Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.
Par un jugement n° 2303875 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 27 juillet 2023, a enjoint au préfet territorialement compétent de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de sa notification et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail dans cette attente et a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mars 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 février 2024 ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Le préfet soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé que sa décision portant refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- il s'en remet à ses écritures de première instance s'agissant des autres moyens soulevés par M. A... contre l'arrêté du 27 juillet 2023.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 mai et 17 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Gafsia, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de confirmer le jugement d'annulation du 22 février 2024 ;
3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de lui restituer sa carte de résident, ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et à défaut portant la mention " salarié " dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre infiniment subsidiaire, de procéder, sous les mêmes modalités de délais et d'astreinte, à un nouvel examen de sa situation en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les éléments relatifs à sa vie privée et familiale justifient l'annulation de l'arrêté du 27 juillet 2023 pour méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée,
- elle est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour,
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle se fonde sur le retrait de son décret de naturalisation, lequel est sans incidence sur son droit au séjour,
- elle est illégale dès lors qu'il continuait de bénéficier de plein droit de sa carte de résident jusqu'au 15 décembre 2024,
-elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation par le préfet au regard de son pouvoir de régularisation.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour,
- elle méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité des décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire français,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 19 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- et les observations de Me Gafsia, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant sénégalais né le 30 décembre 1982 à Dakar, s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire valable du 1er septembre 2010 au 30 août 2011, laquelle a été renouvelée jusqu'en 2014, puis une carte de résident valable à compter du 16 décembre 2014. Le 10 avril 2023, M. A... a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 27 juillet 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination. M. A... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 22 février 2024, a fait droit à sa demande, a enjoint au préfet territorialement compétent de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de sa notification et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail dans cette attente, et, enfin, a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet de la Seine-Maritime interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... réside en France depuis pour le moins 2009. Il y a séjourné dans un premier temps régulièrement, sous couvert d'autorisations provisoires de séjour puis d'une carte de séjour temporaire valable du 1er septembre 2010 au 30 août 2011 portant la mention " salarié " qui lui a été renouvelée jusqu'en 2014. Contrairement à ce que fait valoir le préfet de la Seine-Maritime, s'il ressort bien du passeport de M. A... que ce dernier se rend régulièrement au Sénégal pour ses congés annuels, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait cessé de résider habituellement en France depuis 2009, notamment entre mai 2022 et février 2023 dès lors que le requérant a produit ses bulletins de salaire pour l'ensemble de ces 10 mois et que ces derniers ne font état d'aucune suspension de son contrat de travail. Dans ces conditions, M. A... établit résider en France depuis pour le moins 14 ans à la date de la décision attaquée. Il ressort également des avis d'imposition et des bulletins de salaire produits par l'intéressé que ce dernier a travaillé de manière quasi-continue depuis 2009 et qu'il a conclu en dernier lieu un contrat de travail à durée indéterminée en avril 2021. Ses revenus d'activité ont été supérieurs au salaire minimum de croissance sur l'ensemble de cette période, à l'exception des années 2018 à 2020, et lui permettaient à la date de la décision attaquée de subvenir à ses besoins. S'il est vrai que M. A... a déposé le 16 octobre 2015 une demande de naturalisation contenant des informations mensongères quant à sa situation familiale, ce qui a justifié que le Premier ministre rapporte le décret du 1er août 2016 prononçant sa naturalisation par un décret du 20 octobre 2021 dont la légalité a été confirmée par décision du Conseil d'Etat n°448043 du 20 octobre 2021, ces faits remontaient à plus de sept ans à la date de la décision attaquée et sont demeurés isolés, le préfet ne se prévalant d'aucun autre comportement répréhensible dont se serait rendu coupable M. A... au cours de ses 14 années de présence en France. Dans ces conditions, dans les circonstances particulières de l'espèce et compte tenu de la particulière ancienneté du séjour en France de M. A... et de sa parfaite intégration professionnelle sur le territoire français et quand bien même la majorité de ses enfants résidaient au Sénégal le 27 juillet 2023, la décision par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ses décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination sont par voie de conséquence également illégales.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 27 juillet 2023.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Dans les circonstances de l'espèce, dès lors que la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime doit être rejetée et que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'intimé aux fins d'injonction et d'astreinte.
Sur les frais de l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. A..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées en appel par M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°24DA00510