquel il acceptait de prendre un poste de conducteur poids lourd avec un " maintien permanent de son salaire ". Cette simple mention, exprimant le souhait de voir maintenu un certain niveau de salaire, ne saurait être regardée comme une condition préalablement posée par M. B... à tout reclassement comme conducteur poids lourd, qui équivaudrait à un refus opposé par le salarié à la proposition ferme et précise de reclassement qui lui avait été faite. En tout état de cause, il est constant que l'intéressé disposait des qualifications et de l'expérience requises pour prétendre à être reclassé dans un emploi de conducteur poids lourd. Par ailleurs, M. B... produit des éléments, notamment des bulletins de salaires de conducteurs poids lourds de la société STERNA, dont il ressort que le paiement d'heures supplémentaires et d'indemnités conséquentes permettent de porter le salaire d'un conducteur à un niveau proche de celui qu'il perçoit comme responsable d'exploitation, justifiant ainsi le souhait exprimé dans son courriel du 17 juillet 2020. Dans ces conditions, dès lors que M. B... avait manifesté son souhait non équivoque de donner suite aux propositions qui lui avaient été faites, la demande d'autorisation de licenciement auprès de l'inspecteur du travail ne pouvait être formulée par le mandataire liquidateur au motif erroné que le salarié aurait refusé toute proposition de reclassement. Par suite, c'est à bon droit que, par sa décision contestée du 23 févier 2021, la ministre du travail a estimé que les efforts en vue du reclassement de M. B... ne pouvaient être regardés comme satisfaits, au regard des obligations résultant des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail citées au point 7.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail : " Aucune personne ne peut être (...) licencié (...) en raison (...) de ses activités syndicales (...) ". Aux termes de l'article L. 2141-5 du même code : " Il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de (...) de rupture du contrat de travail. (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-7 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examine notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ".

12. Il résulte de ces dispositions que les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale.

13. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de contre-enquête du 10 décembre 2020 adressé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie à la ministre du travail, que les relations très conflictuelles entretenues par la direction de l'UES LOHEAC avec les instances représentatives du personnel ont conduit l'inspection du travail, depuis le début de l'année 2011, à faire des rappels à l'ordre au dirigeant commun des sociétés composant l'UES et à adresser des signalements au procureur de la République, lesquels ont eu pour effet une condamnation pénale pour délit d'entrave par la Cour d'appel de Rouen le 4 juin 2012 et trois condamnations pour discrimination syndicale par le conseil des prud'hommes, confirmées en appel. Si ces dernières ne concernaient pas directement des discriminations dont M. B... aurait été la victime, elles révèlent un contexte d'hostilité marqué envers les représentants du personnel et leurs organes de représentation au sein de l'entreprise. A cet égard, il ressort des mentions non contestées d'un procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise de l'UES LOHEAC du 27 septembre 2018, qu'en réponse à une question posée par M. B... portant sur la vente de la société TLOP accompagnée ou non de la cession du personnel, le dirigeant de l'entreprise a répondu qu'il " se débarrassera en premier de M. B... ". Comme l'ont relevé les premiers juges, les conditions dans lesquelles le dirigeant de l'UES A. LOHEAC a refusé d'étudier toute demande de reclassement de M. B..., confirmant ainsi la déclaration publique faite devant le comité d'entreprise, caractérise une discrimination en raison de sa qualité de représentant du personnel. Dans ces conditions, c'est à bon droit que, par la décision contestée, la ministre du travail a retenu que ce motif justifiait également le refus d'accorder l'autorisation de licenciement demandée par la SCP Diesbecq-Zolotarenko.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par M. B..., que la SCP Diesbecq - Zolotarenko n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 février 2021 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé par M. B..., a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2020 autorisant le licenciement de l'intéressé et a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée.

Sur les frais liés au litige :

15. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance n° 23DA00451, la somme demandée par les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance (CCM) et STERNA au titre des frais qu'elles ont exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans cette instance, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge solidaire de ces trois sociétés la somme de 1 500 euros demandée par M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, les conclusions présentées par la SCP Diesbecq - Zolotarenko au même titre, demandant la mise à la charge de M. B... d'une somme de 500 euros, doivent être rejetées.

16. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans l'instance n° 23DA00452, la somme demandée par la SCP Diesbecq - Zolotarenko au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans cette instance, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SCP Diesbecq - Zolotarenko, la somme de 1 500 euros demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des sociétés A. LOHEAC, STERNA et Centre couronnais de maintenance (CCM), qui ne sont pas parties à cette instance, la somme demandée au même titre par M. B....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 23DA00451 des sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance (CCM) et STERNA est rejetée.

Article 2 : La requête n° 23DA00452 de la SCP Diesbecq - Zolotarenko est rejetée.

Article 3 : Les sociétés A. LOHEAC SAS, Centre Couronnais de Maintenance (CCM) et STERNA verseront solidairement une somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La SCP Diesbecq - Zolotarenko versera une somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société A. LOHEAC SAS, première dénommée dans la requête n° 23DA00451, à la SCP Diesbecq- Zolotarenko, à M. A... B..., ainsi qu'à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré après l'audience publique du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

Le président de la formation de jugement,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef, par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

Nos 23DA00451, 23DA00452 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00451
Date de la décision : 29/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Guerin-Lebacq
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP BONIFACE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-29;23da00451 ?
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