Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E..., agissant en son nom, et M. B... et Mme A... E..., agissant en leur qualité de représentants légaux de D... E... et C... E... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le département de la Seine-Maritime à leur verser la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral subi par Mme A... E..., la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. D... E... et la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. C... E..., du fait de l'accident de service subi par M. B... E..., et de mettre à la charge du département de la Seine-Maritime les dépens de l'instance ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2200781 du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné le département de la Seine-Maritime à verser à Mme E... une somme de 800 euros, à M. D... E... la somme de 500 euros et à M. C... E... la somme de 500 euros, et a rejeté le surplus des conclusions présentées par les parties.
Procédure devant la cour :
Par requête, enregistrée le 4 septembre 2023, Mme A... E..., M. C... E... et M. D... E..., représentés par la SCP Cherrier-Bodineau, demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité le montant des indemnités mises à la charge du département de la Seine-Maritime à 800 euros le montant de l'indemnité à verser à Mme E... et à 500 euros le montant de l'indemnité à verser à chacun des enfants de M. B... E... ;
2°) de condamner le département de la Seine-Maritime à leur verser la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral subi par Mme A... E..., la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. D... E..., la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. C... E..., du fait de l'accident de service subi par M. B... E... ;
3°) de mettre à la charge du département de la Seine-Maritime une somme de 3 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- le jugement n'a pas raisonnablement fixé le montant des indemnités au titre du préjudice moral qu'ils ont subi ;
- la responsabilité sans faute de l'administration doit être retenue du fait de l'accident de service dont M. B... E... a été victime le 19 février 2018 ;
- M. D... E..., particulièrement affecté psychologiquement par l'accident de son père, est en droit de solliciter une indemnisation au titre du préjudice moral subi et qui doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;
- M. C... E..., qui souffre de troubles multi-dys, a été confronté à l'indisponibilité de ses parents et suit une psychothérapie à la suite de l'accident de service de son père, est en droit de solliciter une indemnisation au titre du préjudice moral subi qui doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;
- Mme E... qui a non seulement souffert psychologiquement de l'état de son époux mais été contrainte de prendre en charge les membres de famille à la suite de l'accident, ce qui a entraîné une réorganisation personnelle et professionnelle, a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur de 12 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, le département de
la Seine-Maritime, représenté par Me Sandrine Gillet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que
- le jugement a procédé à une justice appréciation ;
- les requérants n'adressent aucune critique pertinente au jugement ;
- le litige n'a donné lieu à aucun dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie
de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine Maritime qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 5 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 mars 2024 à 12 heures.
M. E... a produit, le 2 juin 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction, un mémoire qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente-rapporteure,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., adjoint technique principal, employé en tant que menuisier par le département de la Seine-Maritime, a été victime le 19 février 2018 d'un accident sur son lieu de travail au cours duquel les deuxième, troisième et quatrième doigts de sa main droite ont été amputés par une scie circulaire. Par un arrêté du 15 mars 2018, le président du conseil départemental de la Seine-Maritime a reconnu l'imputabilité au service de cet accident. Par un arrêt du 4 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Douai a condamné le département de la Seine-Maritime à verser à M. E... une somme de 32 793 euros en réparation de divers préjudices résultant de l'accident du 19 février 2018.
2. Mme A... E..., agissant en son nom et M. B... et Mme A... E..., agissant en leur qualité de représentants légaux de C... E..., mineur à la date de la demande indemnitaire préalable, ont formulé une demande indemnitaire le 22 août 2022, rejetée par le département de la Seine-Maritime le 14 septembre 2022. M. D... E... a formulé, en son nom, le 29 mars 2023, une demande indemnitaire restée sans réponse. Mme A... E..., M. D... E... et Mme et M. E..., agissant en qualité de représentants légaux de leur fils, C... E..., devenu majeur en cours d'instance, ont demandé au tribunal administratif de Rouen la condamnation du département de
la Seine-Maritime à leur verser la somme totale de 32 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils ont subis du fait de l'accident de service dont M. B... E... a été victime. Par le jugement attaqué du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen, faisant partiellement droit à leur demande, a condamné le département de la Seine-Maritime à verser à Mme A... E... la somme de 800 euros, à M. D... E... la somme de 500 euros et à M. C... E... la somme de 500 euros.
3. Mme A... E... et ses enfants, C... et D... E... relèvent appel de ce jugement et demandent que le montant de l'indemnité soit porté à la somme totale de 32 000 euros réclamée en première instance.
Sur la responsabilité sans faute du département de la Seine-Maritime :
4. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.
5. En l'espèce, il est constant que l'accident dont a été victime M. B... E..., le 19 février 2018, a été reconnu imputable au service par un arrêté du président du conseil départemental de la Seine-Maritime en date du 15 mars 2018. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et n'est d'ailleurs pas contesté par le département de la Seine-Maritime, que les consorts E... sont fondés à demander au département de la Seine-Maritime, même en l'absence de faute de celui-ci, la réparation des préjudices personnels qu'ils estiment avoir subis.
Sur le préjudice moral de Mme E... :
6. Il résulte de l'instruction, notamment des nombreuses attestations des proches de Mme E..., que cette dernière s'est occupée de son époux et ses enfants, sans discontinuer, qu'elle a dû assurer seule le quotidien de sa famille, l'assistance physique et psychologique de son mari durant ses périodes d'hospitalisation et ses rendez-vous médicaux. Il n'est pas contesté que cette situation a eu un retentissement important sur sa vie professionnelle et familiale.
7. En lui accordant une somme de 800 euros, les premiers juges ont toutefois procédé à une juste appréciation du préjudice moral de Mme E.... Il n'y a pas lieu de majorer ce montant.
Sur le préjudice moral de M. D... E... et M. C... E... :
8. Il résulte de l'instruction, que l'accident de M. E... a affecté émotionnellement ses deux enfants, mineurs à la date de l'accident. Les nombreuses attestations des proches confirment le " choc psychologique ", l'état anxieux et déprimé, à la suite de l'accident, de D... et C... E.... Il ressort également des attestations de prise en charge psychothérapeutique, que M. D... E... a souffert d'un état de dépression modéré associé à des troubles anxieux et que M. C... E..., souffrant antérieurement de trouble multi-dys, a nécessité un suivi hebdomadaire en raison de fortes angoisses.
9. Toutefois, le tribunal administratif de Rouen a fait une juste appréciation du préjudice moral de M. D... E... et M. C... E... du fait de l'amputation des phalanges subie par leur père en leur octroyant respectivement la somme de 500 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a limité à la somme totale de 1 800 euros le montant de l'indemnisation allouée en réparation de leur préjudice moral résultant de l'accident subi par leur mari et père et a rejeté le surplus de leur demande.
Sur les dépens :
11. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagée entre les parties (...) ".
12. Aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions tendant à en obtenir le remboursement ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les autres frais liés au litige :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le département de la Seine-Maritime, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse aux consorts E... la somme que ceux-ci réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des consorts E... la somme demandée par le département de la Seine-Maritime au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le requête de Mme A... E..., M. D... E... et M. C... E... est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions du département de la Seine-Maritime est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., à M. D... E..., à M. C... E... et au département de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Maire-Pierre Viard, présidente-rapporteure,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : M.-P. Viard
Le président-assesseur,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
2
N° 23DA01741