Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 22 juillet 2022 par laquelle le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer une carte de résident de dix ans, ensemble la décision du 14 septembre 2022 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n°2202972 du 24 janvier 2024, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars et 27 mai 2024, M. B... A... C..., représenté par Me Homerh, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 24 janvier 2024 ;
2°) d'annuler la décision du 22 juillet 2022 par laquelle le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer une carte de résident de dix ans, ensemble la décision du 14 septembre 2022 rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer une carte de résident de dix ans dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée a été signée par une autorité incompétente,
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que le maire de sa commune de résidence n'a pas été saisi pour avis, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 413-7 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- elle est entachée d'une erreur dans l'appréciation de la menace à l'ordre public que représenterait sa présence en France,
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle se fonde sur les dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont pas applicables aux ressortissants tunisiens,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 mai et 6 juin 2024, le préfet de la Somme conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant dès lors que celles-ci ne sont pas applicables aux ressortissants tunisiens ;
- les autres moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 28 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 18 juin 2024.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé à M. A... C... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- l'accord franco tunisien du 17 mars 1988 modifié en matière de séjour et de travail,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le décret n°2004-374 du 29 avril 2004,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Thulard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant tunisien, né le 4 avril 1985, est entré en France le 19 septembre 2003, sous couvert d'un visa de long séjour en qualité d'étudiant. Il a présenté une demande de carte de résident d'une durée de dix ans le 27 avril 2022, sur le fondement des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susvisé du 17 mars 1988. Par une décision du 22 juillet 2022, le préfet de la Somme a refusé de faire droit à sa demande sur le fondement des articles L. 413-7 et L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tout en lui renouvelant pour une durée d'un an sa carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".
2. M A... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens l'annulation de cet arrêté en tant qu'il rejette sa demande de carte de résident, ensemble la décision rejetant son recours gracieux. Par un jugement du 24 janvier 2024, le tribunal a rejeté sa demande. M. A... C... interjette appel de ce jugement.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 45 du décret du 29 avril 2004 susvisé : " (...) En cas de vacance momentanée du poste de préfet, l'intérim est assuré par le secrétaire général de la préfecture (...) ".
4. Par décret du 13 juillet 2022, il a été mis fin aux fonctions de la préfète de la Somme, son successeur ayant été nommé, par décret du 20 juillet suivant, à compter du 23 août 2022. Dès lors, en application des dispositions précitées de l'article 45 du décret du 29 avril 2004, la secrétaire générale de la préfecture de la Somme assurait les fonctions de préfet de la Somme par intérim du fait de la vacance momentanée du poste de préfet à la date de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de son incompétence pour signer l'arrêté attaqué doit être écarté.
5. En deuxième lieu, l'article 3 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail, du 17 mars 1988 stipule : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention " salarié ". / Après trois ans de séjour régulier en France, les ressortissants tunisiens visés à l'alinéa précédent peuvent obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er sont applicables pour le renouvellement du titre de séjour après dix ans. / Les autres ressortissants tunisiens ne relevant pas de l'article 1er du présent Accord et titulaires d'un titre de séjour peuvent également obtenir un titre de séjour d'une durée de dix ans s'ils justifient d'une résidence régulière en France de trois années. Il est statué sur leur demande en tenant compte des moyens d'existence professionnels ou non, dont ils peuvent faire état et, le cas échéant, des justifications qu'ils peuvent invoquer à l'appui de leur demande. / (...) ".
6. Aux termes de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans ses dispositions alors applicables : " La première délivrance de la carte de résident prévue aux articles L. 423-6, L. 423-10 ou L. 423-16, de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " prévue aux articles L. 421-12, L. 421-25, L. 424-5, L. 424-14 ou L. 426-19, ainsi que de la carte de résident permanent prévue à l'article L. 426-4 est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance de la langue française qui doit être au moins égale à un niveau défini par décret en Conseil d'Etat. / Pour l'appréciation de la condition d'intégration, l'autorité administrative saisit pour avis le maire de la commune dans laquelle l'étranger réside. Cet avis est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la saisine du maire par l'autorité administrative. / (...) ".
7. Les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susvisé du 17 mars 1988, qui régissent intégralement la délivrance des cartes de résident d'une durée de dix ans aux ressortissants tunisiens, ne subordonnent pas la délivrance à leur profit d'une carte de séjour de dix ans à la condition d'intégration républicaine énoncée par les dispositions précitées de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. M. A... C... ne peut ainsi pas utilement soutenir que la décision de refus de carte de résident qui lui a été opposée par le préfet de la Somme serait entachée d'un vice de procédure en l'absence d'avis du maire de sa commune de résidence dès lors que le recueil de cet avis n'est pas prévu par les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susvisé du 17 mars 1988.
9. Il est en revanche fondé à soutenir que le préfet a entaché sa décision du 22 juillet 2022 d'une erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne lui étaient pas applicables.
10. En troisième lieu et toutefois, il ressort de la rédaction de l'arrêté en litige que le préfet de la Somme a fondé sa décision de refus de carte de résident sur un second motif, tiré des dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes desquelles : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Cette réserve générale d'ordre public est opposable aux ressortissants tunisiens sollicitant une carte de résident sur le fondement des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988.
11. Or, en l'espèce, M. A... C... a été condamné à 150 euros d'amende pour usage illicite de stupéfiants le 19 juillet 2011, à 450 euros d'amende pour conduite d'un véhicule à moteur en méconnaissance d'une suspension de son permis de conduire le 2 novembre 2011, à une peine de 60 jours-amende à 10 euros pour conduite d'un véhicule sous emprise alcoolique le 12 mars 2014 et, enfin, à 3 mois d'emprisonnement pour rébellion avec arme en récidive et outrage à un agent d'un exploitant de réseau de transports publics le 3 février 2016. Contrairement à ce que
M. A... C... fait valoir, le préfet de la Somme pouvait tenir compte de l'ensemble de ces faits dans son appréciation d'une menace à l'ordre public, nonobstant l'effacement de son casier judiciaire des deux premières peines prononcées à son encontre les 19 juillet et 2 novembre 2011 par le tribunal judiciaire d'Amiens. M. A... C... est par ailleurs également connu des services de police pour des faits d'injures publiques commis le 25 janvier 2014, dont il ne conteste pas la matérialité. Enfin, il n'a apporté aucun élément relatif à son intégration sociale et professionnelle, se contentant d'alléguer, sans la moindre preuve, qu'il serait professeur. Dans ces conditions et contrairement à ce que soutient le requérant, le préfet de la Somme n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que la présence en France de M. A... C... à la date du 22 juillet 2022 était constitutive d'une menace à l'ordre public.
12. En l'espèce, si, ainsi qu'il l'a été dit, l'administration ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il résulte de l'instruction que le préfet de la Somme aurait pris la même décision de refus de délivrance à M. A... C... d'une carte de résident s'il n'avait retenu que ce second motif tiré des dispositions de l'article L. 432-1 du même code.
13. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. En l'espèce, s'il est constant que le requérant vit régulièrement en France depuis 2003, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Somme a, le même jour où il a refusé de lui délivrer une carte de résident, décidé de renouveler la carte de séjour temporaire dont il était jusqu'alors titulaire. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué n'a pas méconnu le droit de M. A... C... au respect de sa vie privée et familiale qu'il tire des stipulations précitées.
15. Il résulte de ce qui précède que M. A... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 22 juillet 2022 par laquelle le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer une carte de résident de dix ans, ensemble la décision du 14 septembre 2022 rejetant son recours gracieux.
16. Les conclusions à fin d'annulation présentées en appel par M. A... C... doivent donc être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles qu'il a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. B... A... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Homehr.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°24DA00609