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21/11/2024 | FRANCE | N°22DA01874

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 21 novembre 2024, 22DA01874


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Sanef a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de prescrire avant dire droit une expertise, à titre subsidiaire, de condamner in solidum les sociétés Razel-Bec, Egis Route-Scétauroute et Eurovia à lui verser la somme de 750 420,97 euros au titre des désordres d'étanchéité affectant le viaduc de la Bresle, de condamner la société Razel-Bec à lui verser la somme de 79 942 euros au titre des désordres relatifs au matage des appareils d'a

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sanef a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de prescrire avant dire droit une expertise, à titre subsidiaire, de condamner in solidum les sociétés Razel-Bec, Egis Route-Scétauroute et Eurovia à lui verser la somme de 750 420,97 euros au titre des désordres d'étanchéité affectant le viaduc de la Bresle, de condamner la société Razel-Bec à lui verser la somme de 79 942 euros au titre des désordres relatifs au matage des appareils d'appui affectant ce viaduc, d'assortir ces condamnations des intérêts légaux capitalisés, d'actualiser ces sommes selon les indices prévus au marché et de mettre les frais d'expertise à la charge de ces sociétés.

Par un jugement n° 2002400 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné solidairement les sociétés Razel-Bec et Egis Route Scétauroute à verser à la Sanef la somme de 300 168,39 euros, assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés, au titre des désordres liés au défaut d'étanchéité du viaduc de la Bresle, a condamné la société Egis Route Scétauroute à garantir la société Razel-Bec à hauteur de 10 % de cette condamnation, a condamné la société Eurovia Ile-de-France à garantir la société Egis Route Scétauroute à hauteur de 90 % de cette condamnation, a rejeté les conditions d'appel en garantie de la société Razel-Bec formées à l'encontre de la société Eurovia Ile-de-France comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, a rejeté le surplus des conclusions des parties relatives au désordre concernant l'étanchéité de l'ouvrage, a ordonné avant dire droit une expertise quant aux désordres relatifs aux matages des appareils d'appui, et a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er septembre 2022 et des mémoires, enregistrés le 17 octobre 2023 et le 7 novembre 2023, la société Sanef, représentée par Me Florence Eva Martin, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses prétentions au titre des désordres d'étanchéité affectant le viaduc de la Bresle ;

2°) de condamner in solidum les sociétés Razel-Bec et Egis Route-Scétauroute à lui verser la somme de 750 420,97 euros subsidiairement la somme de 498 877,62 euros ou, plus subsidiairement, la somme de 400 224,62 euros, au titre des désordres d'étanchéité, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2014 de la capitalisation de ces intérêts, ;

3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Razel-Bec et Egis Route-Scétauroute la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres affectant l'étanchéité de la couche de roulement du viaduc de la Bresle, qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination en le rendant dangereux pour la sécurité des personnes et des biens et en impactant sa solidité, sont de nature décennale, alors même qu'ils ne se seraient pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ;

- l'imputabilité de ces désordres étant commune à la société Egis Route-Scétauroute, maître d'œuvre et chargée à ce titre de la mission de vérification de la conformité des ouvrages, et à la société Razel-Bec, mandataire, leur responsabilité est solidairement engagée ;

- aucun défaut d'entretien ne lui est imputable ;

- le préjudice indemnisable au titre de l'étanchéité de l'ouvrage s'élève à 750 420,97 euros, subsidiairement à 489 877,62 euros en tenant compte de l'amortissement évalué par l'expert, très subsidiairement à 400 224,52 euros en tenant compte d'un abattement de quatorze ans, entre la date de réception initiale de l'ouvrage en 2004 et les travaux de réfection de l'étanchéité intervenus en 2018 ;

- le point de départ des intérêts au taux légal doit être fixé au 27 juin 2014, date d'enregistrement de la requête en référé expertise ;

- la capitalisation des intérêts est due à compter du 2 septembre 2017 ;

- en application de l'article 113 du code des marchés publics, approuvé par le décret n° 2001-2100 du 7 mars 2001, alors en vigueur, les fautes qui auraient été commises par la société Eurovia, sous-traitant de la société Razel-Bec, ne sont pas opposable au maître de l'ouvrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 janvier 2023, le 9 mai 2023 et le 20 octobre 2023, la société Razel-Bec, représentée par Me Renaud François, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à sa mise hors de cause ;

3°) par la voie de l'appel incident, à ce que la part de sa responsabilité soit limitée à hauteur de 5 % ;

4°) et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de tout succombant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ouvrage n'est pas impropre à sa destination ni ne présente un risque lié à sa solidité ;

- les travaux d'étanchéité et d'enrobé ont été sous-traités à la société Eurovia Ile-de-France, spécialisée dans ce domaine, de sorte qu'elle doit être exonérée de toute responsabilité ;

- la société Eurovia Ile-de-France doit la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne saurait excéder 5 % du montant des désordres ;

- les autres moyens soulevés par la société Sanef ne sont pas fondés ;

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a condamné la société Egis Route-Scétauroute à la garantir à hauteur de 10 % du montant de la condamnation.

Par un mémoire, enregistré le 9 février 2023, la société Eurovia Ile-de-France, représentée par Me Nicolas Barrabé, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) au rejet des conclusions d'appel en garantie formées par la société Razel-Bec à son encontre ;

3°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a fixé à 90 % sa part de responsabilité ;

4°) à ce que sa part de responsabilité soit évaluée à 60 % ;

5°) à ce que la société Razel-Bec et la société Egis Route-Scétauroute la garantissent, chacune, à hauteur de 20 % ;

6°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Sanef au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ouvrage, resté ouvert à la circulation dans le délai d'épreuve de dix ans, n'est pas impropre à sa destination ni atteint dans sa solidité de sorte que la responsabilité décennale des constructeurs ne saurait être recherchée ;

- subsidiairement, la juridiction administrative est incompétente pour connaître des conclusions d'appel en garantie présentées par la société Razel-Bec à son encontre ;

- la responsabilité de la société Razel-Bec doit être fixée à 20 % ;

- la société Sanef a, par un défaut d'entretien, laissé se détériorer l'enrobé ;

- en appliquant un abattement tenant compte de la durée normale d'utilisation du viaduc, le tribunal administratif a fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société Sanef.

Par un mémoire, enregistré le 20 octobre 2023, la société Egis Route-Scétauroute, représentée par Me Pierre Baugas, conclut :

1°) au rejet de la requête ainsi que des conclusions formées par la société Razel-Bec et la société Eurovia Ile-de-France à son encontre ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a reconnu sa responsabilité au titre des désordres d'étanchéité ;

3°) à ce que la société Razel-Bec et la société Eurovia Ile-de-France la garantissent de toute condamnation ;

5°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de tout succombant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Razel-Bec, à qui le défaut de contrôle est entièrement imputable, a reconnu sa responsabilité à hauteur de 5 % ;

- elle n'a pas manqué à ses obligations de conception-réalisation ;

- subsidiairement, sa part de responsabilité est résiduelle ;

- la société Eurovia Ile-de-France, qui est à l'origine du défaut d'exécution, et la société Razel-Bec, à l'origine d'un défaut de contrôle des travaux, devront la garantir intégralement des condamnations prononcées à son encontre.

Un courrier du 24 octobre 2023 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.

Par une ordonnance du 18 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions d'appel en garantie présentées par la société Eurovia Ile-de-France, nouvelles en appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics dans sa rédaction issue du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Martin, représentant la société Sanef, Me Craye, représentant la société Egis Route-Scétauroute et Me Rulkowski, représentant la société Razel-Bec.

Une note en délibéré présentée pour la SANEF a été enregistrée le 20 novembre 2024.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société Sanef, concessionnaire de l'Etat pour la construction, l'entretien et l'exploitation d'autoroutes, a confié, par une convention approuvée le 12 juillet 1995, complétée par un avenant n°1 du 24 août 1999, la maîtrise d'œuvre des études de la section de l'autoroute A29 entre Neufchâtel-en-Bray et Amiens à la société centrale d'études et de réalisations routières (Scétauroute), devenue la société Egis Route-Scétauroute.

2. Par un acte d'engagement du 30 octobre 2002, la société Sanef a confié la conception technique et la réalisation du viaduc destiné à franchir la vallée de la Bresle, situé sur cette portion de l'autoroute A29, à un groupement conjoint formé par la société Razel-Bec, mandataire, et le cabinet Charles Lavigne architecte. Le lot n° 1 " conception technique et réalisation " de ce marché de travaux a été confié à la société Razel-Bec et le lot n° 2, " conceptions architecturale et paysagère " au cabinet Charles Lavigne architecte. La société Razel-Bec a sous-traité la fourniture et la mise en œuvre de l'étanchéité des enrobés du viaduc de la Bresle à un groupement solidaire composé de la société Eurovia Ile-de-France, mandataire, de la société Eurovia Haute-Normandie et de la société Soprema.

3. Les travaux ont été réceptionnés le 24 février 2005 avec des réserves, avec effet au 13 décembre 2004.

4. Un nombre important de " nids de poule " sont apparus sur le viaduc de la Bresle, accompagnés de suintements d'eau à travers l'enrobé et de traces blanchâtres en mars 2008.

5. A la demande de la société Sanef, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a, par ordonnances des 19 décembre 2014 et 20 juillet 2016, désigné un expert. A la suite du dépôt du rapport d'expertise, le 25 avril 2019, la société Sanef a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, les sociétés Razel-Bec, Egis Route-Scétauroute et Eurovia Ile-de-France à lui verser une somme de 750 420,97 euros en réparation des désordres d'étanchéité affectant le viaduc de la Bresle et à condamner, sur le même fondement, la société Razel-Bec à lui verser une somme de 79 942 euros au titre des désordres relatifs au matage des appareils d'appui de ce même ouvrage d'art.

6. Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal a, en premier lieu, condamné solidairement, au titre de leur responsabilité décennale, les sociétés Razel-Bec et Egis Route-Scétauroute, à verser à la société Sanef la somme de 300 168,39 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des désordres liés au défaut d'étanchéité du viaduc, en deuxième lieu, condamné la société Egis Route-Scétauroute à garantir la société Razel-Bec à hauteur de 10 % des condamnations prononcées à son encontre par ce jugement, en troisième lieu, condamné la société Eurovia Ile-de-France à garantir la société Egis Route-Scétauroute à hauteur de 90 % des condamnations prononcées à son encontre par ce jugement, en quatrième lieu, rejeté le surplus des conclusions des parties relatives aux désordres affectant l'étanchéité de l'ouvrage, en cinquième lieu, ordonné avant dire droit une expertise relative des désordres affectant les matages des appareils d'appui du viaduc et, en dernier lieu, réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par ce jugement.

7. La société Sanef relève appel de ce jugement en qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses prétentions au titre des désordres d'étanchéité affectant le viaduc de la Bresle.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

8. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :

9. Il résulte de l'instruction qu'à partir du mois de mars 2008, de nombreux " nids de poule " se sont formés sur la bande de roulement du viaduc de la Bresle, long de 757 mètres et large de près de 20 mètres et mis en circulation en janvier 2005, certains de ces orniérages s'accompagnant de suintements d'eau à travers l'enrobé et de traces blanchâtres.

10. Il résulte également de l'instruction et, notamment, du rapport du 25 avril 2019 de l'expert désigné par le tribunal administratif de Rouen, que les désordres affectant l'étanchéité du viaduc de la Bresle sont caractérisés par des désagrégations du mortier de protection des relevés d'étanchéité au niveau de la chaussée, par l'apparition de " nids de poule " au niveau de la couche de roulement et de suintements d'eau à travers les enrobés ainsi que par l'apparition de calcite active à travers les fissures de construction des encorbellements et du hourdis supérieur. Ces nombreuses dégradations, qui affectent la couche de roulement, présentent, ainsi que l'a notamment relevé l'expert, un danger pour la sécurité des usagers de ce viaduc et ne permettent pas, eu égard à leur ampleur, de répondre correctement aux sollicitations du trafic autoroutier.

11. S'il est constant que les désordres n'ont pas contraint à l'interruption de la circulation dans le délai d'épreuve de dix ans, il résulte de l'instruction et, notamment, des premières constatations effectuées en 2008, du compte rendu d'intervention du centre d'études techniques de l'équipement (Cété) Nord-Picardie du 4 septembre 2012 et du rapport de l'inspection détaillée effectuée en 2013, que la couche de roulement a d'emblée présenté un vieillissement prématuré et que les différentes reprises localisées n'ont pas permis de mettre fin aux dégradations constatées. Au contraire, ainsi que le reprend l'expert, le rapport d'inspection de 2013 souligne une augmentation du nombre de " nids de poule " depuis une précédente inspection, fait était d'une " évolution avancée " de la dégradation de la chaussée nécessitant des travaux de reprise conséquents, lesquels sont indispensables pour garantir l'étanchéité du viaduc et, ainsi, sa pérennité.

12. Eu égard à ce qui a été dit au point 8, l'absence de précision de l'échéance à laquelle les désordres d'étanchéité constatés, consistant en un nombre important et croissant de déformations de la chaussée du viaduc présentant un danger pour la sécurité des usagers, seraient de nature à rendre impropre l'ouvrage à sa destination, n'est pas de nature à leur ôter leur caractère décennal dès lors que le processus d'aggravation est inéluctable.

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :

13. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les désordres affectant la couche de roulement du viaduc de la Bresle découlent d'une mauvaise exécution du réseau de drainage de l'enrobé, dont les drains transversaux sont décalés de plusieurs centimètres des avaloirs destinés à évaluer les eaux et sont, en outre colmatés par de l'asphalte. L'expert en conclut que l'altération prématurée de l'enrobé de la couche de roulement est due à la présence d'eau, piégée en partie supérieure de la chape d'étanchéité en raison du drainage défectueux, remontant par capillarité ou sous la pression engendrée par le trafic routier.

14. De tels désordres trouvent leur origine, à titre principal, dans le défaut d'exécution généralisé du réseau de drainage de l'ouvrage par l'entreprise Eurovia Ile-de-France, à laquelle la réalisation des travaux a été confiée par la société Razel-Bec, titulaire du lot relatif à la conception technique et à la réalisation de l'ouvrage. Ils sont également imputables, pour partie, à un défaut de surveillance de ces travaux par la société Egis Route-Scétauroute, laquelle était notamment chargée, ainsi qu'il résulte du point 3 de la convention de maîtrise d'œuvre du 12 juillet 1995, d'une mission de surveillance des travaux. Si la société Egis Route-Scétauroute fait valoir qu'elle n'a pas manqué à ses obligations issues de l'avenant n° 1 du 24 août 1999 à la convention de maîtrise d'œuvre conclu à la suite de la transformation de cette convention en procédure de concours de conception-réalisation, il résulte du point 1.6.3 de cet avenant que la mission concernant la phase d'exécution des travaux, prévue par la convention de maîtrise d'œuvre initiale, est restée inchangée. En dépit d'une mesure d'instruction, la société Egis Route-Scétauroute s'est abstenue de produire les pages de cette convention détaillant sa mission d'exécution des travaux.

15. Ainsi, ces désordres liés à l'exécution des travaux engagent solidairement la responsabilité de la société Razel-Bec, entreprise générale, en raison du défaut d'exécution imputable à sa sous-traitante, la société Eurovia Ile-de-France, et celle de la société Egis Route-Scétauroute, maître d'œuvre.

16. Par suite, la responsabilité solidaire des sociétés Razel-Bec et Egis Route-Scétauroute est engagée, au titre de ces désordres d'étanchéité, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, et elles ne peuvent en être exonérées qu'en cas de force majeure ou de faute du maître de l'ouvrage.

17. Ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction, du rapport de l'expert, que le vieillissement accéléré et anormal de l'enrobé est imputable à un défaut d'exécution du réseau de drainage et non à un défaut d'entretien courant de la couche de roulement, auquel la société Sanef a d'ailleurs procédé par la reprise ponctuelle des détériorations de l'enrobé. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient la société Eurovia Ile-de-France, aucune inertie ou négligence du maître de l'ouvrage dans l'entretien du viaduc n'est à l'origine des désordres d'étanchéité. Par suite, aucune faute de nature à exonérer ou à atténuer la responsabilité des constructeurs ne peut être retenue.

En ce qui concerne le montant du préjudice :

18. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que les travaux de reprise liés au défaut d'étanchéité du viaduc de la Bresle s'élevaient, en y excluant le montant des travaux relevant de l'entretien courant de l'ouvrage, à la somme de 750 420,97 euros HT. Contrairement à ce que soutient la société Razel-Bec, ce montant n'inclut pas des sommes qui auraient été imputables au coût de travaux conservatoires ou d'entretien courant incombant à la société Sanef. La vétusté de l'ouvrage s'apprécie à la date d'apparition des premiers désordres, laquelle est survenue, en l'espèce, au début de l'année 2008, soit trois années environ après la réception définitive de l'ouvrage et sa mise en circulation en janvier 2005. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutiennent les constructeurs, il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement sur la somme destinée à réparer des désordres pour tenir compte de la vétusté du viaduc, lequel, compte tenu de sa nature, avait vocation à faire l'objet d'une utilisation normale sur une période supérieure à trois années, l'expert relevant à cet égard que le premier entretien périodique n'aurait dû intervenir qu'au terme d'un délai de dix ans.

19. Dès lors, la société Sanef est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a opéré un tel abattement et à demander que l'indemnité qui lui est due au titre des désordres d'étanchéité du viaduc de la Bresle soit portée à la somme de 750 420,97 euros HT. Il y a lieu, par suite, de condamner solidairement les sociétés Razel-Bec et Egis Route-Scétauroute à verser cette somme à la société Sanef.

20. Il résulte de ce qui précède que la société Sanef est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a limité à 300 168,39 euros HT le montant de la condamnation solidaire due par les sociétés Razel-Bec et Egis Route Scétauroute au titre des désordres liés au défaut d'étanchéité du viaduc de la Bresle et à ce que cette indemnité doit être portée à la somme de 750 420,97 euros HT.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

21. Les intérêts moratoires dus en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, repris à l'article 1231-6 du même code, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

22. En vertu de ces dispositions, les intérêts au taux légal courront sur les sommes mentionnées ci-dessus à compter du 27 juin 2014, date d'enregistrement de la requête de la société Sanef en référé expertise au greffe du tribunal administratif de Rouen, valant notification de la première demande de paiement.

23. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par la société Sanef dans sa requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Rouen le 6 juillet 2020, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts. Si la société Sanef revendique une capitalisation des intérêts à compter du 2 septembre 2017, elle ne justifie pas en avoir demandé le bénéfice à cette date. Dès lors, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu d'accorder la capitalisation des intérêts mentionnés au point précédent au 6 juillet 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

En ce qui concerne l'appel en garantie formé par la société Eurovia Ile-de-France :

24. D'une part, le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. Les relations entre société Eurovia Ile-de-France, sous-traitante de la société Razel-Bec, et cette dernière société relevant d'un contrat de droit privé, les conclusions d'appel en garantie de la société Eurovia Ile-de-France, d'ailleurs nouvelles en appel, dirigées contre la société Razel-Bec ne relèvent pas de la compétence du juge administratif.

25. D'autre part, il ressort des mémoires produits par la société Eurovia Ile-de-France devant le tribunal administratif de Rouen que la société concluait, à titre principal, au rejet de la requête de la société Sanef et des demandes formées à son encontre par les sociétés Razel-Bec et Egis Route-Scétauroute, et, à titre subsidiaire, à ce que les prétentions indemnitaires de la société Sanef soient limitées à la somme de 489 877,62 euros. En revanche, la société Eurovia Ile-de-France n'avait pas présenté en première instance de conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Egis Route-Scétauroute. Par suite, les conclusions de la société Eurovia Ile-de-France appelant la société Egis Route-Scétauroute en garantie doivent être rejetées comme irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles en appel.

En ce qui concerne les appels en garantie présentés par la société Egis Route-Scétauroute et par la société Razel-Bec :

26. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise mais également des articles 4 et 9 des conditions générales du contrat de sous-traité conclu entre la société Razel-Bec et la société Eurovia Ile-de-France obligeant le sous-traitant à n'avoir aucun contact direct avec le maître d'œuvre et régissant les obligations de contrôle des travaux par l'entreprise titulaire, qu'en raison des manquements respectifs du maître d'œuvre, du titulaire du marché et de l'entrepreneur chargé des travaux, il sera fait une juste appréciation des responsabilités encourues en fixant à 85 % la part incombant à la société Eurovia Ile-de-France, chargée de l'exécution du réseau de drainage de l'ouvrage à l'origine des désordres, à 10 % la part incombant à la société Razel-Bec en tant que donneur d'ordre de la société Eurovia Ile-de-France et titulaire du lot " conception technique et réalisation " et à 5 % celle incombant à la société Egis Route-Scétauroute, maître d'œuvre, à raison du défaut de surveillance des travaux.

S'agissant des appels en garantie présentés par la société Egis Route-Scétauroute contre les sociétés Razel-Bec et Eurovia Ile-de-France :

27. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Eurovia Ile-de-France à garantir la société Egis Route-Scétauroute à hauteur de 85 % de la condamnation solidaire prononcée à son encontre et de condamner la société Razel-Bec à garantir la société Egis Route-Scétauroute à hauteur de 10 % du montant de cette condamnation solidaire.

S'agissant des appels en garantie présentés par la société Razel-Bec contre la société Eurovia Ile-de-France et la société Egis Route-Scétauroute :

28. D'une part, les relations entre la société Razel-Bec et la société Eurovia Ile-de-France, son sous-traitant, relevant d'un contrat de droit privé, son appel en garantie contre la société Eurovia Ile-de-France ne relève pas de la compétence du juge administratif.

29. D'autre part, il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Egis Route-Scétauroute à garantir la société Razel-Bec à hauteur de 5 % de la condamnation solidaire prononcée à son encontre.

Sur les frais liés au litige :

30. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre solidairement à la charge de la société Razel-Bec et de la société Egis Route-Scétauroute la somme de 2 000 euros à verser à la société Sanef au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Sanef qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande société Eurovia Ile-de-France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Razel-Bec et par la société Egis Route-Scétauroute sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 300 168,39 euros HT que les sociétés Razel-Bec et Egis Route Scétauroute ont été solidairement condamnées à verser à la société Sanef, par l'article 7 du jugement n° 2002400 du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen, est portée à la somme de 750 420,97 euros HT. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2014. Les intérêts échus à la date du 6 septembre 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La société Eurovia Ile-de-France est condamnée à garantir la société Egis Route-Scétauroute à hauteur de 85 % de la condamnation prononcée à son encontre par l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : La société Razel-Bec est condamnée à garantir la société Egis Route-Scétauroute à hauteur de 10 % de la condamnation prononcée à son encontre par l'article 1er du présent arrêt.

Article 4 : La société Egis Route-Scétauroute est condamnée à garantir la société Razel-Bec à hauteur de 5 % de la condamnation prononcée à son encontre par l'article 1er du présent arrêt.

Article 5 : Le jugement n° 2002400 du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : La société Razel-Bec et la société Egis Route-Scétauroute verseront solidairement une somme de 2 000 euros à la société Sanef au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sanef, à la société Razel-Bec, à la société Egis Route-Scétauroute, à la société Eurovia Ile-de-France et à la société Architecture et ouvrage d'art venant aux droits du cabinet Charles Lavigne.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. A...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°22DA01874


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01874
Date de la décision : 21/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL BAUGAS-CRAYE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-21;22da01874 ?
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