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16/01/2025 | FRANCE | N°23DA00181

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 16 janvier 2025, 23DA00181


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 avril 2022 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire du Havre a ordonné son placement en régime contrôlé.



Par une ordonnance n° 2203080 du 12 décembre 2022, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rouen a rejeté, comme entachée d'une irrecevabilité insusceptible d'être régularisée en cours d'instance, cette deman

de.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2023, M. B...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 avril 2022 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire du Havre a ordonné son placement en régime contrôlé.

Par une ordonnance n° 2203080 du 12 décembre 2022, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rouen a rejeté, comme entachée d'une irrecevabilité insusceptible d'être régularisée en cours d'instance, cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2023, M. B..., représenté par la SCP Thémis Avocats et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 avril 2022 de la directrice du centre pénitentiaire du Havre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- en rejetant, comme entachée d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être régularisée en cours d'instance, sa demande, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, au motif que la décision dont il demandait l'annulation avait été abrogée avant la saisine de la juridiction, alors que cette décision avait produit des effets, la vice-présidente du tribunal administratif de Rouen a entaché son ordonnance d'irrégularité ;

- sa demande n'était pas susceptible d'être rejetée à raison d'un autre motif d'irrecevabilité, alors, en particulier, que la décision contestée lui fait grief ;

- les moyens qu'il a soulevés devant le tribunal administratif de Rouen et sur lesquels la cour pourra se prononcer par la voie de l'évocation, sont fondés ; ainsi, la décision contestée ne comporte pas, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, la mention du nom, du prénom, du grade et de la qualité de son auteur, il n'est pas établi que la décision contestée aurait été signée par une autorité régulièrement habilitée, elle est fondée sur un motif insusceptible de la justifier légalement et elle est entachée d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de M. B... est irrecevable, dès lors qu'elle tend à l'annulation d'une mesure d'ordre intérieur, qui n'a aucunement eu pour effet d'aggraver sa situation, l'intéressé étant déjà placé en régime fermé de détention avant son départ, pour une durée de deux mois, au centre national d'évaluation et ayant recouvré la même cellule à son retour ;

- la décision contestée a été signée par une autorité valablement habilitée par une délégation de signature régulièrement consentie et publiée ;

- M. B... n'est pas parvenu, à compter de son incarcération et jusqu'à la date de la décision contestée, à adopter un comportement permettant de l'affecter en régime de détention de droit commun, l'intéressé, notamment, ayant été identifié comme l'auteur de faits de violence à l'égard d'un autre détenu et ayant été trouvé en possession d'un téléphone portable ainsi que d'une carte SIM ; en outre, la demande de placement en régime de détention de droit commun, formée par le conseil de M. B... dès le retour de celui-ci du centre national d'évaluation était prématurée, compte-tenu de la durée moyenne de placement en régime fermé, dans lequel il était déjà placé avant son départ ; dans ces conditions, la décision contestée n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.

Par une décision du 13 avril 2023, M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. A... B..., détenu au centre pénitentiaire du Havre, a demandé à l'administration, le 27 avril 2022, par l'intermédiaire de son conseil, de lui communiquer les décisions qui avaient été prises à son égard afin de le placer en régime fermé, l'intéressé exposant n'avoir jamais reçu notification de ces décisions. La directrice du centre pénitentiaire du Havre a, par un courrier adressé le 30 mai 2022 au conseil de M. B..., communiqué à celui-ci les décisions demandées, à savoir une décision du 13 avril 2022 portant maintien de l'intéressé en régime de détention dit " contrôlé " et une décision du 4 mai 2022 portant affectation de M. B... en régime de droit commun.

2. M. B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 avril 2022 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire du Havre avait ordonné son maintien en régime contrôlé. Par une ordonnance du 12 décembre 2022, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande comme entachée d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être régularisée en cours d'instance, au motif qu'elle était privée d'objet avant même son introduction. M. B... relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Pour regarder la demande présentée par M. B... comme entachée d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être régularisée en cours d'instance et la rejeter par application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rouen a retenu que la décision contestée du 13 avril 2022 de la directrice du centre pénitentiaire du Havre portant maintien de l'intéressé en régime dit " contrôlé " devait être regardée comme ayant été abrogée par la décision du 4 mai 2022, par laquelle la même autorité, avant même la saisine du tribunal administratif, avait décidé d'affecter M. B... en régime de droit commun. La vice-présidente du tribunal administratif de Rouen a tiré de cette analyse la conclusion que la demande de M. B... était dépourvue d'objet avant même la date de son enregistrement au greffe du tribunal administratif.

4. Toutefois, dès lors qu'il n'est pas contesté que la décision du 13 avril 2022 portant maintien de M. B... en régime contrôlé a produit des effets avant son abrogation, le 4 mai 2022, la demande par laquelle l'intéressé concluait, devant le tribunal administratif de Rouen, à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision n'était pas privée d'objet. Dès lors, cette ordonnance, qui rejette, à tort, la demande de M. B... comme entachée d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance, est irrégulière et doit, par suite, être annulée.

5. Il y a lieu toutefois d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :

6. Par sa nature et par ses effets sur ses conditions de détention, notamment au regard de l'objectif de réinsertion sociale, la décision par laquelle un détenu est placé en " régime différencié " pour être affecté à un secteur dit " portes fermées ", alors même qu'elle n'affecte pas ses droits d'accès à une formation professionnelle, à un travail rémunéré, aux activités physiques et sportives et à la promenade, constitue une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et il en est de même de la décision maintenant un détenu dans un tel régime, qui lui impose les mêmes contraintes.

7. La décision contestée du 13 avril 2022, qui rejette la demande formée par M. B..., dès son retour du centre national d'évaluation du centre pénitentiaire de Fresnes, tendant à obtenir une affectation en régime de droit commun de détention et qui maintient l'intéressé en régime différencié fait ainsi grief à celui-ci. Dès lors, M. B... a pu valablement saisir le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision. La fin de non-recevoir opposée par le ministre doit, dès lors, être écartée.

Sur la légalité de la décision du 13 avril 2022 :

8. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. / Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration ".

9. Il ressort des pièces du dossier que l'exemplaire de la décision contestée du 13 avril 2022 communiqué au conseil de M. B..., à la demande de ce dernier, et versé aux débats ne comporte pas, en méconnaissance des dispositions citées au point précédent de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, la mention du nom, du prénom et de la qualité, ni la signature de l'autorité qui l'a prise par délégation du chef d'établissement à l'issue de la séance 13 avril 2022 de la commission pluridisciplinaire unique. Le garde des sceaux, ministre de la justice, n'établit pas, ni même ne soutient, qu'un autre exemplaire de cette décision qui aurait été remis au détenu aurait comporté ces mentions, alors au demeurant qu'il n'a pas donné suite à la mesure d'instruction qui lui a été adressée tendant à la production d'une copie de l'original de cette décision, de sorte que la cour n'a pas été mise à même d'apprécier si ce vice affecte seulement l'exemplaire communiqué, à sa demande, à M. B..., ou si l'original de la décision contestée en est également entaché. Dans ces conditions, il doit être tenu pour établi que l'irrégularité invoquée affecte la décision elle-même et que M. B... a, en conséquence, été privé de la garantie, accordée aux administrés par le législateur, tenant à pouvoir identifier l'auteur des décisions administratives qui les concernent. Par suite, le moyen doit être accueilli et cette décision doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à son encontre.

Sur les frais de procédure :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ciaudo, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros demandée à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2203080 du 12 décembre 2022 de la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rouen est annulée.

Article 2 : La décision du 13 avril 2022 par laquelle la directrice du centre pénitentiaire du Havre a ordonné le maintien de M. B... en régime contrôlé de détention est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Ciaudo, avocat de M. B..., la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, ainsi qu'à Me Ciaudo.

Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur, assurant la présidence de la formation

de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

- M. Jean-François Papin, premier conseiller ;

- Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de la formation

de jugement,

Signé : F.-X. Pin

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

1

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N°23DA00181


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00181
Date de la décision : 16/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-16;23da00181 ?
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