Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet qui ont été opposées à ses demandes d'assujettir à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018, diverses installations du port de Calais exploitées par la Société d'exploitation des ports du détroit et par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP, et, d'autre part, de condamner l'Etat à indemniser son préjudice tenant à la perte de recettes fiscales causée par cette absence d'assujettissement.
Par un jugement, nos 1709530, 1801791, 1810712 du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu à statuer en ce qui concerne certains équipements, a fait partiellement droit à sa demande et rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour avant renvoi :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 août 2020 et le 3 janvier 2022, et un mémoire, enregistré le 4 février 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, représentée par Me Quéré puis par la société d'avocats Euroconsult France, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande ;
2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles le directeur départemental des finances publiques du Pas-de-Calais a rejeté ses demandes, en date des 16 août 2017 et 28 août 2018, tendant à l'assujettissement, d'une part, des biens existants sur le site du port de Calais à la date du 19 février 2015, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016, 2017 et 2018, d'autre part, du bien à usage de " buffer ", à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2017 et 2018, enfin, des installations exploitées par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP en vue de la fabrication de " Xblocs " à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016, 2017 et 2018 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 753 457 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de préciser le montant des bases d'imposition omises par l'administration ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mise en recouvrement du rôle et la fixation de la date de déclaration de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises étant sans incidence sur la décision prise par l'administration à la suite de sa réclamation indemnitaire, sa demande n'était pas prématurée ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions d'excès de pouvoir relatives à l'assujettissement des locaux à usage de centrale à béton et d'usine de fabrication de " Xblocs " à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dès lors que la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP doit y être assujettie ;
- la société d'exploitation des ports du détroit ne peut prétendre à l'exonération de cotisation foncière des entreprises prévue au 2° de l'article 1449 du code général des impôts dès lors, d'une part, que cette société n'est pas une société d'économie mixte, d'autre part, que la région Hauts-de-France ne détient pas une part significative de son capital ;
- cette exonération est incompatible avec l'article 107 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne dès lors qu'il s'agit d'une aide d'Etat qui n'a pas été notifiée à la Commission européenne ;
- la société d'exploitation des ports du détroit ne peut prétendre à l'exonération de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévue à l'article 1586 ter du code général des impôts ;
- elle est fondée à demander l'indemnisation des impositions omises à hauteur de 2 551 020 euros et de 594 262 euros s'agissant respectivement de la cotisation foncière des entreprises et de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises due par la société d'exploitation des ports du détroit, et de 608 275 euros au titre de la cotisation à la valeur ajoutée des entreprises due par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2021, et un mémoire, enregistré le 27 janvier 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de la demande du 29 août 2018 sont irrecevables, dès lors que cette demande était prématurée ;
- les moyens invoqués à l'appui des conclusions tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet des demandes des 16 août 2017 et 28 août 2018 ne sont pas fondés ;
- aucune précision suffisante n'est apportée s'agissant de l'évaluation du préjudice prétendument subi par la communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2021, la Société d'exploitation des ports du détroit, représentée par la société d'avocats CMS Francis Lefebvre avocats, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 20DA01231 du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a annulé les décisions implicites de rejet qui lui ont été opposées en tant qu'elles portent sur l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018 et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de la communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
Par une décision nos 470075, 470494 du 5 février 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et par la communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, a annulé les articles 1er à 3 de cet arrêt du 10 novembre 2022 ainsi que son article 4 en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers relative à l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit, a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour, et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi de la communauté d'agglomération Communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
Procédures devant la cour après renvoi de l'affaire :
I - Par un mémoire, enregistré le 1er mai 2024, sous le numéro 24DA00230, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, représentée par Me Tchoudjem, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre :
- le dispositif d'exonération de cotisation foncière des entreprises prévu au 2° de l'article 1449 du code général des impôts constitue une aide d'Etat nouvelle, car instituée postérieurement à l'entrée en vigueur du traité instituant la Communauté économique européenne, qui n'a pas été notifiée à la Commission européenne, en méconnaissance de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- il appartient à la cour d'ordonner à la région Hauts-de-France et à la société d'exploitation des ports du détroit de produits tous éléments afin de déterminer, d'une part, le prix de revient de l'ensemble des construction existences sur le port de Calais au titre des années concernées et, d'autre part, les éléments relatifs au chiffre d'affaires de la société d'exploitation des ports du détroit.
Un courrier du 3 avril 2024 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.
Par une ordonnance du 26 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a été enregistré le 1er juillet 2024, postérieurement à la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.
II - Par un mémoire, enregistré le 26 avril 2024, sous le numéro 24DA00234, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.
Il soutient, en outre, que l'imposition de l'usine de fabrication " Xblocs " à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est exclue du périmètre du litige dont est saisi la cour après renvoi.
Par un mémoire, enregistré le 1er mai 2024, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, représentée par Me Tchoudjem, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.
Elle soulève les mêmes moyens que dans l'instance 24DA00230.
Un courrier du 3 avril 2024 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.
Par une ordonnance du 26 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a été enregistré le 1er juillet 2024, postérieurement à la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le traité instituant la Communauté économique européenne, devenu traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 784/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
- le règlement (UE) n° 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 ;
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- la décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La région Nord-Pas-de-Calais, propriétaire du port maritime de commerce de Calais, a signé le 19 février 2015 un contrat de concession de ce port avec la Société d'exploitation des ports du détroit, détenue à hauteur de 73 % par la chambre de commerce et d'industrie de région Nord-de-France et la chambre de commerce Côte-d'Opale. Le même jour, cette société a signé un contrat de subdélégation avec la Société des ports du détroit, détenue à hauteur de 80 % par les sociétés CDC Infrastructures et Meridiam Infrastructures, laquelle a conclu un contrat de conception-réalisation avec un groupement d'entreprises, la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP.
2. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet de ses demandes tendant à l'assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018 de diverses installations du port exploitées par la Société d'exploitation des ports du détroit et par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP à raison d'installations industrielles qu'elle exploitait et, d'autre part, de condamner l'Etat au versement de la somme de 4,5 millions d'euros en réparation du préjudice causé par la perte de recettes fiscales qu'elle estimait avoir subie.
3. Par un jugement du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à sa demande et rejeté le surplus de ses conclusions. Par un arrêt du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a, à son article 1er, annulé les décisions implicites de rejet en tant qu'elles portaient sur l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, à son article 2, réformé le jugement attaqué en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt, à son article 3, mis à la charge de l'Etat le versement à la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige, et à son article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
4. Par une décision du 5 février 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, a annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt du 10 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai ainsi que son article 4 en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers relative à l'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit et a, dans cette mesure, renvoyé le jugement de l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous deux instances, portant les nos 24DA00230 et 24DA00234, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions implicites de refus d'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018 :
En ce qui concerne le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 1449 du code général des impôts :
5. Aux termes de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2018 : " Sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises : (...) 2° Les grands ports maritimes, les ports autonomes, ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte, à l'exception des ports de plaisance ". Aux termes de l'article 1586 ter de ce code : " I. - Pour la détermination de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, on retient la valeur ajoutée produite (...), à l'exception (...) de la valeur ajoutée afférente aux activités exonérées de cotisation foncière des entreprises en application des articles 1449 à 1463 (...) ".
6. Par une décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018, le Conseil constitutionnel, saisi de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article 1449 du code général des impôts a déclaré contraires à la Constitution et abrogé, à compter du 1er janvier 2019, les mots " ou des sociétés d'économie mixte " au motif que le législateur avait, compte tenu de l'objectif qu'il s'était assigné, méconnu les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en excluant du champ d'application de ces dispositions " d'autres sociétés susceptibles de gérer un port, n'ayant pas le statut de sociétés d'économie mixte, mais dont le capital peut être significativement, voire totalement, détenu par des personnes publiques " telles que les " sociétés publiques locales, dont les collectivités territoriales ou leurs groupements détiennent la totalité du capital ". Il résulte de cette décision que les dispositions contestées restaient applicables au présent litige portant sur des années antérieures à 2019.
7. Il ressort des pièces du dossier que la Société d'exploitation des ports du détroit est une société par actions simplifiée ayant pour objet, notamment, d'assurer, en vertu du contrat de concession du 19 février 2015, cité au point 1, la gestion, l'exploitation, la maintenance et le développement des ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer, et que le capital de cette société est détenu majoritairement par la chambre de commerce et d'industrie de région Nord-de-France et la chambre de commerce Côte-d'Opale, établissements publics placés sous la tutelle de l'Etat en application de l'article L. 710-1 du code de commerce, et, minoritairement par des personnes morales de droit privé. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que cette société est une société d'économie mixte, quand bien même elle n'entre pas dans le champ des sociétés d'économie mixte créées par la loi ou des sociétés d'économie mixte locales prévues par les dispositions de l'article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales.
8. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers soutient que la Société d'exploitation des ports du détroit ne peut pas être regardée comme une société d'économie mixte au sens du 2° de l'article 1449 du code général des impôts, et se prévaut à ce titre de la décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018 du Conseil constitutionnel précitée pour en déduire que l'exonération prévue à cet article ne concerne que les sociétés d'économie mixte dont une partie significative du capital est détenu par une collectivité territoriale. Toutefois, le bénéfice de l'exonération prévue au 2° de l'article 1449 du code général des impôts n'est pas limité aux seules sociétés d'économie mixte dont une partie du capital serait détenue par une collectivité territoriale.
9. Il suit de là que la Société d'exploitation des ports du détroit doit être regardée comme une société d'économie mixte, au sens des dispositions de l'article 1449 du code général des impôts, pouvant prétendre au bénéfice de l'exonération de cotisation foncière des entreprises prévue par ces dispositions et, par suite, de l'exonération de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévue par celles de l'article 1586 ter du même code.
En ce qui concerne l'inconventionnalité des dispositions du 2° de l'article 1449 du code général des impôts :
10. D'une part, aux termes de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. (...) ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 108 de ce traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".
11. Il résulte des stipulations des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 107 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet. L'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées ont institué des aides d'Etat au sens de l'article 107 du même traité.
12. D'autre part, aux termes de l'article 2 du règlement du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf indication contraire dans tout règlement pris en application de l'article 109 du TFUE ou de toute autre disposition pertinente de ce dernier, tout projet d'octroi d'une aide nouvelle est notifié en temps utile à la Commission par l'État membre concerné ". Aux termes de l'article 1er de ce règlement : " Aux fins du présent règlement, on entend par : / a) " aide " : toute mesure remplissant tous les critères fixés à l'article 107, paragraphe 1, du TFUE ; / b) " aide existante " : / i) (...) toute aide existant avant l'entrée en vigueur du TFUE dans l'État membre concerné, c'est-à-dire les régimes d'aides et aides individuelles mis à exécution avant et toujours applicables après l'entrée en vigueur du TFUE dans les États membres respectifs ;-/-ii) toute aide autorisée, c'est-à-dire les régimes d'aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ; / iii) toute aide qui est réputée avoir été autorisée conformément à l'article 4, paragraphe 6, du règlement (CE) no 659/1999 ou à l'article 4, paragraphe 6, du présent règlement, ou avant le règlement (CE) no 659/1999, mais conformément à la présente procédure ; iv) toute aide réputée existante conformément à l'article 17 du présent règlement ; v) toute aide qui est réputée existante parce qu'il peut être établi qu'elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l'évolution du marché intérieur et sans avoir été modifiée par l'État membre. Les mesures qui deviennent une aide à la suite de la libéralisation d'une activité par le droit de l'Union ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation ; / c) " aide nouvelle " : toute aide, c'est-à-dire tout régime d'aides ou toute aide individuelle, qui n'est pas une aide existante, y compris toute modification d'une aide existante ; (...) ".
13. L'article 4 du règlement 784/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement du Conseil du 22 mars 1999, remplacé par le règlement du Conseil du 13 juillet 2015, précise à son paragraphe 1 que la modification d'une aide existante désigne " tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l'évaluation de la compatibilité de la mesure d'aide avec le marché commun. ".
14. Le régime d'exonération de cotisation foncière des entreprises du 2° de l'article 1449 du code général des impôts dans sa rédaction applicable jusqu'au 1er janvier 2019 dont bénéficiaient notamment les sociétés d'économie mixte trouve son origine dans l'exonération de patente dont bénéficiaient les gestionnaires de ports, laquelle a été maintenue par des décisions ministérielles des 11 août 1942 et 27 avril 1943. L'article 5 de la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle a limité le bénéfice de cette exonération aux ports autonomes et aux ports gérés par des collectivités locales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte, à l'exception des ports de plaisance.
15. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces modifications de la loi aient entraîné une augmentation du nombre de ports bénéficiaires du régime d'exonération entre celui applicable avant l'entrée en vigueur du traité instituant la Communauté économique européenne du 27 mars 1957 et le régime applicable à la date de la décision en litige.
16. En deuxième lieu, si l'impôt visé par cette exonération a évolué, passant de la patente à la taxe professionnelle puis à la contribution économique territoriale, l'objet de cette imposition, à savoir l'exercice d'une activité professionnelle, est demeuré inchangé.
17. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas soutenu, que les évolutions du régime d'exonération en cause aient modifié des éléments structurels de son système de financement.
18. En quatrième lieu, si la décision ministérielle du 11 août 1942 avait prévu qu'il devait être mis fin au régime d'exonération " au 1er janvier de l'année suivant celle de la cessation des hostilités ", soit au 1er janvier 1946, il est constant que ce régime a été maintenu au-delà de cette date.
19. Enfin, si l'objectif poursuivi par les décisions ministérielles des 11 août 1942 et 27 avril 1943 était différent de celui recherché à compter de la loi du 29 juillet 1975, en tout état de cause, l'existence d'une aide d'Etat s'apprécie non pas au regard des causes ou des objectifs de l'intervention étatique, mais en fonction de ses effets.
20. Dans ces conditions, le régime de l'exonération prévue au 2° de l'article 1449 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige n'ayant pas été substantiellement modifié par rapport à celui en vigueur avant l'institution de la Communauté économique européenne, à supposer qu'il soit qualifié d'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il doit être regardé comme une aide existante, et non comme une aide nouvelle, au sens de l'article 108 du même traité et du règlement du Conseil du 13 juillet 2015, à l'instar de ce qu'a d'ailleurs admis la Commission européenne dans sa décision C(2017) 5176 du 27 juillet 2017 s'agissant de l'exonération d'impôt sur les sociétés dont bénéficiaient les ports depuis les décisions ministérielles des 11 août 1942 et 27 avril 1943.
21. Par suite, et en tout état de cause, le moyen de la requête tiré, par la voie de l'exception, de l'inconventionnalité des dispositions du 2° de l'article 1449 du code général des impôts, doit être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires relatives à la réparation de la perte de recettes fiscales résultant de l'absence d'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises :
22. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement.
23. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers soutient que l'administration fiscale a commis une faute, d'une part, en faisant bénéficier la Société d'exploitation des ports du détroit de l'exonération prévue au 2° de l'article 1449 du code général des impôts au titre des années 2016 à 2018 alors que cette société ne pouvait y prétendre dès lors qu'elle n'est pas une société d'économie mixte au sens de ces dispositions et, d'autre part, en faisant application d'un régime d'aide d'Etat sans l'avoir notifié à la Commission européenne en application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
24. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment, d'une part, que la Société d'exploitation des ports du détroit entrait dans le champ d'application de l'exonération du 2° de l'article 1449 du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur et, d'autre part, que ce régime d'exonération n'avait pas à faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne en application du paragraphe 3 de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
25. Au surplus, le défaut de notification de l'aide à la Commission ainsi invoqué est dépourvu de lien de causalité directe avec le manque à gagner dont se prévaut la communauté d'agglomération, lié à l'absence de versement d'impositions locales, lequel ne résulte pas de ce seul défaut de notification.
26. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense ni d'ordonner une mesure d'instruction afin de déterminer le préjudice subi, que la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions à fin d'annulation des décisions implicites de refus d'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018 ainsi que ses conclusions indemnitaires relatives à l'assujettissement de cette société à ces impositions.
27. Par voie de conséquence, les conclusions de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Les conclusions de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers à fin d'annulation des décisions implicites de refus d'assujettissement de la Société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016 à 2018, ses conclusions indemnitaires relatives à l'assujettissement de cette société à ces impositions ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics et à la Société d'exploitation des ports du détroit.
Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N° 24DA00230,24DA00234