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07/11/2024 | FRANCE | N°23DA01417

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 07 novembre 2024, 23DA01417


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 14 septembre 2021 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a prolongé son isolement pour une durée de trois mois.



Par un jugement n° 2103278 du 16 février 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 17 juillet

2023, M. C..., représenté par Me Benoit David, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement et cette décision ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 14 septembre 2021 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a prolongé son isolement pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 2103278 du 16 février 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Benoit David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros, toutes taxes comprises, à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision contestée a été prise par une autorité incompétente dès lors que la délégation consentie au signataire de la décision litigieuse n'a pas été affichée dans un endroit accessible aux détenus la rendant opposable ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que son signataire n'est pas identifiable ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'inexactitude matérielle et l'administration a commis une erreur d'appréciation quant à la nécessité d'une telle mesure ;

- elle procède d'un détournement de pouvoir en ce qu'elle constitue une sanction disciplinaire déguisée.

Par une ordonnance du 8 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 avril 2024.

Le garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2024 après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. C... est incarcéré depuis le 5 septembre 2019, à la suite de son placement sous mandat de dépôt criminel pour des faits de vol en bande organisée avec arme en récidive et arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes en récidive. Il a fait l'objet, alors qu'il était détenu à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis d'une mesure de placement à l'isolement le 19 mars 2021. Il a été transféré le 25 mai 2021 au centre pénitentiaire de Beauvais. Par une décision du 14 septembre 2021, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a prolongé son placement en isolement pour une durée de trois mois, du 15 septembre 2021 au 15 décembre 2021. M. C... relève appel du jugement du 16 février 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-66 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Le chef d'établissement décide de la mise à l'isolement pour une durée maximale de trois mois. Il peut renouveler la mesure une fois pour la même durée (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-67 du même code, alors en vigueur : " Au terme d'une durée de six mois, le directeur interrégional des services pénitentiaires peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois. / La décision est prise sur rapport motivé du chef d'établissement. / Cette décision peut être renouvelée une fois pour la même durée ".

3. Par une délégation du 1er septembre 2021, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs des services de la préfecture de l'Oise du 3 septembre 2021, et accessible sur le site internet de la préfecture, Mme E... D..., directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille, a donné délégation à Mme G... A..., directrice des services pénitentiaires, adjointe au chef du département de la sécurité et de la détention, à l'effet de signer les décisions administratives individuelles relatives notamment à la prolongation d'isolement. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature, une telle publication au recueil des actes administratifs, qui permet de donner date certaine à la délégation prise par la directrice interrégionale, a constitué une mesure de publicité adéquate pour rendre ses effets opposables aux tiers, notamment à l'égard des détenus du centre pénitentiaire de Beauvais où était incarcéré M. C... à la date de la décision contestée. La décision du 14 septembre 2021 a ainsi été signée régulièrement, par délégation, par la directrice des services pénitentiaires, adjointe au chef du département de la sécurité et de la détention. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit, par suite, être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".

5. La décision contestée comporte, en caractères lisibles, la mention " la directrice interrégionale ou son représentant ", suivie de l'indication manuscrite des nom et prénom de l'auteur de l'acte, Mme G... A..., de sa signature, et de sa qualité indiquée par la mention manuscrite " adjointe au CE ", laquelle n'est pas illisible, contrairement à ce qui est soutenu. Dès lors, les mentions figurant sur ce document permettent d'identifier, sans ambiguïté, la personne qui en est l'auteur. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. (...) Les observations de la personne détenue et, le cas échéant, celles de son avocat sont jointes au dossier de la procédure. Si la personne détenue présente des observations orales, elles font l'objet d'un compte rendu écrit signé par elle. (...) La décision est motivée. Elle est notifiée sans délai à la personne détenue par le chef d'établissement ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ".

7. La décision contestée, qui vise les articles R. 57-7-62 à R. 57-7-78 du code de procédure pénale relatifs à l'isolement, énonce les faits qui ont conduit à l'incarcération de l'intéressé, sa tentative d'évasion en 2010, le mouvement collectif qu'il a initié en 2017, les violences commises à l'encontre d'un codétenu en 2020, sa détermination à détenir des objets interdits en détention afin de communiquer avec l'extérieur ainsi que les propos qu'il a tenus le 24 août 2021 quant à un projet d'évasion. Ainsi, la décision contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, lesquelles ne se limitent pas, contrairement à ce que soutient l'intéressé, à celles énoncées dans la décision initiale de placement à l'isolement. Par suite, la décision attaquée est suffisamment motivée au regard des exigences posées par l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale et l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, dont le respect s'apprécie indépendamment du bien-fondé des motifs retenus.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. En premier lieu, aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité, pour une durée maximale de trois mois, soit à sa demande, soit d'office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu'après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L'isolement ne peut être prolongé au-delà d'un an qu'après avis de l'autorité judiciaire. ". L'article R. 57-7-62 de ce code, alors en vigueur, dispose : " La mise à l'isolement d'une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu'elle soit prise d'office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-73 du même code, alors en vigueur : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé. L'avis écrit du médecin intervenant dans l'établissement est recueilli préalablement à toute proposition de renouvellement de la mesure au-delà de six mois et versé au dossier de la procédure ".

9. Les mesures d'isolement sont prises, lorsqu'elles ne répondent pas à une demande du détenu, pour des motifs de précaution et de sécurité. Elles constituent des mesures de police administrative qui tendent à assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité au sein de l'établissement pénitentiaire, ainsi que la prévention de toute infraction le cas échéant.

10. Chaque décision de placement à l'isolement, la première comme les décisions ultérieures maintenant le détenu sous ce régime de détention, est fondée sur une appréciation des circonstances de fait existantes à la date à laquelle elle est prise et ne dépend pas des décisions précédentes.

11. Saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision de mise à l'isolement, le juge administratif ne peut censurer l'appréciation portée par l'administration pénitentiaire quant à la nécessité d'une telle mesure qu'en cas d'erreur manifeste.

12. La décision attaquée prolongeant à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 décembre 2021 le placement à l'isolement de M. C... a été prise après que celui-ci a, le 24 août 2021, fait part à un membre de l'administration pénitentiaire d'un projet d'évasion en en relatant de manière circonstanciée les conditions et le retentissement que la réalisation de ce projet pourrait susciter. Si M. C..., incarcéré à la suite de son placement sous mandat de dépôt criminel pour des faits de vol en bande organisée avec arme en récidive et arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes en récidive, fait valoir que ces propos ont été tenus par provocation et présentaient un caractère ironique, il ressort des pièces du dossier que le requérant, qui avait indiqué à plusieurs reprises au cours des mois précédents vouloir quitter l'établissement pénitentiaire dans lequel il était détenu et qu'il projetait de s'évader avant sa comparution devant la cour d'assises du Val d'Oise devant laquelle il avait été renvoyé à la suite d'une ordonnance portant mise en accusation du 16 février 2021, a déjà commis une tentative d'évasion d'une maison centrale en 2010, faits pour lesquels il a été condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement. Il ressort également des pièces du dossier que M. C... a notamment initié un mouvement collectif en 2017 et frappé un codétenu le 15 octobre 2020, l'intéressé ayant, contrairement à ce qu'il soutient, reconnu ces faits de violence à l'occasion des observations qu'il a présentées devant la commission de discipline le 27 octobre 2020. En outre, il ressort des décisions disciplinaires prononcées à l'encontre de M. C..., au nombre de huit entre le 18 décembre 2019 et le 11 mars 2021, que l'intéressé a, au cours de cette période, été sanctionné à quatre reprises pour avoir été retrouvé en possession d'un téléphone portable.

13. Compte tenu, d'une part, de l'ensemble du comportement de M. C... tel qu'il vient d'être rappelé, notamment d'une précédente tentative d'évasion, des faits de violence pour lesquels il a été sanctionné ainsi que d'une volonté délibérée de disposer de moyens de communication avec l'extérieur, et, d'autre part, des éléments de nature à faire craindre des préparatifs d'évasion à la suite des propos qu'il a tenus le 24 août 2021, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a pu, sans entacher sa décision d'inexactitude matérielle des faits et sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, prolonger pour une durée de trois mois le placement à l'isolement de M. C....

14. En second lieu, si le requérant soutient que la mesure de prolongement de son placement à l'isolement serait constitutive d'une sanction déguisée, motivée par ses relations conflictuelles avec le personnel pénitentiaire, caractérisant un détournement de pouvoir, les circonstances invoquées ne permettent pas davantage, pour les motifs énoncés précédemment, de regarder comme établies ses allégations.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à Me Benoit David.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth HELENIAK

2

N°23DA01417


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01417
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;23da01417 ?
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