La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2024 | FRANCE | N°22DA01893

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 28 novembre 2024, 22DA01893


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) Servain a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine et la société Véolia Eau à lui verser la somme de 28 171,65 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2019, en réparation des préjudices subis du fait d'inondations survenues en 2013 et 2015, de les condamner aux dépens et de mettre à leur charge la somme de 3 000 euros sur

le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) Servain a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine et la société Véolia Eau à lui verser la somme de 28 171,65 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2019, en réparation des préjudices subis du fait d'inondations survenues en 2013 et 2015, de les condamner aux dépens et de mettre à leur charge la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1904003 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné la société Véolia Eau à verser au GAEC Servain la somme de 26 671, 65 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2019 et mis à la charge de la société les frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 9 843,46 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2022 et un mémoire, enregistré le 6 février 2023, la société Véolia Eau-CGE, représentée par Me Alquier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes présentées par le GAEC Servain à son encontre ;

3°) à titre très subsidiaire, de condamner la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine à la garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la partie perdante la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative tant pour la procédure de première instance que pour l'appel.

Elle soutient que :

- la requête du GAEC est tardive et irrecevable ;

- elle n'est pas responsable des inondations subies par le GAEC ;

- les préjudices allégués ne présentent pas un caractère anormal ni certain ;

- le lien de causalité entre la gestion de ses ouvrages et les dommages du GAEC n'est pas établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2022, la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine, représentée par la SCP Huchet Doin, conclut à titre principal au rejet de la requête d'appel de la société Véolia Eau-CGE, à la confirmation du jugement et à la mise à la charge de la société Véolia Eau-CGE ou à défaut, du GAEC Servain, de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle s'en remet à Véolia Eau-CGE quant à la recevabilité du recours de première instance du GAEC et soutient que les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2022, et un mémoire, enregistré le 13 février 2023, la société SCEA Servain, anciennement dénommée GAEC Servain, représentée par la SCP Emo Avocats, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement et à la mise à la charge de la société Véolia Eau-CGE de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et souligne demander la somme de 1 500 euros à raison d'un préjudice moral.

Par ordonnance du 6 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 mars 2023.

La société Véolia Eau-CGE, représentée par Me Claudie Alquier, a produit un mémoire le 28 octobre 2024, après clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n°83-1025 du 28 novembre 1983 ;

- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- et les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le GAEC Servain cultivait des parcelles en lin, betteraves sucrières et maïs sur le territoire de la commune de Notre Dame de Gravenchon (76330). Au cours du printemps 2013 puis à l'autonome 2015, plusieurs de ses parcelles se sont retrouvées inondées. Une expertise amiable ainsi qu'une expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, se sont déroulées en 2013 puis en 2016 en vue de déterminer la cause de ces submersions. Par un jugement n°1904003 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné la société Véolia Eau-CGE à verser au GAEC Servain la somme de 26 671, 65 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2019 et mis à la charge de la société les frais de l'expertise ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la présente requête, la société Véolia Eau-CGE interjette appel de ce jugement.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande introductive d'instance :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. " Aux termes de l'article R. 421-3 du même code applicable jusqu'au 1er janvier 2017 : " l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet :1° En matière de plein contentieux ; (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".

3. Aux termes de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration en vigueur depuis le 1er janvier 2016 qui reprend une obligation figurant antérieurement à l'article 5 du décret du 28 novembre 1983 : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite. ".

4. Le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 a supprimé les termes " En matière de plein contentieux " des dispositions de l'article R. 421-3 du code de justice administrative. Par suite, sauf dispositions législatives ou règlementaires qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la date où les décisions implicites relevant du plein contentieux sont nées. S'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait - et n'aurait pu légalement faire - courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées. Toutefois, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui prévoient l'application de la nouvelle règle à "toute requête enregistrée à compter" du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux. Un délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette même date. Cette règle doit toutefois être combinée avec les dispositions de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes desquelles, sauf en ce qui concerne les relations entre l'administration et ses agents, les délais de recours contre une décision tacite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 du même code ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne porte pas les mentions prévues à l'article R. 112-5 de ce code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.

5. Par ailleurs, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.

6. Par courriers des 24 février et 15 juillet 2015, le GAEC Servain a demandé à la communauté de communes Caux Vallée de Seine, devenue communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine, de lui verser la somme de 26 671,65 euros à raison des préjudices résultant selon lui, du débordement du 19 avril 2013 du canal d'évacuation des eaux traitées de la station d'épuration. Aucune réponse ni accusé de réception ne lui a été adressé. Il résulte des principes énoncés au point 4 que les délais de recours n'ont pas couru. Par ailleurs, comme indiqué au point 5, la règle tenant à l'opposabilité d'une forclusion à l'issue du délai raisonnable d'un an, seule applicable au GAEC Servain, destinataire de la décision de refus d'indemnisation, n'est pas applicable en matière de plein contentieux indemnitaire. Par suite, le GAEC n'était pas tardif quand le 9 octobre 2015, il a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, de condamner la communauté de communes Caux-Vallée de Seine à lui verser une provision de 26 671,52 euros en réparation de ce préjudice, qui a donné lieu à une ordonnance de rejet du 30 décembre 2015. Il n'était pas plus tardif quand le 8 février 2016, il a demandé la désignation d'un expert qui a déposé son rapport le 21 août 2018. Les délais de recours n'ayant jamais couru, la fin de non-recevoir opposée par la société Véolia Eau-CGE tirée de la tardiveté de la requête enregistrée le 7 novembre 2019 doit donc être écartée.

En ce qui concerne la responsabilité de la société Véolia Eau-CGE :

7. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en cas de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

8. La communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine a conclu le 10 décembre 2004 avec la Compagnie générale des eaux un contrat d'affermage, portant sur la gestion d'un service public de distribution d'eau industrielle. Le 19 avril 2013, les parcelles agricoles du GAEC Servain situées à Notre Dame de Gravenchon ont été inondées. L'expert judiciaire a estimé que ni le canal d'évacuation des eaux usées de la station d'épuration voisine, ni les conditions météorologiques, ni les ouvrages d'évacuation des eaux du GAEC n'étaient à l'origine de l'inondation mais que celles-ci étaient " indéniablement la conséquence de la vidange de deux bassins de stockage des eaux pluviales " dont la purge s'effectue en aval du cours d'eau. Il résulte des pièces du dossier et notamment des écritures de la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine que ces bassins de stockage sont en fait deux bassins de rétention d'eaux industrielles qui sont gérés par la société Véolia Eau-CGE. L'inondation a entraîné des pertes sur récoltes des parcelles concernées, que l'expert a évaluées à la somme globale de 26 571,65 euros. En tant que tiers, victime d'un dommage qui doit être regardé comme accidentel, résultant du fonctionnement d'ouvrages publics, la SCEA Servain n'a pas à justifier comme le soutient la société Véolia, d'un préjudice anormal et spécial.

9. Dans ces conditions, la société Véolia Eau-CGE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à verser au GAEC Servain la somme de 26 571,65 euros avec intérêts à compter du 7 novembre 2019, date de l'enregistrement de la requête au tribunal administratif. A supposer que la SCEA Servain ait entendu former un appel incident du jugement en évoquant un préjudice moral d'anxiété qu'elle chiffre à 1500 euros, aucun élément ne permet de tenir la réalité de ce préjudice comme établie et cette demande d'indemnisation doit être rejetée.

En ce qui concerne l'appel en garantie dirigé contre la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine :

10. En vertu des stipulations de l'article 7 du cahier des charges versé au dossier par la société Véolia Eau-CGE " le fermier est responsable du bon fonctionnement du service (...) le fermier est tenu de réparer les dommages (...) causés par le fonctionnement du service et des ouvrages dont il a la charge (...) ". La société Véolia Eau-CGE qui n'apporte aucune précision quant aux conditions de survenance des dommages, n'établit pas que la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard. Les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Véolia Eau-CGE contre la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine doivent donc être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCEA Servain et de la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine, qui ne sont pas parties perdantes à l'égard de la société Véolia Eau-CGE, une somme au titre des frais exposés par cette dernière non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCEA Servain et de la société Véolia Eau-CGE, le versement d'une somme à la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Véolia Eau-CGE le versement d'une somme de 1500 euros à la SCEA Servain au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1 : La requête de la société Véolia Eau-CGE est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine sont rejetées.

Article 3 : La société Véolia Eau-CGE versera à la société SCEA Servain une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA Servain, à la société Véolia Eau-CGE et à la communauté d'agglomération Caux Vallée de Seine.

Délibéré après l'audience publique du 14 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.

La présidente-assesseure,

Signé : I. Legrand La présidente de la 1ère chambre,

présidente-rapporteure,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA01893 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01893
Date de la décision : 28/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : HUCHET DOIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-28;22da01893 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award