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28/11/2024 | FRANCE | N°22DA00643

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 28 novembre 2024, 22DA00643


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Lille :



1°) d'annuler l'ensemble des factures émises par l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) pour la perception de la taxe hydraulique au titre des années 2016 à 2018 ;



2°) de condamner VNF à lui rembourser la somme totale de 290 640 639 euros ;



3°) de mettre à la charge de VNF une somme de 5 000 euros sur le f

ondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n°1903441 du 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) d'annuler l'ensemble des factures émises par l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) pour la perception de la taxe hydraulique au titre des années 2016 à 2018 ;

2°) de condamner VNF à lui rembourser la somme totale de 290 640 639 euros ;

3°) de mettre à la charge de VNF une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1903441 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et l'a condamnée à verser à l'établissement public VNF la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mars 2022, la société Electricité de France (EDF), représentée par Me Gréteau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 janvier 2022 ;

2°) d'annuler l'ensemble des factures émises par l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) pour la perception de la taxe hydraulique au titre des années 2016 à 2018 ;

3°) de la décharger de l'obligation de payer à VNF la somme correspondante à ces factures et de condamner VNF à lui rembourser ladite somme ;

4°) de mettre à la charge de VNF une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif de Lille a rejeté à tort sa requête comme irrecevable dès lors qu'elle était dispensée du ministère d'avocat obligatoire en première instance, en application du second alinéa de l'article R. 772-1 du code de justice administrative et de son article R. 431-6 ;

- en toute hypothèse, à supposer même un ministère d'avocat obligatoire, le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'elle n'a pas été invitée par le tribunal à régulariser sa requête antérieurement à l'intervention du jugement du 18 janvier 2022 ;

- la taxe hydraulique constitue une aide d'Etat illicite au sens du droit communautaire dès lors qu'elle constitue une aide apportée à VNF qui exerce de multiples activités sur des marchés ouverts à la concurrence et qu'elle n'a pas été notifiée à la commission européenne, en méconnaissance des articles 108 et 109 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les activités menées par VNF sur le marché immobilier, qui est ouvert à la concurrence, ont nécessité l'emploi de ressources par VNF.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2022, l'établissement public Voies Navigables de France (VNF), représenté par Me Drain, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge d'EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

VNF fait valoir que :

- le jugement du tribunal administratif de Lille n'est pas irrégulier dès lors qu'elle avait soulevé l'irrecevabilité de la requête d'EDF en l'absence de ministère d'avocat obligatoire dans un mémoire en défense auquel la société requérante avait d'ailleurs répliqué ;

- à titre principal, le tribunal était fondé à rejeter la requête d'EDF comme irrecevable ;

- à titre subsidiaire, l'unique moyen soulevé par EDF et tenant à la méconnaissance de l'obligation de la notification de la taxe hydraulique à la commission européenne en sa prétendue qualité d'aide d'Etat n'est pas fondé ;

- à titre très subsidiaire, les dispositions des articles L. 2125-1 et L. 2125-3 du code général des propriétés des personnes publiques peuvent être substituées aux dispositions du code des transports pour justifier le versement des sommes en litiges par la société EDF ;

- à titre infiniment subsidiaire, les sommes réclamées au titre des années 2016 à 2018 doivent rester à la charge de la société EDF au titre de l'enrichissement sans cause.

Par ordonnance du 23 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 1407/2013 du 18 décembre 2013 ;

- le code des transports ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 ;

- la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 ;

- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

- le décret n°60-1441 du 26 décembre 1960;

- le décret n° 91-797 du 20 août 1991;

- le décret n°2004-1425 du 23 décembre 2004 ;

- le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 ;

- le décret n° 2011-797 du 30 juin 2011;

- l'arrêté du 28 juin 2011 (NOR : INDR1117736A) ;

- l'arrêté du 20 juillet 2012 (NOR : DEVR1230094A) ;

- l'arrêté du 28 juillet 2014 (NOR : DEVR1417458A) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Eustache, rapporteur public,

- et les observations de Me Drain, représentant l'établissement public Voies Navigables de France (VNF).

Considérant ce qui suit :

1. La société Electricité de France (EDF) a sollicité, par demande du 21 décembre 2018, l'annulation de factures émises par l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) portant sur le versement de la taxe hydraulique au titre des années 2016 à 2018. Par décision du 20 février 2019, VNF a rejeté cette demande. La société EDF a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de ces factures et sollicité le remboursement des sommes qu'elle avait versées à VNF au titre de la taxe hydraulique due pour les années 2016 à 2018. Par un jugement du 18 janvier 2022, le tribunal a rejeté sa requête pour irrecevabilité, sur le fondement des dispositions de l'article R. 431-2 du code de justice administrative. EDF interjette appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, pour financer l'ensemble de ses activités, l'établissement public VNF perçoit, en vertu du I de l'article 124 de la loi de finances pour 1991, codifié à l'article L. 4316-3 du code des transports dans sa rédaction applicable au présent litige, le " produit de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques ". Conformément au II de cet article 124 et à l'article L. 4316-4 du même code, cette taxe est composée de deux éléments calculés en fonction, d'une part, de la superficie de l'emprise au sol des ouvrages " destinés à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine public fluvial " confié à Voies navigables de France et, d'autre part, du " volume prélevable ou rejetable par l'ouvrage ". Comme le précise l'article 11 du décret du 20 août 1991 visé ci-dessus, codifié à l'article R. 4316-3 du code des transports dans sa rédaction applicable au présent litige, " Le volume prélevable est le volume maximal annuel prélevable de l'ouvrage, tel qu'il résulte de la capacité physique de celui-ci. Le volume rejetable est le volume maximal annuel rejetable par l'ouvrage, tel qu'il résulte de la capacité physique de rejet de l'ouvrage et des quantités susceptibles de transiter par celui-ci " et " La superficie d'emprise et les volumes définis ci-dessus sont mentionnés dans les actes autorisant l'occupation du domaine confié à l'établissement public postérieurs au 22 août 1991 ". Pour le paiement de cette taxe, qui est directement recouvrée par le comptable de Voies navigables de France, l'occupant remet chaque année à ce dernier, en application du II de l'article 124 de la loi de finances pour 1991, codifié à l'article L. 4316-6 du code des transports dans sa rédaction applicable au présent litige, " une déclaration accompagnée du paiement de la taxe due ".

3. Cette taxe sur les titulaires des ouvrages hydrauliques, qui ne peut être rangée ni parmi les contributions indirectes, ni parmi les impôts directs et qui ne constitue pas davantage une redevance pour service rendu, est directement liée à l'occupation du domaine public. Dès lors, le contentieux de cette taxe est compris parmi le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique et relève, à ce titre, de la juridiction administrative.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 772-1 du code de justice administrative : " Les requêtes en matière d'impôts directs et de taxe sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées dont l'assiette ou le recouvrement est confié à la direction générale des impôts sont présentées, instruites et jugées dans les formes prévues par le livre des procédures fiscales. / Les requêtes relatives aux taxes dont le contentieux ressortit à la juridiction administrative et autres que celles qui sont mentionnées à l'alinéa 1 sont, sauf disposition spéciale contraire, présentées et instruites dans les formes prévues par le présent code ". Il en résulte que les demandes tendant à la restitution de la taxe sur les titulaires des ouvrages de prise d'eau doivent être présentées selon les règles prévues par le code de justice administrative, sans préjudice de l'application des principes généraux qui régissent le contentieux fiscal.

5. Aux termes de l'article R. 772-3 du code de justice administrative : " Les requêtes mentionnées au présent chapitre sont dispensées de ministère d'avocat en première instance. ".

6. En l'espèce, la requête présentée par la société EDF devant le tribunal administratif de Lille et par laquelle elle a demandé l'annulation des factures émises par l'établissement public VNF portant sur le versement de la taxe hydraulique au titre des années 2016 à 2018 et sollicité le remboursement des sommes correspondantes, est par conséquent et, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lille dans son jugement attaqué, dispensée de ministère d'avocat en première instance.

7. La société EDF est ainsi fondée à soutenir que le jugement du 18 janvier 2022, qui a jugé à tort sa requête irrecevable en l'absence de ministère d'avocat sur le fondement des dispositions de l'article R. 431-2 du code de justice administrative, est irrégulier et, par suite, à en demander l'annulation.

8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société EDF devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les conclusions à fin d'annulation, de décharge et de remboursement présentées par la société EDF :

En ce qui concerne les dispositions de droit interne applicables :

9. Aux termes du I de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 visée ci-dessus, codifié aux articles L. 4311-1 et L. 4311-2 du code des transports, l'établissement public Voies navigables de France " assure l'exploitation, l'entretien, l'amélioration, l'extension et la promotion des voies navigables et de leurs dépendances " et, pour l'accomplissement de ses missions, il " gère et exploite le domaine de l'État qui lui est confié ainsi que son domaine privé " et peut " proposer des prestations aux collectivités territoriales ou à leurs groupements propriétaires de cours d'eau, canaux, lacs, plans d'eau et ports intérieurs ". Comme le précisent les articles 1er et 2 du décret du 26 décembre 1960 visé ci-dessus, codifiés à l'article R. 4311-1 du code des transports, l'établissement est chargé " 1° D'exploiter, d'entretenir et d'améliorer les voies navigables, les ports fluviaux et autres dépendances du domaine public fluvial dont la gestion lui est confiée ; / 2° De réaliser les infrastructures nouvelles du réseau en cohérence avec la perspective européenne ; / 3° De gérer le domaine qui lui est confié pour l'exercice des missions susmentionnées, ainsi que l'eau qui s'y écoule, le cas échéant en utilisant les compétences qu'il peut exercer en application de l'article L. 211-7 du code de l'environnement ; / 4° De centraliser et de porter à la connaissance du public les renseignements de toute nature concernant l'utilisation des voies navigables ; / 5° De rechercher tout moyen propre à développer l'utilisation des voies navigables et à en améliorer l'exploitation ".

10. Dans le cadre de ses missions, l'établissement peut également, comme le prévoit le 7° de l'article L. 4311-2 du code des transports dans sa rédaction en vigueur depuis le 25 janvier 2012, " valoriser le domaine de l'État qui lui est confié en vertu de l'article L. 4314-1 du présent code ainsi que son domaine privé en procédant à des opérations d'aménagement ou de développement connexes à ses missions ou complémentaires de celles-ci ", en lui permettant de confier " la réalisation des opérations d'aménagement et de construction à des organismes visés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation et aux articles L. 326-1 et L. 327-1 du code de l'urbanisme ". En vertu du 8° du même article, l'établissement peut aussi " créer des filiales ou prendre des participations dans des sociétés, groupements ou organismes en vue de réaliser toute opération utile à ses missions ", étant précisé que " ces filiales créées par l'établissement public et ces sociétés, groupements ou organismes dans lesquels l'établissement public prend des participations doivent être à capitaux majoritairement publics lorsqu'ils ont vocation à réaliser des opérations d'aménagement ".

11. Ainsi qu'il l'a été dit, l'établissement perçoit, en vertu du I de l'article 124 de la loi de finances pour 1991, codifié à l'article L. 4316-3 du code des transports dans sa rédaction applicable au présent litige, le " produit de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques " pour financer l'ensemble de ses activités.

12. Pour s'assurer de l'acquittement de cette taxe, les agents commissionnés de l'établissement peuvent effectuer tout contrôle, notamment d'assiette, en vertu de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991 visée ci-dessus, codifié aux articles L. 4316-10 à L. 4316-14 du code des transports dans sa rédaction applicable au présent litige. En vertu des mêmes dispositions, " Les redressements correspondant à des omissions, erreurs, insuffisances ou inexactitudes dans les éléments servant de base de calcul de la taxe sont portés par Voies navigables de France à la connaissance du redevable, trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions supplémentaires, par lettre motivée, de manière à lui permettre de formuler ses observations. / En l'absence de déclaration, les impositions établies d'office par Voies navigables de France doivent faire l'objet d'une mise en demeure préalable notifiée au redevable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions ". Comme le prévoit l'article L. 4316-14 du code des transports dans sa rédaction applicable au présent litige, aux fins de rechercher toute personne qui s'est soustraite ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel de la taxe, les agents agréés et commissionnés de Voies navigables de France " ont accès aux installations et lieux où sont situés les ouvrages hydrauliques, à l'exclusion des locaux d'habitation. Leurs propriétaires ou exploitants sont tenus de leur livrer passage ".

En ce qui concerne la violation de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

13. Aux termes de premier paragraphe de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Aux termes du troisième paragraphe de l'article 108 du même traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides (...) ".

14. En l'espèce, compte tenu des conditions d'établissement, de recouvrement et d'affectation de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques, les sommes correspondant au produit de cette imposition, versées de 2016 à 2018 par l'État à l'établissement public Voies navigables de France, doivent être regardées comme ayant été soumises à un contrôle public. Par suite, alors même que l'État en a obtenu le paiement par les utilisateurs du domaine public fluvial, elles doivent être regardées comme des ressources d'État au sens des stipulations précitées de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

15. La société EDF soutient que les fonds ainsi alloués à l'établissement sont constitutifs d'une aide d'État au sens de ces mêmes stipulations. Il résulte de l'instruction qu'au cours de la période litigieuse, le produit de la taxe a contribué au financement de l'ensemble des missions de l'établissement, sans être spécialement affecté à la réalisation de certaines d'entre elles.

S'agissant des activités de service public :

16. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les activités par lesquelles Voies navigables de France règle et contrôle, dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, l'occupation, l'entretien, la protection ou l'extension du domaine public qui lui a été confié ne revêtent pas un caractère économique et ne sauraient par suite affecter les échanges entre États membres, ni fausser ou être susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions. Leur financement par le produit de la taxe ne saurait donc être qualifié d'aide d'État.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les activités industrielles et commerciales par lesquelles l'établissement exploite les ouvrages portuaires du domaine public fluvial dont la gestion lui a été confiée, fournit des services d'information et d'assistance aux bateliers, chargeurs et plaisanciers afin de garantir la sécurité et la fluidité de la navigation fluviale, organise des événements aux fins de promouvoir ce type de navigation et fournit des données statistiques sur l'utilisation du domaine public fluvial sont indissociables de la réalisation des obligations de service public ayant pour objet la protection et la gestion de ce domaine, qui sont confiées à titre exclusif à l'établissement et pour lesquelles il perçoit, à titre de compensation, le produit de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques.

18. Or il résulte des textes citées au point 12, telles qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C-280/00, que sont exclues du champ des aides d'État les subventions publiques qui peuvent être considérées comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, à la condition que, premièrement, l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies, deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente, troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations, quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise à charger de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations.

19. D'une part, les dispositions citées ci-dessus du code des transports définissent clairement les obligations de service public mises à la charge de l'établissement. Par ailleurs, il résulte de ces dispositions que les éléments constitutifs de la taxe, qui sont définis de manière objective et transparente, sont déterminés en fonction, d'une part, de la superficie de l'emprise au sol des ouvrages sur le domaine public fluvial confié à Voies navigables de France et, d'autre part, des volumes d'eau qui y sont " prélevables ou rejetables ". Par suite, le montant de la taxe, dont les éléments constitutifs sont ainsi déterminés en fonction de l'utilisation de ce domaine, présente un lien direct avec les obligations de service public de l'établissement.

20. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment d'un tableau établi par l'agent comptable principal de VNF le 11 juillet 2019, que les dépenses de fonctionnement et d'investissement exposées par l'établissement pour la réalisation de ces mêmes obligations de service public n'ont été financées que partiellement par le produit de la taxe en cause durant la période litigieuse. En effet, le produit de cette taxe s'est élevé à 132,875 millions d'euros en 2016 et 2017 et à 127,8 millions en 2019, alors que le total des dépenses de l'établissement a été compris au cours de ces trois années entre 525 et 544 millions d'euros. Dans ces conditions, alors même que la comptabilité de l'établissement ne détaille pas la part de la taxe qui a été affectée à chacune de ses missions, le produit de la taxe ne saurait avoir excédé, durant la période litigieuse, le coût des charges de service public. Par ailleurs, il n'est pas sérieusement allégué que cette compensation partielle n'aurait pas été déterminée sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne aurait encourus pour exécuter ces obligations de service public.

21. Il résulte de ce qui précède que les activités industrielles et commerciales mentionnées au point 16 ne sauraient affecter les échanges entre États membres, ni fausser ou être susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions. Les sommes versées en compensation du coût de ces activités ne peuvent dès lors pas être qualifiées d'aides d'État.

S'agissant des activités de valorisation du domaine privé :

22. Il résulte de l'instruction que les activités industrielles et commerciales par lesquelles Voies navigables de France valorise son domaine privé grâce à des opérations de promotion immobilière sont détachables des obligations de service public mentionnées ci-dessus et sont susceptibles, par nature, d'être réalisées sur un marché concurrentiel par des opérateurs économiques. La circonstance que l'établissement a choisi de confier, sans procédure de mise en concurrence, la réalisation de ces activités à des sociétés qu'il a créées est sans incidence sur la nature économique de ces activités et sur l'ouverture du marché au sein duquel elles peuvent être exercées par des opérateurs existants.

23. Cependant, il résulte des textes cités au point 13, telles qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des aides d'État, à moins qu'elles ne constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de telle sorte qu'elles fassent partie intégrante de cette mesure. La Cour de justice a précisé, notamment par son arrêt du 22 décembre 2008, Société Régie Networks, C-333/07, que " pour qu'une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide concernées en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide et influence directement l'importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché commun ".

24. En l'espèce, d'une part, le produit de la taxe n'est pas réparti entre les différents postes de dépenses de l'établissement par les dispositions réglementaires qui définissent l'assiette et le montant de la taxe, mais, en vertu de l'article R. 4312-10 du code des transports, de manière discrétionnaire par le conseil d'administration de l'établissement, lequel, comme le prévoit l'article R. 4312-1 du même code, est composé de neuf représentants de l'État, mais aussi de neuf personnalités nommées par arrêté du ministre chargé des transports et de huit représentants du personnel. Dans ces conditions, la société EDF n'est pas fondée à soutenir que le produit de la taxe a été nécessairement affecté au financement des activités de valorisation du domaine privé de l'établissement.

25. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que, durant la période litigieuse, les variations du montant de la taxe aient directement influencé le montant des dépenses affectées par l'établissement à la valorisation de son domaine privé. A ce titre, il résulte des données comptables fournies par Voies navigables de France, qui ne sont pas sérieusement contestées, que le montant net des filiales est resté stable entre 2015 et 2018 et représentait une somme comprise entre 9,4 et 9,9 millions d'euros, très substantiellement inférieure aux montants annuels du produit de la taxe sur la même période.

26. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'il existe un lien d'affectation contraignant entre le produit de la taxe versé à l'établissement et les dépenses exposées par ce dernier pour la réalisation d'activités économiques de promotion immobilière. En ce qui concerne ces activités, la taxe ne pouvant être ainsi considérée comme faisant partie intégrante d'une mesure d'aide, la société EDF n'est pas fondée à soutenir qu'elle est constitutive d'une aide d'État.

27. En tout état de cause, en premier lieu, il résulte de l'instruction que les participations détenues par Voies navigables de France dans le capital des sociétés civiles immobilières qui ont été créées pour la réalisation des projets de réhabilitation du port et du quai Rambaud ont été acquises en contrepartie d'un apport d'actifs fonciers correspondant à des parcelles cédées à titre gratuit à l'établissement à la suite de leur déclassement par l'État du domaine public fluvial. Ces participations n'ont dès lors pas été acquises au moyen de la taxe litigieuse. En outre, ni la perception de dividendes à raison de la détention de ces participations, ni les plus-values réalisées à l'occasion de leur cession ne sauraient être regardées comme une atteinte aux règles de la concurrence.

28. En deuxième lieu, si la société EDF soutient que l'établissement public VNF était tenu de verser une indemnité contractuelle de 610 000 euros à la société civile immobilière La sucrière en exécution d'une convention d'occupation du domaine public conclue en 2003, il résulte de l'instruction que cette créance, qui a été cédée à la société Icade Promotion, a été éteinte par la cession à cette dernière société de participations au sein du capital de la société civile immobilière Espace sucrière, pour la création de laquelle VNF s'est borné à apporter des actifs fonciers que l'État lui avait été cédés sans contrepartie. Si la société EDF soutient que des avances en compte courant ont été octroyées en 2016 à des sociétés civiles immobilières contrôlées par VNF, il n'est pas établi que ces avances auraient été financées par le produit de la taxe durant la période litigieuse.

29. En troisième lieu, si Voies navigables de France a acquis en 2013 pour un montant de 720 000 euros des participations au sein du capital de la société Rhône Saône Développement, qui exerce une activité économique de " montage de projet immobilier ", l'établissement soutient, sans être sérieusement contredit, qu'il n'assure pas la gérance de cette société, qu'il ne s'immisce pas dans sa direction ou sa gestion et qu'il n'abonde pas son budget. A ce titre, il ne résulte pas de l'instruction que des représentants de l'établissement siègeraient dans les organes décisionnels de cette société, ni que l'établissement aurait exercé d'autres droits que ceux attachés à sa qualité d'actionnaire et à la perception de dividendes.

30. Or il résulte des stipulations de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par l'arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze, C-222/04, que la simple détention de participations, même de contrôle, ne suffit pas à caractériser une activité économique de l'entité détentrice de ces participations, lorsqu'elle ne donne lieu qu'à l'exercice des droits attachés à la qualité d'actionnaire ou d'associé, ainsi que, le cas échéant, à la perception de dividendes, simples fruits de la propriété d'un bien. En revanche, une entité qui, détenant des participations de contrôle dans une société, exerce effectivement ce contrôle en s'immisçant directement ou indirectement dans la gestion de celle-ci, doit être considérée comme prenant part à l'activité économique exercée par l'entreprise contrôlée.

31. Dans ces conditions, en sa seule qualité d'actionnaire de la société Rhône Saône Développement, VNF ne saurait être regardé comme exerçant indirectement au travers de cette société une activité économique de montage de projet immobilier.

32. En quatrième lieu, s'agissant des diverses autres activités économiques allégées, il ne résulte pas de l'instruction que l'échange de terrains réalisé en 2006 par VNF et la société d'économie mixte Lyon-Confluence dans le cadre du projet d'aménagement de la presqu'île de Lyon aurait donné lieu au paiement d'une soulte par l'établissement, ni que la société civile immobilière Le Progrès aurait réglé cette soulte grâce à des fonds apportés par VNF. Si l'appelante soutient que l'établissement a réalisé à ses frais des études préparatoires pour divers projets d'aménagement, elle n'apporte pas d'élément précis et circonstancié à l'appui de ses allégations, alors que Voies navigables de France fait valoir que les études relatives à la construction à Lyon d'un parking et d'un " bâtiment Z " et à la réhabilitation d'une capitainerie ont été réalisées, sans son concours financier, par la société Rhône Saône Développement. Si l'appelante soutient que VNF a exercé lui-même une activité de location de biens immobiliers, qu'il a versé une aide financière à la société civile immobilière Les Salins dans le cadre de sa liquidation et qu'il a financé avec ses fonds propres divers projets d'aménagement, notamment à Valenciennes, Huningue et à Toulouse, elle n'apporte toutefois pas d'élément précis et circonstancié à l'appui de ses allégations. En particulier, en ce qui concerne la SCI Les Salins, elle ne peut utilement se prévaloir dans la présente instance d'irrégularités de gestion qui auraient été commises par celle-ci.

33. Il résulte de tout ce qui précède que, ainsi que l'a au demeurant déjà jugé la cour dans son arrêt devenu définitif n° 18DA00364 du 30 août 2022 relativement à la période comprise entre 2009 et 2015 sur le fondement d'éléments similaires, la société EDF n'est pas fondée à soutenir que le versement à VNF, au titre des années 2016 à 2018, du produit de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques a été constitutif d'une aide d'État en méconnaissance de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Par suite, les moyens tirés de sa violation, par voie de conséquence, de celle de l'article 108 du même traité et des dispositions du règlement (UE) n°1407/2013 du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis en l'absence de notification de cette aide à la Commission européenne doivent être écartés.

34. Il en résulte que les conclusions présentées par la société EDF devant le tribunal administratif de Lille et tendant à l'annulation de l'ensemble des factures émises par VNF pour la perception de la taxe hydraulique au titre des années 2016 à 2018 et à la condamnation de l'établissement public à lui rembourser la somme totale de 290 640 639 euros doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

En ce qui concerne les frais de la première instance :

35. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de VNF, qui n'est pas dans cette instance la partie perdante, la somme demandée par la société EDF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

36. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société EDF une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par VNF et non compris dans les dépens.

En ce qui concerne les frais de l'instance d'appel :

37. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la société EDF dès lors qu'elle est la partie principalement perdante.

38. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'établissement public VNF sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 18 janvier 2022 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Electricité de France (EDF) devant le tribunal administratif de Lille, ainsi que le surplus des conclusions de sa requête d'appel, sont rejetées.

Article 3 : La société EDF versera à l'établissement public VNF une somme de 1 500 euros au titre des frais de la première instance, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'établissement public Voies navigables de France (VNF) au titre des frais de l'instance d'appel sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Électricité de France et à l'établissement public Voies navigables de France.

Copie en sera transmise, pour information, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : V. Thulard

La présidente de la 1ère chambre

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°22DA00643


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00643
Date de la décision : 28/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Vincent Thulard
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : DRAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-28;22da00643 ?
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