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20/11/2024 | FRANCE | N°23DA01122

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 20 novembre 2024, 23DA01122


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le préfet de la zone défense et de sécurité Nord a refusé de lui accorder l'agrément préalable à l'exercice de la profession de gardien de la paix, ensemble la décision confirmative du 4 février 2021, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Nord de lui délivrer un agrément aux fonctions de gardien de la pai

x dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.



Par un jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le préfet de la zone défense et de sécurité Nord a refusé de lui accorder l'agrément préalable à l'exercice de la profession de gardien de la paix, ensemble la décision confirmative du 4 février 2021, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Nord de lui délivrer un agrément aux fonctions de gardien de la paix dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Par un jugement n° 2101925 du 19 avril 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juin 2023 et 5 juin 2024, M. B..., représenté par la SCP Gros, Hicter, d'Halluin et associés, demande à la cour :

1°) d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale aux fins de déterminer s'il est ou non toujours atteint des troubles psychiatriques diagnostiqués par le corps médical en 2014-2015 ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 19 avril 2023 ;

3°) d'annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le préfet de la zone de défense et de sécurité Nord a refusé de lui accorder l'agrément préalable à l'exercice de la profession de gardien de la paix, ensemble la décision du 4 février 2021 rejetant son recours gracieux ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une erreur de fait et d'appréciation ;

- l'administration n'établit pas la réalité des faits reprochés ;

- les décisions sont entachées d'erreur d'appréciation au regard de sa situation personnelle dès lors qu'il présente les garanties requises pour l'exercice des fonctions de gardiens de la paix auxquelles il postule ; au moment de la commission des faits, il souffrait en effet d'une pathologie psychiatrique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes.

Par un mémoire enregistré le 29 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 6 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 27 juin 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- Le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Robillard pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né le 23 juin 1994, a été admis à la session du 25 septembre 2018 du concours externe de recrutement de gardien de la paix organisé par le secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur Nord. A la suite de l'enquête administrative menée sur son comportement, la préfète déléguée pour la défense et la sécurité Nord a, par la décision du 13 novembre 2020, refusé d'agréer sa candidature à l'emploi de gardien de la paix de la police nationale. Par un courrier du 5 janvier 2021, l'intéressé a formé un recours gracieux contre cette décision, lequel a été rejeté par un courrier du 4 février 2021. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 13 novembre 2020 et 4 février 2021.

Sur la régularité du jugement :

2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. B... ne peut donc utilement se prévaloir d'erreurs de fait ou d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale, dans version applicable au litige : " Outre les conditions générales prévues par l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et les conditions spéciales prévues par les statuts particuliers, nul ne peut être nommé à un emploi des services actifs de la police nationale : (...) / 3° Si sa candidature n'a pas reçu l'agrément du ministre de l'intérieur ". Aux termes de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure : " I. Les décisions administratives de recrutement, d'affectation, de titularisation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant (...) les emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'Etat (...) peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées. (...) ". En vertu des articles R. 114-1 et R. 114-2 du même code, le recrutement des personnels de police peut donner lieu à de telles enquêtes.

4. S'il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans l'intérêt du service, si les candidats à un emploi des services actifs de la police nationale présentent les garanties requises pour l'exercice des fonctions auxquelles ils postulent, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de vérifier que le refus d'agrément d'une candidature est fondé sur des faits matériellement exacts et de nature à le justifier légalement.

5. Pour refuser de délivrer un agrément à M. B..., le préfet de la zone de défense et de sécurité Nord a retenu que l'intéressé était défavorablement connu pour des faits de harcèlement d'une tierce personne et tentative de séquestration d'une mineure, faits commis respectivement en 2014 et en 2015 et révélés par l'enquête administrative préalable diligentée par le service départemental de l'information générale de la direction départementale de la sécurité publique du Pas-de-Calais le 18 septembre 2019.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet d'une première plainte le 17 novembre 2014 émanant d'une camarade de classe pour des faits de harcèlement commis entre le 3 septembre 2014 et le 15 novembre 2014. La plaignante a déclaré aux services de police lors de son audition du même jour être victime de harcèlement de la part du requérant, dont elle a systématiquement refusé les avances, depuis le début de l'année scolaire. Elle a notamment indiqué avoir été rendue destinataire de sept lettres de l'intéressé en octobre 2014 alors qu'elle était hospitalisée, ce dernier ayant par ailleurs déclaré à sa mère qu'il ne cesserait pas ses agissements jusqu'à obtenir ce qu'il veut. Ces faits sont à l'origine de son exclusion du lycée, comme l'a d'ailleurs reconnu l'intéressé lors de son audition par les services de police le 21 mai 2015. En se bornant à indiquer qu'il n'a transmis qu'une seule lettre contenant sept pages à sa camarade de classe et non sept lettres d'amour, circonstance au demeurant non établie eu égard à la production en première instance d'une seule lettre contenant deux pages, M. B... ne conteste pas sérieusement les faits de harcèlement, faits pour lesquels il a d'ailleurs fait l'objet d'un rappel à la loi selon ses propres écritures. Si l'intéressé conteste avoir proféré de menaces à l'égard de la plaignante et de sa mère à la suite de l'entretien organisé le 17 novembre 2014 par le chef d'établissement en vue de son exclusion définitive, cette allégation n'apparait pas plus établie au regard des déclarations précises et circonstanciées de la victime consignées dans le procès-verbal de police dressé à l'occasion du dépôt de plainte du même jour, cette dernière rapportant notamment la teneur des propos en cause. La matérialité de ces faits est donc établie. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir fugué de l'établissement de soins psychiatriques où il était hospitalisé de façon contrainte pour un état d'agitation psychomotrice et un trouble de type maniaque, M. B... a été interpellé par les services de police, le 25 mars 2015, après avoir abordé une jeune fille de neuf ans qui se trouvait seule sur la voie publique en lui demandant de " venir ", faits pour lesquels elle a déposé plainte auprès du commissariat de police de Douai. Lors de son audition le 25 mars 2015, elle a notamment déclaré que l'intéressé avait cherché à la saisir par le cache-nez avant qu'elle ne parvienne à repousser sa main et à prendre la fuite avant de se réfugier auprès d'une autre personne présente dans la rue. Si le requérant, qui a constamment déclaré s'être approché d'elle afin de lui venir en aide, conteste la matérialité des faits, celui-ci a reconnu lors de son audition avoir invité la jeune fille à venir le voir alors qu'elle était, selon ses propres déclarations, apeurée par la situation. Dans ces conditions, ces faits, bien qu'inexactement qualifiés de tentative de séquestration dans la décision du 13 novembre 2020, doivent être regardés comme étant établis.

7. En second lieu, M. B... fait valoir que le refus d'agrément en litige était entaché d'erreur d'appréciation dès lors qu'au moment des faits en cause il souffrait d'une pathologie ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes. Il ressort en effet des pièces du dossier, et notamment des deux rapports des experts psychiatriques qui ont examiné l'intéressé à l'occasion des procédures pénales dont il a fait l'objet à raison de ces faits, que le comportement de M. B..., lequel a d'ailleurs été hospitalisé à la demande d'un tiers le 6 février 2015 et sur décision du représentant de l'Etat à compter du 26 mars 2015 au centre hospitalier d'Hénin-Beaumont en raison de ses troubles psychiatriques, était imputable à une pathologie psychiatrique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes et qu'il n'a, par suite, pas fait l'objet de poursuites. A cet égard, il ressort plus précisément des termes de l'expertise réalisée le 25 mars 2015 à la suite de son interpellation du même jour pour les faits de tentative d'enlèvement sur mineur que l'infraction reprochée est liée un état maniaque, associé à une tachypsychie et une logorrhée, dangereux pour autrui et caractérisé par un comportement altruiste et qu'il n'est, par conséquent, pas accessible à une sanction pénale. Le second rapport daté du 1er juin 2015 et réalisé dans le cadre de l'enquête pour les faits de harcèlement commis en milieu scolaire conclut quant à lui à l'existence de troubles bipolaires justifiant " les phases d'exaltation entrecoupées de périodes de marasme dépressif " et ajoute, après avoir relevé que M. B... ne présentait pas un état de dangerosité sociale, que l'infraction reprochée se trouvait en relation directe avec ces dispositions psychiques particulières qui ont altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes au sens des dispositions de l'article 121-1 du code pénal. M. B... produit enfin un certificat médical de son médecin traitant établi le 23 septembre 2022, soit postérieurement à la décision litigieuse, attestant qu'il n'est plus suivi sur le plan psychiatrique depuis 2015.

8. Toutefois, si les divers éléments médicaux produits par M. B... sont de nature à expliquer son comportement, la seule circonstance que son discernement s'est trouvé altéré lors des faits en cause en raison des troubles psychiatriques dont il a souffert n'est pas de nature à remettre en cause leur gravité et ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente se fonde sur les faits révélés par l'enquête administrative pour apprécier si l'intéressé présente les garanties nécessaires pour l'exercice des fonctions sollicitées malgré l'absence de condamnation judiciaire. Compte tenu de la nature des faits reprochés et du contexte dans lequel ils se sont déroulés, qui révèlent un comportement incompatible avec celui qu'on est en droit d'attendre d'un futur gardien de la paix et en dépit de l'ancienneté relative de ces évènements et de l'intégration sociale et professionnelle dont M. B... se prévaut depuis lors, c'est sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation que le préfet de la zone de défense du Nord a refusé d'agréer la nomination du requérant en cette qualité. Par suite, ce moyen doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise médicale qu'il sollicite, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 13 novembre 2020, confirmée le 4 février 2021, refusant l'agrément de sa candidature. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera délivrée au préfet de la zone de défense et de sécurité Nord.

Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2024.

Le président-assesseur,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La présidente de chambre-rapporteure,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 23DA01122 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01122
Date de la décision : 20/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre Viard
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : MANUEL GROS, HÉLOÏSE HICTER & ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-20;23da01122 ?
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