La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/01/2025 | FRANCE | N°24DA01805

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 23 janvier 2025, 24DA01805


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



M. D... E..., représenté par Me Clément, a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;



2°) d'annuler la décision du 2 mai 2024 par laquelle le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités suédoises ;



3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire

, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à int...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E..., représenté par Me Clément, a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

2°) d'annuler la décision du 2 mai 2024 par laquelle le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités suédoises ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, en cas de rejet de sa demande d'admission à l'aide juridictionnelle, de condamner l'Etat à lui verser directement cette somme.

Par un jugement n°2405000 du 5 juillet 2024, le tribunal administratif de Lille a admis M. A..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale en son article 1er, a annulé la décision du 2 mai 2024 en son article 2, a enjoint au préfet du Nord de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, à un nouvel examen de la situation de M. A... en son article 3, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 en son article 4 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A... en son article 5.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 28 août 2024 sous le n°24DA01805, le préfet du Nord, représenté par la SELARL Centaure Avocats, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du 5 juillet 2024 ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- le tribunal a retenu à tort le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que l'entretien individuel dont a bénéficié M. A... a été mené par un agent qualifié de la préfecture et qu'au surplus, un tel moyen est inopérant dès lors que le débat contradictoire au contentieux est de nature à pallier cet éventuel vice de procédure au stade de l'entretien ;

- les moyens invoqués par M. A... en première instance et tirés de l'incompétence de l'auteur de la décision du 2 mai 2024, de son insuffisante motivation, du défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, d'une erreur de droit dans la détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile, de la méconnaissance manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013, de la méconnaissance des stipulations des articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'existence d'une défaillance systémique dans le système suédois d'asile et d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision de transfert sur la situation personnelle de l'intéressé ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2024, M. D... E..., représenté par Me Clément, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel du préfet du Nord ;

2°) de confirmer le jugement d'annulation du 5 juillet 2024 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros HT à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, ou, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle provisoire, de condamner l'Etat à lui verser directement la somme de 1 800 euros TTC.

Il fait valoir que :

- les éléments retenus par le tribunal justifient l'annulation de l'arrêté du 2 mai 2024 pour méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté du 2 mai 2024 est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle,

- il méconnaît manifestement l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- il méconnaît l'article 18.1 dudit règlement dès lors que le préfet du Nord a saisi les autorités suédoises sur le fondement de son b) alors qu'il relevait de son d) ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'article 4 de la charte européenne des droits fondamentaux.

Par ordonnance du 31 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2024.

Une pièce a été produite pour M. A... par Me Clément le 3 décembre 2024, après la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiquée.

Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a maintenu par une décision du 19 septembre 2024 le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale accordée à M. A... le 10 juin 2024.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01828 le 2 septembre 2024, le préfet du Nord, représenté par la SELARL Centaure Avocats, doit être regardé comme demandant à la cour de surseoir à l'exécution des articles 2 et 3 du jugement du 5 juillet 2024.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... en première instance ;

- le tribunal a retenu à tort le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que l'entretien individuel dont a bénéficié M. A... a été mené par un agent qualifié de la préfecture et qu'au surplus, un tel moyen est inopérant dès lors que le débat contradictoire contentieux est de nature à pallier cet éventuel vice de procédure au stade de l'entretien ;

- les moyens invoqués par M. A... en première instance et tirés de l'incompétence de l'auteur de la décision du 2 mai 2024, de son insuffisante motivation, du défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, d'une erreur de droit dans la détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile, de la méconnaissance manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013, de la méconnaissance des stipulations des articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'existence d'une défaillance systémique dans le système suédois d'asile et d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision de transfert sur la situation personnelle de l'intéressé ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la requête n°2401828 a été dispensée d'instruction en application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Thulard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... E..., ressortissant irakien né le 8 août 1987, a déposé une demande d'asile, le 21 mars 2024, auprès des services de la préfecture du Nord. Par un arrêté du 2 mai 2024, le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités suédoises. M. A... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Lille qui, par un jugement du 5 juillet 2024 qui a été notifié à l'administration le 14 août suivant, l'a admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale en son article 1er, a annulé la décision du 2 mai 2024 en son article 2, a enjoint au préfet du Nord de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, à un nouvel examen de la situation de M. A... en son article 3, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 en son article 4 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A... en son article 5. Par la requête n°24DA01805, le préfet du Nord interjette appel de ce jugement. Par la requête n°24DA01828, le préfet demande à la cour de surseoir à l'exécution des articles 2 et 3 du jugement du 5 juillet 2024.

Sur la requête n°24DA01805 :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figurent au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été reçu en entretien individuel le 21 mars 2024 à la préfecture du Nord et qu'il a signé le résumé de cet entretien. Ce résumé ne contient aucune mention de l'identité de la personne ayant mené l'entretien. Il est cependant revêtu, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfet du Nord ", " D.I.I. Asile 3 ", revêtu d'une signature. A cet égard, l'administration fait valoir, pour la première fois en appel, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que l'entretien a été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 2 mai 2024 prononçant le transfert de M. A... aux autorités suédoises, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et en appel.

S'agissant des autres moyens :

6. En premier lieu, par un arrêté du 4 avril 2024, publié le 5 avril 2024 au recueil n° 2024-126 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à M. B... C..., attaché d'administration de l'Etat, chef du bureau de l'asile, à l'effet de signer, notamment, les décisions de transfert prises en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.

7. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Nord s'est fondé pour décider de transférer M. A... aux autorités suédoises. Il indique notamment précisément les raisons pour lesquelles le préfet a considéré les autorités suédoises responsables de sa demande d'asile dès lors qu'il mentionne les résultats Eurodac concernant l'intéressé, ainsi que l'accord des autorités suédoises à sa reprise en charge en date du 19 avril 2024. Il est ainsi suffisamment motivé, conformément aux dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment à la motivation de son arrêté du 2 mai 2024, que le préfet du Nord n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... avant de décider de le transférer aux autorités suédoises. En particulier, la seule circonstance qu'il ait saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors qu'il relevait de son d) ne permet pas de caractériser à elle seule un tel défaut.

9. En quatrième lieu, le moyen tiré d'une erreur de droit entachant l'arrêté litigieux n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. ".

11. Selon l'avis n° 420900 du 7 décembre 2018 du Conseil d'Etat, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI du règlement (UE) n° 604/2013.

12. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les autorités suédoises ont accepté de reprendre en charge M. A... sur le fondement du d) de l'article 18.1 précité. L'intimé ne conteste pas relever d'une procédure de reprise en charge du fait qu'elle a antérieurement présenté une demande d'asile en Suède. Dans ces conditions, la seule circonstance que les autorités suédoises aient été saisies d'une demande de reprise en charge sur le fondement non du d) mais du b) de l'article 18.1 est sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté.

13. En sixième lieu, d'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

14. D'autre part, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

15. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment l'article 4 de cette charte et l'article 3 de cette convention qui stipulent : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradant. ".

16. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

17. En l'espèce, M. A... n'a fait valoir aucun élément de nature à caractériser un risque de mauvais traitement le concernant en Suède, pas plus que des défaillances systématiques dans le système suédois d'asile. S'il se prévaut d'un certificat médical en date du 21 mars 2024 qui indique qu'il nécessite un suivi psychologique, ce document n'établit pas la gravité de ses problèmes de santé et rien n'indique qu'il ne pourra pas bénéficier de soins appropriés à son état de santé en Suède ni qu'une rupture momentanée dans sa prise en charge l'exposerait à des risques particuliers. Enfin, l'intimé ne conteste pas l'énonciation du préfet de police dans son arrêté du 2 mai 2024 selon laquelle ses enfants et son épouse demeurent en Suède, son séjour en France est extrêmement récent et il ne se prévaut d'aucun lien d'une particulière intensité sur le territoire national.

18. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 du règlement UE n° 604/2013, des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte européenne des droits fondamentaux, ainsi que de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions dérogatoires de l'article 17 du règlement UE n° 604/2013, doivent être écartés.

19. En septième et dernier lieu, eu égard aux conditions du séjour en France de M. A... telles que rappelées au point 17, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 2 mai 2024 le transférant aux autorités suédoises serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

20. Il suit de là que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 mai 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le transférer aux autorités suédoises doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que par les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 2 mai 2024, lui a enjoint le réexamen de la situation de M. A... et, enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à son conseil, Me Clément, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête n°24DA01828 :

22. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement du 5 juillet 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, la requête du préfet du Nord tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet.

Sur les frais de l'instance d'appel :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par M. A... dans l'instance n°24DA01805 soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du 5 juillet 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 2 : Les demandes aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA01828 du préfet du Nord.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... dans l'instance n° 24DA01805 en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord, à D... E... et à Me Clément.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : V. Thulard

La présidente de la 1ère chambre

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°24DA01805, 24DA01828


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01805
Date de la décision : 23/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Vincent Thulard
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS;CENTAURE AVOCATS;CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-23;24da01805 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award