Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Droulez Finances a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré et auxquelles la SAS GDI, sa filiale, a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 à 2015.
Par un jugement n° 2103966 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 janvier 2024 et le 28 juin 2024, la SAS Droulez Finances, représentée par la SAS Vauban Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer, en droits et pénalités, la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration s'est, de façon irrégulière et dans des conditions constitutives d'un détournement de procédure, livrée, dans la cadre de l'enquête pénale qui a précédé la procédure fiscale puis au cours de la procédure pénale conduite de façon concomitante, à une vérification de comptabilité dissimulée, opérée par l'inspectrice des finances publiques dont le concours a été requis, inutilement au demeurant, par l'autorité judiciaire, et par un autre agent de l'administration fiscal mis également à disposition, sans faire bénéficier sa filiale faisant l'objet de ce contrôle, la SAS GDI, des garanties attachées à cette procédure ;
- dès lors que l'administration disposait, dès l'enquête pénale à laquelle ses agents ont pris part, d'éléments d'informations suffisants pour retenir l'existence d'omissions ou d'insuffisances d'imposition, de sorte que ces omissions ou insuffisances n'ont pas été révélées par la procédure pénale, au sens des dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, elle n'était pas autorisée à se prévaloir du délai de reprise de dix ans prévu par ces dispositions, de sorte qu'une partie des impositions en litige est atteinte par la prescription ;
- la méthode de reconstitution des résultats imposables de la SAS GDI, qui consiste en une exploitation exclusive de documents transmis par l'autorité judiciaire et qui avaient été saisis chez un partenaire commercial avec lequel cette société était en conflit, ou opportunément apportés par lui, est radicalement viciée dans son principe et excessivement sommaire, dès lors que ces documents n'ont été confrontés à aucun autre élément provenant, en particulier, de l'exercice, par l'administration, de son droit de communication auprès du principal donneur d'ordres de la société vérifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2024, et par un mémoire, enregistré le 2 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- en tant qu'elles excèdent le montant ayant fait l'objet de la réclamation introduite par la SAS Droulez Finances, les conclusions de la requête sont irrecevables, en application de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales ;
- la participation d'une inspectrice des finances publiques mise à la disposition du groupe interministériel de recherches (GIR) de Picardie à l'enquête préliminaire diligentée par le parquet à l'égard notamment de la SAS GDI et tenue, à ce titre, au secret professionnel prévu à l'article 11 du code de procédure pénale, laquelle participation était alors circonscrite et nécessaire, ne peut suffire à caractériser l'engagement anticipé et en méconnaissance des garanties accordées par la loi, notamment par l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, aux contribuables vérifiés, d'une vérification de comptabilité ;
- par application des articles L. 170 et L. 188 C du livre des procédures fiscales, les insuffisances d'imposition révélées par la procédure pénale en ce qui concerne la période s'étendant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2013 pouvaient être réparées par l'administration en 2017, de sorte que le moyen tiré de la prescription n'est pas fondé ; à cet égard, le seul fait que l'inspectrice des finances publiques mise à la disposition du GIR a assisté à l'audition, le 9 octobre 2015, de la victime présumée des faits ayant fait l'objet de l'enquête pénale, audition au cours de laquelle ont, au demeurant, été seulement évoqué des faits intervenus depuis mai 2013, ne peut suffire à établir que l'administration aurait eu connaissance, dès cette date, d'éléments d'information de nature à lui permettre de faire valoir son droit de reprise en ce qui concerne cette période ;
- la comptabilité de la SAS GDI se rapportant aux exercices clos en 2014 et en 2015 ayant été écartée à bon droit par le service vérificateur, dès lors qu'il a démontré que cette comptabilité ne retrace pas l'intégralité des recettes de l'entreprise, et les impositions en litige ayant été établies conformément à l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la SAS Droulez Finances supporte, en ce qui concerne les impositions se rapportant à ces deux années, la charge de la preuve, en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales ;
- la méthode de reconstitution des bénéfices imposables de la SAS GDI, qui repose sur l'exploitation de données issues de l'exploitation de l'entreprise, lesquelles n'ont pas toutes été tirées de documents saisis chez un ancien partenaire commercial de la société et qui, d'ailleurs, proviennent, en réalité, de cette dernière, mais résultent notamment de l'exercice, par le service vérificateur, de son droit de communication, n'est pas radicalement viciée dans son principe, ni excessivement sommaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Groupe Droulez Industrie (GDI), dont le siège est situé à Péronne (Somme), exerce, à titre principal, une activité de réparation d'ouvrages métalliques et, à titre accessoire, une activité de vente de ferraille. Elle est notamment une entreprise sous-traitante du groupe Renault, pour le compte duquel elle répare des emballages métalliques utilisés par ce constructeur automobile et demeurant la propriété de celui-ci. Lorsque ces emballages ne peuvent plus être réparés, ils sont mis au rebut, cisaillés et ferraillés, cette opération portant le nom de cafutage. La ferraille est alors acquise à titre gratuit par la SAS GDI. Cette dernière a fait l'objet, au cours de l'année 2017, d'une vérification de comptabilité portant sur la période s'étendant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016. Au cours de ce contrôle, le vérificateur a constaté des minorations de chiffres d'affaires, résultant de ventes dissimulées de ferraille et il a remis en cause la déduction, en tant que charges des exercices concernés, de dépenses dont l'intérêt pour l'entreprise ne lui est pas apparu établi. L'administration a fait connaître à la SAS GDI son analyse, par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 20 décembre 2017.
2. Parallèlement à ce contrôle, l'autorité judiciaire a communiqué à l'administration, qui avait fait valoir son droit de communication pour connaître les procédures pénales éventuellement engagées à l'encontre de la SAS GDI, des éléments d'information issus d'une procédure pénale dont avait fait l'objet cette société ainsi que son dirigeant et l'épouse de celui-ci, et qui ont révélé que les dissimulations de recettes ainsi que la déduction en charges de dépenses non engagées dans l'intérêt de l'exploitation de cette société constituaient des pratiques antérieures à la période vérifiée, de sorte que des insuffisances d'imposition pouvaient être identifiées au cours d'une période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2013. L'administration a informé la SAS GDI des conclusions qu'elle entendait tirer de la consultation de ces éléments par une seconde proposition de rectification qu'elle lui a adressée également le 20 décembre 2017.
3. Les observations formulées par la SAS GDI sur ces notifications n'ayant pas amené l'administration à reconsidérer son appréciation, ni les entretiens accordés, aux représentants de la société, par le supérieur hiérarchique du vérificateur puis par l'interlocuteur fiscal interrégional, ni même la consultation de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui a émis un avis favorable au maintien de l'essentiel des rectifications, l'administration, qui a accepté de suivre l'avis de la commission, a, par un courrier en date du 11 décembre 2019, informé la SAS Droulez Finances, société mère du groupe fiscalement intégré, de ce que les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant des rectifications notifiées à la SAS GDI seraient mis à sa charge. Ces impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement le 15 janvier 2020 à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 1 247 374 euros.
4. Sa réclamation ayant été rejetée, la SAS Droulez Finances a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens en lui demandant de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi mises à sa charge, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré et auxquelles la SAS GDI, sa filiale, a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 à 2015. La SAS Droulez Finances relève appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
5. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. / L'avis informe le contribuable que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié peut être consultée sur le site internet de l'administration fiscale ou lui être remise sur simple demande. / (...) ".
6. Une vérification de comptabilité consiste à contrôler sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par un contribuable en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont le service prend alors connaissance et dont il peut remettre en cause l'exactitude.
7. La SAS Droulez Finances soutient que la participation d'une inspectrice des finances publiques, dans le cadre d'une mission non précisément définie, à l'enquête pénale diligentée à l'égard de la SAS GDI et de son propre dirigeant ainsi qu'à l'égard de l'épouse de celui-ci a, en réalité, offert à l'administration fiscale une occasion de se livrer, dès l'engagement, en 2015, de cette enquête, à une vérification de comptabilité à l'égard de la SAS GDI, sans assurer à celle-ci les garanties offertes par les dispositions précitées de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales aux contribuables vérifiés.
8. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette inspectrice, qui n'était pas affectée dans un service relevant de la direction générale des finances publiques mais était mise à disposition du groupe d'intervention régional (GIR) de Picardie, structure rattachée à la section de recherches de la gendarmerie d'Amiens, a été requise par le procureur de la République, au stade de l'enquête préliminaire, en qualité de sachant, sur le fondement de l'article 77-1 du code de procédure pénale, aux fins d'assister, les services d'enquête et qu'elle a, à ce titre, en particulier, communiqué aux services de gendarmerie des éléments d'information concernant la situation de plusieurs personnes physiques et morales en relation avec la SAS GDI, tirés de la consultation du fichier des comptes bancaires (FICOBA), du fichier des contrats d'assurance vie (FICOVIE) et des données dont disposait l'administration fiscale en matière de taxe d'habitation. Il résulte également de l'instruction que cette inspectrice a assisté les enquêteurs lors d'une audition et que les informations qu'elle a fournies aux enquêteurs ont été exploités par ces derniers. Contrairement à ce que soutient la SAS Droulez Finances, l'intervention de cette inspectrice était précisément circonscrite par les mentions des procès-verbaux de réquisition, versés à l'instruction, à la consultation des fichiers FICOBA et FICOVIE, pour laquelle son concours, en tant que sachant, demeurait utile, quand bien même il n'aurait pas été requis à peine d'irrégularité de l'enquête, ainsi que des données à la disposition de l'administration fiscale et il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que cette inspectrice aurait eu accès à l'intégralité du dossier de l'enquête pénale ou à la comptabilité de la SAS GDI, ni que les enquêteurs auraient, en outrepassant les limites de leur mission, mené des investigations à des fins fiscales, ce qui ne résulte pas des seules mentions des pièces de l'enquête versées à l'instruction.
9. L'intervention de l'autre fonctionnaire de l'administration fiscale, dont fait également état la société appelante, a, elle aussi, été circonscrite, par sa réquisition, aux termes d'un procès-verbal du 5 septembre 2016, à la production des liasses fiscales déposées par plusieurs sociétés, dont la SAS GDI, au titre des années 2010 à 2015, et au constat des situations des comptes courants d'associés mentionnées dans ces documents. Si, à l'issue de cette mission, ce fonctionnaire a fourni des tableaux de synthèse aux enquêteurs, présentant la situation de ces comptes courants d'associé, il n'est pas contesté par la SAS Droulez Finances, qui a pourtant répliqué au mémoire en défense du ministre, que ces tableaux sont générés par une application informatique gérée par l'administration fiscale à partir des seules données collectées dans les déclarations des entreprises.
10. Enfin, les agents des finances publiques mis à disposition des GIR et chargés d'apporter une assistance technique aux enquêtes, ne relèvent pas, pour les missions qu'ils y accomplissent, de la direction générale des finances publiques et sont, en outre, tenus au secret de l'enquête prévu à l'article 11 du code de procédure pénale. Ainsi, ces agents n'ont pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, à rendre compte aux services de la direction générale des finances publiques des informations issues des enquêtes judiciaires dont ils ont à connaître lorsqu'ils sont placés sous l'autorité du chef du GIR.
11. Dans ces conditions, il ne peut être tenu pour établi que l'administration aurait, par l'intermédiaire de ses agents mis à la disposition du GIR, ni même au travers des investigations des enquêteurs, dont elle n'a eu connaissance qu'après avoir fait valoir son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, conduit, à l'égard de la SAS GDI, une vérification de comptabilité, qui, comme il a été dit, consiste en un examen critique, dans le cadre d'un contrôle sur place, de la comptabilité d'une entreprise au regard des déclarations souscrites par elle, sans la faire bénéficier des garanties prévues par la loi, notamment par les dispositions précitées de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, en faveur des contribuables vérifiés.
12. Enfin, quand bien même le délai qui a été nécessaire pour achever la vérification de comptabilité dont la SAS GDI a été l'objet pourrait apparaître bref, cette circonstance est insuffisante, de même que le fait que le vérificateur s'est appuyé sur certaines données chiffrées issues de l'enquête, pour mettre en doute l'effectivité et l'utilité de ce contrôle, qui a donné lieu, au cours de l'année 2017, à quatre interventions sur place du vérificateur.
13. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition mise en œuvre à l'égard de la SAS GDI et, en tout état de cause, celui tiré du détournement de procédure, doivent être écartés.
Sur le bien-fondé des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige :
En ce qui concerne le délai de reprise ouvert à l'administration :
14. En vertu de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce, en principe, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Cependant, aux termes de l'article L. 188 C du même livre : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. ".
15. La SAS Droulez Finances soutient que, d'une part, l'administration fiscale disposait dès 2015, du fait du concours apporté par une inspectrice des finances publiques à l'enquête pénale, d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir, dans le délai de reprise de droit commun, les insuffisances d'imposition qui sont reprochées à sa filiale et que, d'autre part, les omissions ou insuffisances d'imposition imputées à la SAS GDI ne peuvent, dans ces conditions, être regardées comme ayant été révélées par une procédure judiciaire, au sens des dispositions précitées de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales. Elle en tire la conclusion que l'administration n'était pas légalement fondée à se prévaloir du délai de reprise spécial de dix années prévu par ces dispositions pour établir les suppléments d'impôt sur les sociétés en litige, de sorte que ces derniers sont, pour partie, atteints par la prescription de droit commun prévue à l'article L. 169 du même livre.
16. Ce moyen, qui revient à contester à l'administration le droit de reprise dont elle s'est prévalue pour mettre les suppléments d'impôt sur les sociétés en litige à la charge de la société appelante, concerne, comme l'a retenu à juste titre le tribunal administratif, le bien-fondé de ces impositions et non la régularité de la procédure à l'issue de laquelle celles-ci ont été établies.
17. Toutefois, comme il a été dit, l'inspectrice des finances publiques dont le concours a été requis pour les besoins de l'enquête pénale, d'une part, n'était pas alors placée sous l'autorité de la direction générale des finances publiques, administration à laquelle elle n'était pas autorisée, eu égard au secret des enquêtes auquel elle était astreinte, à adresser des comptes rendus concernant les missions qui lui étaient confiées, mais sous celle du chef du GIR de Picardie et, d'autre part, n'est intervenue, dans ce cadre, que pour éclairer les enquêteurs en les faisant bénéficier d'informations auxquelles elle était en mesure d'avoir directement accès, ainsi que de son expertise, sans qu'il soit établi qu'elle ait pu prendre connaissance de l'entièreté du dossier de l'enquête pénale, ni qu'elle ait pu consulter la comptabilité de la SAS GDI.
18. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence de tout élément contraire, que l'administration fiscale aurait disposé, dès 2015, quand bien même cette inspectrice a assisté à l'audition, le 9 octobre 2015, d'une des personnes concernées par l'enquête, d'éléments d'information suffisants pour lui permettre de faire valoir son droit de reprise en ce qui concerne les années insusceptibles d'être atteintes par la prescription de droit commun de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, ni que de tels éléments auraient été portés à sa connaissance à une date antérieure à celle à laquelle les pièces de l'enquête pénale lui ont été communiquées, à sa demande. Ainsi, ces éléments d'information ayant été révélés par l'enquête et la procédure pénale à laquelle elle a abouti, l'administration était fondée à faire application du délai spécial de reprise prévu par les dispositions précitées de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales et le moyen tiré de ce qu'une partie des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige était atteinte par la prescription de droit commun à la date à laquelle les rehaussements correspondants ont été notifiés doit être écarté.
En ce qui concerne la charge de la preuve :
19. La comptabilité de la SAS GDI se rapportant aux exercices clos en 2014 et en 2015 ayant été écartée par le service vérificateur, dès lors que celui-ci a démontré que cette comptabilité ne retraçait pas l'intégralité des recettes de l'entreprise, ce qui n'est pas contesté par la SAS Droulez Finances, et les impositions en litige ayant été établies conformément à l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la SAS Droulez Finances supporte, en ce qui concerne les impositions se rapportant à ces deux années, la charge de la preuve, en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne la critique de la méthode de reconstitution :
20. Il résulte de l'instruction et notamment des termes mêmes de la proposition de rectification adressée le 20 décembre 2017 à la SAS GDI pour les années 2007 à 2013 que, pour reconstituer les recettes réalisées par la SAS GDI dans le cadre des ventes de ferraille auxquelles elle s'est livrée au titre de ces années, le vérificateur a essentiellement fondé son appréciation, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, sur les documents de l'enquête pénale qui lui ont été communiqués par l'autorité judicaire à la suite de l'exercice de son droit de communication.
21. Ainsi, en ce qui concerne les années 2007 à 2010, le vérificateur a exploité les données de cafutage issues des tableaux saisis dans les locaux de l'entreprise du partenaire commercial habituel de la société pour ce qui concerne les ventes de ferraille, dans une situation dans laquelle un rapprochement entre ces tableaux et ceux, concernant l'année 2013, trouvés sur le disque dur d'un ordinateur appartenant au dirigeant de la SAS GDI, avait permis aux enquêteurs de retenir que ces tableaux avaient tous été établis par ce dernier. Pour ce qui concerne les années 2011 et 2012, au sujet desquelles les pièces de l'enquête le renseignaient seulement sur les quantités de ferraille vendues par la SAS GDI, sans précision quant au prix pratiqué, le vérificateur a extrapolé les données se rapportant aux années 2010 et 2013, desquelles il ressortait que cette société avait vendu à son partenaire commercial de la ferraille, durant les deux derniers mois de l'année 2010 et durant toute l'année 2013, à un prix équivalent à 35 % du prix du marché, taux dont il a fait application pour reconstituer les recettes issues des ventes de ferraille pratiquées par l'entreprise au titre des années 2011 et 2012.
22. S'agissant des années 2014 et 2015, il résulte de l'instruction et notamment des mentions de la proposition de rectification correspondante, également adressée à la SAS GDI le 20 décembre 2017, que le vérificateur, à l'issue de la vérification de comptabilité à laquelle il s'est livré pour ce qui concerne la période correspondante, a également procédé, après avoir écarté comme non probante la comptabilité présentée, à une reconstitution des recettes de la SAS GDI, en déterminant les quantités de ferrailles vendues à partir de documents communiqués par le partenaire commercial habituel et par d'autres clients de l'entreprise, à la suite de l'exercice de son droit de communication auprès de ceux-ci, ainsi qu'à partir des tableaux de cafutage saisis dans le cadre de l'enquête pénale, enfin, des factures établies par la SAS GDI durant la période vérifiée. Le vérificateur a, ensuite, appliqué à ces quantités un prix de vente équivalent à 35 % du prix du marché.
23. Les méthodes, décrites aux points précédents, ainsi mises en œuvre pour reconstituer les recettes réalisées par la SAS GDI, au titre des années d'imposition en litige, sur les ventes de ferrailles, qui, contrairement à ce que soutient la SAS Droulez Finances, ne reposent pas exclusivement sur l'utilisation de documents saisis chez le partenaire commercial habituel de la SAS GDI, avec lequel le dirigeant de cette dernière a eu ensuite un différend, mais sur des données tirées de la propre exploitation de la société vérifiée, confrontées avec des documents extérieurs, issus, selon les années en cause, de l'enquête pénale ou de l'exercice, par le vérificateur, de son droit de communication, ne sont ni radicalement viciées dans leur principe, ni excessivement sommaires, étant précisé que l'administration a estimé que, dans une situation dans laquelle la matière première, à savoir les emballages métalliques mis au rebut, avait été acquise à titre gratuit pas la SAS GDI, il y avait lieu de tenir compte de ce que le prix fixé pour la vente incluait nécessairement les charges supportées pour les besoins de cette activité de vente de ferraille.
24. Ces méthodes sont, au demeurant, favorables à la SAS GDI, en ce qu'elles généralisent à l'ensemble des clients de l'entreprise, pour ce qui concerne les années 2014 et 2015, ce que l'appelante, qui supporte la charge de la preuve, ne conteste d'ailleurs pas, une pratique de minoration de prix mise en œuvre à l'égard de son seul partenaire commercial habituel, qui avait pour habitude de reverser, de manière occulte, un complément de prix en espèces ou par virement sur un compte bancaire ouvert à l'étranger, complément que l'administration n'a pas réintégré aux recettes de l'entreprise.
25. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, la SAS Droulez Finances n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur les frais de procédure :
26. Par voie de conséquence de ce qui précède, les conclusions présentées par la SAS Droulez Finances sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Droulez Finances est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Droulez Finances et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La greffière,
E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
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N°24DA00115