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18/12/2024 | FRANCE | N°23DA01434

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 18 décembre 2024, 23DA01434


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 février 2020 par laquelle le président du centre communal d'action sociale (CCAS) de Sainghin-en-Weppes a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, d'autre part, d'enjoindre au CCAS de lui accorder le bénéfice de cette protection, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.r>


Par un jugement n° 2002763 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Lill...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 février 2020 par laquelle le président du centre communal d'action sociale (CCAS) de Sainghin-en-Weppes a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, d'autre part, d'enjoindre au CCAS de lui accorder le bénéfice de cette protection, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2002763 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 juillet 2023 et le 27 février 2024, Mme A..., représentée par Me Stienne-Duwez, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 18 février 2020 du président du CCAS de Sainghin-en-Weppes refusant de lui accorder la protection fonctionnelle ;

3°) d'enjoindre au CCAS de Sainghin-en-Weppes de lui octroyer le bénéfice de cette protection, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge du CCAS de Sainghin-en-Weppes le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le maire de Sainghin-en-Weppes, président du CCAS, mis en cause dans les faits de harcèlement moral dont elle a été victime et à raison desquels elle sollicite la protection fonctionnelle, n'était pas compétent pour statuer sur sa demande ; le principe d'impartialité lui imposait de transmettre cette demande au vice-président du CCAS ou à tout autre élu non mis en cause ;

- le refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; les faits pour lesquels elle-même et d'autres agents de la commune ou du CCAS de Sainghin-en-Weppes ont déposé plainte auprès du procureur de la République font présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre ; pour ces faits, par des arrêts rendus le 15 novembre 2022, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai a confirmé le contrôle judiciaire du maire de Sainghin-en-Weppes et de la directrice des ressources humaines, mis en examen pour les agissements de harcèlement moral dénoncés ; cette mise en examen, qui conformément à l'article 80-1 du code de procédure pénale ne peut être décidée par le juge d'instruction qu'à l'encontre des personnes pour lesquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblables qu'elles aient pu participer comme auteur ou complice à la commission des infractions, est de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, dans le cadre de ses fonctions au CCAS.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 août 2023 et le 26 mars 2024, le CCAS de Sainghin-en-Weppes, représenté par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros, à lui verser, soit mise à la charge de Mme A..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 9 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 31 juillet 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., adjointe administrative territoriale, exerçait, à la date des faits, depuis 2016, les fonctions de responsable du centre communal d'action sociale (CCAS)

de Sainghin-en-Weppes. Par un courrier daté du 16 janvier 2020, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été la victime, qui lui a été expressément refusé par une décision du 18 février suivant prise par le maire

de Sainghin-en-Weppes, également président du CCAS. Mme A... relève appel du jugement du 23 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 18 février 2020 par laquelle le président du CCAS de Sainghin-en-Weppes a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre, à l'appui de sa demande de protection fonctionnelle, des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement.

4. D'autre part, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précitée : " A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

5. Si la protection résultant des dispositions rappelées au point précédent n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

6. Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.

7. Enfin, aux termes de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles : " Le centre d'action sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal. Il est administré par un conseil d'administration présidé, selon le cas, par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. / Dès qu'il est constitué, le conseil d'administration élit en son sein un vice-président qui le préside en l'absence du maire, nonobstant les dispositions de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales, ou en l'absence du président de l'établissement de coopération intercommunale. Il élit également un vice-président délégué, chargé des mêmes fonctions en cas d'empêchement du vice-président. / (...) ". Selon l'article R. 123-23 du même code : " Le président du conseil d'administration prépare et exécute les délibérations du conseil ; (...). Il nomme les agents du centre. / Il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer une partie de ses fonctions ou sa signature au vice-président et au directeur. / (...) " . Et aux termes de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales : " En cas d'absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement, le maire est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par un adjoint, dans l'ordre des nominations et, à défaut d'adjoint, par un conseiller municipal désigné par le conseil ou, à défaut, pris dans l'ordre du tableau. ".

8. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 123-23 du code de l'action sociale et des familles que le maire, qui n'aurait pas délégué sa fonction de président du CCAS, est en principe compétent pour se prononcer sur une demande de protection fonctionnelle émanant des agents de cet établissement.

9. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un procès-verbal d'audition de Mme A... du 28 août 2018, par les services de la gendarmerie, dans le cadre de l'enquête préliminaire d'une plainte pour harcèlement déposée par l'ancienne directrice des services techniques de la commune de Sainghin-en-Weppes à l'encontre notamment du maire de la commune, que celle-ci a déclaré avoir été victime de mêmes agissements de la part du maire, par ailleurs président du CCAS de la ville, et l'a ainsi mis explicitement en cause. Il ressort en outre du courrier daté du 16 janvier 2020, qu'elle a adressé au président du CCAS pour lui demander le bénéfice de la protection fonctionnelle et auquel était annexée une copie de son dépôt de plainte, que Mme A... a fait connaître au maire les agissements qu'elle lui imputait personnellement, consistant notamment à la mettre à l'écart et à l'isoler, à chercher à la contraindre à rédiger des attestations défavorables contre une collègue, à la faire surveiller notamment en accédant à son poste informatique sans son consentement, à tenter de la déstabiliser en lui imposant des délais d'exécution de tâches de plus en plus courts sur la base d'ordres contradictoires ou encore à dénigrer publiquement ses tenues vestimentaires par des réflexions ironiques. En réponse à l'exposé de ces éléments de fait le mettant directement en cause, le maire de Sainghin-en-Weppes, président du CCAS, par la décision contestée du 18 février 2020 a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle en lui indiquant notamment qu'un certain nombre de ses propos qui faisaient directement référence à lui-même ou à son action étaient mensongers. Il s'ensuit que le maire de Sainghin-en-Weppes, président du CCAS employeur de Mme A..., ne pouvait légalement, sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d'impartialité, se prononcer lui-même sur la demande de protection fonctionnelle présentée par l'intéressée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 février 2020 par laquelle le président du CCAS de Sainghin-en-Weppes lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen soulevé par Mme A..., il y a lieu d'annuler ce jugement et la décision du 18 février 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

11. Le motif d'annulation retenu par le présent arrêt n'implique pas nécessairement que le CCAS de Sainghin-en-Weppes accorde la protection fonctionnelle à Mme A.... Il en résulte que l'appelante est seulement fondée à demander qu'il soit enjoint au CCAS de réexaminer sa demande. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par le CCAS de Sainghin-en-Weppes au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CCAS le versement à Mme A... de la somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 23 mai 2023 et la décision du 18 février 2020 par laquelle le président du CCAS de Sainghin-en-Weppes a rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme A... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au CCAS de Sainghin-en-Weppes de réexaminer la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le CCAS de Sainghin-en-Weppes versera la somme de 2 000 euros à Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille et de ses conclusions présentées devant la cour est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par le CCAS de Sainghin-en-Weppes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au CCAS

de Sainghin-en-Weppes.

Délibéré après l'audience publique du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 23DA01434 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01434
Date de la décision : 18/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : STIENNE-DUWEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-18;23da01434 ?
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