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31/10/2024 | FRANCE | N°22DA02494

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 31 octobre 2024, 22DA02494


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E..., née D..., a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société anonyme Gaz réseau distribution France (GRDF) à lui verser une indemnité de 39 421,38 euros en réparation des préjudices qui lui ont été causés par un dommage de travaux public survenu le 8 septembre 2017.



La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Eure a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner GRDF à lui verser une indemnité de 33 772,54 e

uros en réparation des débours qu'elle a exposés au profit de Mme E....



Par un jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E..., née D..., a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société anonyme Gaz réseau distribution France (GRDF) à lui verser une indemnité de 39 421,38 euros en réparation des préjudices qui lui ont été causés par un dommage de travaux public survenu le 8 septembre 2017.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Eure a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner GRDF à lui verser une indemnité de 33 772,54 euros en réparation des débours qu'elle a exposés au profit de Mme E....

Par un jugement n° 2000046 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné GRDF à verser les sommes de :

- 2 124,06 euros à Mme E...,

- et de 4 967,73 euros à la CPAM de l'Eure.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2022 et 28 février 2024, Mme B... E..., représentée par la SELARL Dragon, Biernacki et Piret, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 septembre 2022 en tant qu'il limite l'indemnisation qui lui est due par GRDF à la somme de 2 124,06 euros ;

2°) de condamner GRDF à lui verser une indemnité de 39 421,38 euros ;

3°) de mettre à la charge de GRDF la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Mme E... soutient que :

- la responsabilité sans faute de GRDF est engagée à son égard en qualité d'usagère de la voie publique, sa chute ayant été entrainée par un compteur de gaz implanté au milieu du trottoir et non signalé,

- il n'y a pas lieu d'exonérer partiellement GRDF de sa responsabilité en l'absence d'imprudence ou de négligence de sa part. En particulier, elle n'empruntait pas habituellement le trottoir de la rue Henri Dunant où était implanté l'ouvrage en cause et elle avait une faible visibilité dès lors qu'elle transportait devant elle un enfant en porte-bébé,

- en ce qui concerne ses préjudices patrimoniaux temporaires, elle justifie de frais de santé demeurés à sa charge d'un montant de 88,06 euros. Il sera fait une exacte appréciation de son besoin temporaire d'assistance par une tierce personne en le fixant à la somme de 380 euros et de ses pertes de gains professionnels en les fixant à 15 477,32 euros,

- en ce qui concerne ses préjudices patrimoniaux permanents, il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle du dommage en la fixant à 15 000 euros,

- en ce qui concerne ses préjudices extrapatrimoniaux temporaires, il sera fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel temporaire en le fixant à 976 euros et des souffrances qu'elle a endurées en les fixant à 3 000 euros,

- en ce qui concerne ses préjudices extrapatrimoniaux permanents, il sera fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel permanent en le fixant à 4 500 euros.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 mars 2023 et le 28 février 2024, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Eure, représentée par Me Bourdon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 septembre 2022 en tant qu'il limite l'indemnisation qui lui est due par GRDF à 4 967,73 euros ;

2) de condamner GRDF à lui verser une indemnité de 33 772,54 euros ;

3) d'assortir cette somme des intérêts aux taux légaux à compter de l'arrêt à intervenir et d'en ordonner la capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de GRDF l'indemnitaire forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

5°) de mettre à la charge de GRDF la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

La caisse soutient que :

- ses débours imputables s'élèvent à la somme de 33 772,54 euros,

- il n'y a pas lieu de remettre en cause l'imputabilité de la rente d'accident du travail et de maladie professionnelle servie à Mme E..., celle-ci ayant été liquidée en fonction des textes applicables et sans qu'ait d'incidence sur ce point la fixation à 3% par l'expert judiciaire du déficit fonctionnel permanent présenté par la victime.

Par une requête en appel incident et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril 2023 et 18 avril 2024, la société anonyme Gaz réseau distribution France (GRDF), représentée par Me Buffetaud demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter les requêtes de Mme E... et de la CPAM de l'Eure et d'annuler le jugement du 29 septembre 2022 ;

2°) à titre subsidiaire, de ramener les prétentions indemnitaires des appelantes à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- aucune indemnisation n'est due à Mme E... et à sa caisse en l'absence de lien établi entre le dommage et l'ouvrage public,

- à supposer même un tel lien, la négligence dont a fait preuve la victime est en l'espèce pleinement exonératoire,

- à supposer que la cour entre en voie de condamnation, il y a lieu de ramener les prétentions indemnitaires des appelantes à de plus justes proportions,

- en ce qui concerne Mme E..., avant abattement pour faute de la victime, il y a lieu de fixer son besoin temporaire d'assistance par une tierce personne à 300,25 euros, son déficit fonctionnel temporaire à 780,80 euros, ses souffrances endurées à 1 800 euros et son déficit fonctionnel permanent à 3 550 euros. Par ailleurs, faute pour elle de démontrer l'existence d'un préjudice en lien avec le dommage sur ces postes, elle ne justifie d'aucun droit à indemnisation au titre de ses dépenses de santé, de ses pertes de gains professionnels et de l'incidence professionnelle,

- en ce qui concerne la CPAM de l'Eure, elle justifie de dépenses de santé imputables à la chute de Mme E... à hauteur de 453,18 euros, d'indemnités journalière imputables à hauteur de 5 999,91 euros et d'indemnités d'accident du travail à hauteur de 976,44 euros. Elle ne justifie pas en revanche que la rente qu'elle verse à Mme E... soit bien imputable à sa chute alors qu'elle se fonde sur un taux d'incapacité de 8 % tandis que l'expert judiciaire a fixé son déficit fonctionnel permanent imputable à 3 %.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité le 16 juillet 2024 Mme E... à produire des pièces, ce qu'elle a fait le 30 juillet 2024.

Par ordonnance du 26 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 12 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil,

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Eustache, rapporteur public,

- et les observations de Me Piret, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... E..., née D... le 6 septembre 1986 et qui exerçait au moment des faits la profession d'assistante maternelle, fait valoir avoir buté le 8 septembre 2017 sur un compteur de gaz implanté sur un trottoir bordant les immeubles situés aux n°s 18 et 20 de la rue Henri Dunant à Evreux et avoir alors été victime d'une chute lui ayant occasionné une fracture du bras gauche. Elle a saisi le 27 décembre 2018 le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, qui par une ordonnance du 14 mars 2019, a désigné un expert judiciaire. L'expert a remis son rapport, daté du 15 mai 2019, le 20 mai suivant.

2. Mme E... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société anonyme Gaz réseau distribution France (GRDF) à lui verser la somme de 39 421,38 euros en réparation des préjudices qu'elle estime imputables à sa chute. En cours d'instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Eure, a présenté des conclusions indemnitaires à l'encontre de GRDF au titre de ses débours imputables. Par un jugement du 29 septembre 2022, le tribunal a condamné GRDF à verser à Mme E... et à la caisse les sommes respectives de 2 124,06 et 4 967,73 euros.

3. Par les présentes requêtes, elles interjettent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à leurs prétentions indemnitaires.

4. Par un mémoire présenté le 7 avril 2023, après expiration du délai d'appel, GRDF demande pour sa part d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 29 septembre 2022 en tant qu'il fait partiellement droit aux conclusions indemnitaires des demanderesses de première instance et conclut au rejet de ces dernières. Il en résulte que ces conclusions de GRDF doivent être qualifiées d'appel incident.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité :

5. Pour obtenir réparation, par le maître de l'ouvrage, des dommages qu'ils ont subis à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public, les usagers de cet ouvrage doivent démontrer devant le juge administratif, d'une part, la réalité de leur préjudice, d'autre part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage. Pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse alors sur elle, il incombe à la collectivité maître d'ouvrage, soit d'établir qu'elle a normalement entretenu l'ouvrage, soit de démontrer l'existence d'une faute de la victime ou d'un événement de force majeure.

6. En l'espèce, Mme E..., usagère de la voie publique, se prévaut d'un dommage causé par un compteur de gaz incorporé à ladite voie. L'engagement éventuel de la responsabilité de GRDF à son encontre est par conséquent régie par les principes exposés au point précédent.

7. En premier lieu, Mme E... démontre la réalité de divers préjudices corporels, dont l'existence et l'étendue sont notamment établis par le rapport d'expertise judiciaire daté du 15 mai 2019.

8. En deuxième lieu, Mme E... a produit pour établir un lien de causalité direct entre lesdits dommages et le compteur de gaz implanté sur le trottoir longeant les immeubles des n° 18 et 20 de la rue Henri Dunant à Evreux, des photographies qui permettent de localiser l'ouvrage en cause, de situer l'endroit exact de la chute alléguée et d'apprécier la réalité et l'importance de la défectuosité invoquée de cet ouvrage public. Ces photographies permettent également d'établir que dans les semaines qui ont suivi le 8 septembre 2017, de la rubalise a été posée sur ce compteur afin de le signaler et qu'au plus tard le 19 mars 2018, cet équipement a été démonté afin d'aplanir le trottoir en cause. Par ailleurs, le mari de Mme E... a attesté sur l'honneur, dans un formulaire rédigé conformément aux dispositions des articles 200 et suivants du code de procédure civile et qui a été établi quelques jours après l'accident, avoir été témoin de la chute de l'intéressée le 8 septembre 2017 en raison du compteur de gaz implanté sur le trottoir de la rue Henri Dunant. Enfin, contrairement à ce que soutient GRDF, il résulte bien de l'instruction que Mme E... a été prise en charge dès le 8 septembre 2017 pour les séquelles d'une chute, dès lors notamment que l'expert judiciaire a cité textuellement dans son rapport du 15 mai 2019 un extrait d'un certificat médical initial rédigé le jour même et qu'il a également annexé en pièce jointe n°2 à son rapport une fiche médicale éditée le 16 avril 2019 qui fait bien mention de la réalisation d'une radiographie le 8 septembre 2017. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction qu'un lien de causalité direct est établi entre les dommages subis par Mme E... du fait d'une chute lui ayant causé une fracture du bras gauche et le compteur de gaz implanté sur le trottoir situé devant les n°s 18 et 20 de la rue Henri Dunant.

9. En troisième lieu, ledit compteur était implanté au moment des faits en litige à peu près au milieu du trottoir. Il dépassait de la chaussée de plusieurs centimètres et ne bénéficiait d'aucune signalisation. Dans ces conditions, la présence de cet obstacle est révélatrice d'un défaut d'entretien normal de nature à engager la responsabilité de GRDF.

10. En quatrième et dernier lieu, par des pièces nouvelles produites en appel, Mme E... démontre qu'elle n'empruntait pas quotidiennement cette portion de la rue Henri Dunant pour emmener ses propres enfants au collège, ces derniers étant en réalité à la date des faits scolarisés à l'école primaire du Bois-Bohy. Toutefois, ce compteur était présent de longue date et il était implanté à proximité du domicile de la victime, sur la voie qui conduisait aux domiciles de deux des enfants dont elle assurait la garde. Mme E... marchait sur le trottoir de jour, l'obstacle constitué par le compteur était visible et pouvait être contourné sans difficulté par un piéton en restant sur le trottoir. Dans ces conditions, Mme E... doit par conséquent être regardée comme ayant commis une maladresse de nature à atténuer partiellement la responsabilité de GRDF. Eu égard, à l'ensemble des circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société GRDF la réparation des deux tiers des conséquences dommageables de l'accident.

En ce qui concerne les préjudices

11. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que l'état de santé de Mme E... a été consolidé le 30 novembre 2018.

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

12. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre./ Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après./ Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel./ Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée./ Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) ".

13. Il résulte de ces dispositions qu'il y a lieu en principe de déterminer, pour chacun des postes de préjudices réparés par des indemnités des caisses de sécurité sociale, le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il y a lieu, ensuite, de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime. Il y a lieu, enfin, d'allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

Quant aux dépenses de santé :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment d'une attestation de débours et d'une attestation d'imputabilité que les dépenses de santé temporaires demeurées à la charge de la CPAM de l'Eure et en lien avec la chute de Mme E... le 8 septembre 2017 s'élèvent à 453,81 euros.

15. Si Mme E... se prévaut de divers documents pour établir l'existence de frais de santé temporaires demeurés à sa charge, le " duplicata de décompte " qu'elle fournit ne mentionne pas la nature des actes qui y figurent et est donc dépourvu de valeur probante. Il en est de même du document intitulé " récapitulatif des soins et fourniture ", dont il n'est pas établi qu'il ne serait pas relatif à de simples avances de frais par l'assurée sociale, avant remboursement par la caisse. Enfin, si Mme E... a produit plusieurs documents intitulés " détail de versement " établis par la CPAM de l'Eure qui sont détaillés, ils ne sont pas complétés par une attestation d'imputabilité et ce alors même qu'ils retiennent des soins manifestement non imputables à la chute du 8 septembre 2017 tels que des actes d'ophtalmologie. Dans ces conditions, l'étendue des frais de santé demeurés à la charge de Mme E... ne peut être regardée comme établie que par l'attestation de débours produite par la CPAM de l'Eure, laquelle mentionne l'existence de franchises médicales demeurées à la charge de son assurée d'un montant total de 15,50 euros.

16. Par suite, le montant total des dépenses de santé temporaires imputables s'élève à 469,31 euros, dont les deux-tiers, soit 312,87 euros, doivent être mis à la charge de GRDF. Conformément aux principes rappelés au point 13, il y a lieu de condamner cette société à verser les sommes de 15,50 euros à Mme E... et de 297,37 euros à la CPAM de l'Eure.

17. En second lieu, l'expert judiciaire a indiqué dans son rapport daté du 15 mai 2019 qu'aucun frais de santé n'était imputable au dommage postérieurement à la consolidation de l'état de santé de Mme E.... Celle-ci n'a produit aucune pièce médicale de nature à remettre en cause cette conclusion de l'expert et, dans ces conditions, elle n'est pas fondée à demander à être indemnisée au titre de ses frais de santé permanents passés et futurs.

Quant au besoin d'assistance par une tierce personne :

18. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, non contesté sur ce point par les parties, que Mme E... a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à hauteur d'une heure par jour du 9 au 27 septembre 2017.

19. Au regard du caractère non spécialisé de cette assistance, il est justifié que le taux horaire retenu soit fixé en considération du salaire minimum interprofessionnel de croissance alors applicable de 9,76 euros, augmenté des cotisations sociales et tenant compte des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés, ainsi que des congés payés. Il en sera ainsi fait une juste appréciation en le fixant à 15,42 euros (=9,76 x 1,4 x 412 / 365).

20. Dans ces conditions, le besoin temporaire de la victime en assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne doit être évalué à 292,98 euros dont les deux-tiers, soit 195,32 euros, seront mis à la charge de GRDF.

Quant aux préjudices professionnels :

21 Il résulte des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale citées au point 12 que les prestations versées par un organisme de sécurité sociale à la suite d'un accident corporel ne peuvent être mis à la charge du responsable que par imputation sur le ou les postes de préjudice que ces prestations ont eu pour objet de réparer. Les indemnités journalières ont pour objet de réparer les pertes de revenus subies par la victime pendant la période d'incapacité temporaire. Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du même code, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire les pertes de revenus professionnels résultant de l'incapacité permanente et l'incidence professionnelle de cette incapacité.

22. Pour se conformer aux règles énoncées, il appartient aux juges du fond de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par la victime en raison des fautes commises par le centre hospitalier entraîne des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnent lieu au versement d'une pension d'invalidité. Pour déterminer dans quelle mesure ces préjudices sont réparés par la pension, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subit pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes est inférieur au capital représentatif de la pension.

23. En premier lieu, au titre des pertes de revenus temporaires, la requérante ne démontre ni d'ailleurs n'allègue avoir subi de pertes de revenus pendant sa période d'arrêt maladie soit du 9 septembre 2017 au 31 janvier 2018. Pour démontrer l'existence de pertes de revenus entre le 1er février 2018 et le 30 novembre 2018, date de consolidation de son état de santé, elle indique qu'après sa reprise du travail, certaines familles dont elle accueillait les enfants l'ont licenciée en raison de son état séquellaire et de ses difficultés à porter de très jeunes enfants. Toutefois, il résulte des lettres de licenciement produites par Mme E... que son licenciement par les parents des enfants A... et C... s'expliquaient par des raisons légitimes et indépendantes de l'état de santé de l'intéressée tenant à un déménagement et à un début de scolarisation. De même, son licenciement par une famille en mai 2018 n'apparaît pas imputable à son état de santé séquellaire dès lors qu'il est précisément justifié par la rupture conventionnelle d'un des parents avec son propre employeur. Il résulte également de l'instruction que Mme E... a démissionné de son contrat relatif à la garde de l'enfant Nino en avril 2018, soit plusieurs semaines après sa reprise du travail et sans indiquer alors à son employeur les raisons de son choix et notamment le rôle joué par ses problèmes au bras gauche. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la perte par Mme E... de certains contrats de travail serait en lien direct et certains avec le dommage qu'elle a subi le 8 septembre 2017 si bien que la perte de revenus subie par Mme E..., à la supposer même constituée, n'est pas indemnisable par la société GRDF.

24. Il résulte par ailleurs de l'instruction que Mme E... a été placé en congés maladie du 9 septembre 2017 au 31 janvier 2018 et que sa caisse d'affiliation, la CPAM de l'Eure, lui a versé des indemnités journalières d'un montant total de 5 599,91 euros.

25. Dans ces conditions, aucune indemnisation n'est due à Mme E... par GRDF au titre de ses préjudices professionnels temporaires et GRDF doit être condamnée à verser à la CPAM de l'Eure au titre de ce poste une somme correspondante aux deux tiers du montant total des indemnités journalières versées à la victime directe, soit 3 733,27 euros.

26. En deuxième lieu, en ce qui concerne les préjudices professionnels permanents, Mme E... ne se prévaut pas dans ses écritures de pertes de revenus professionnels imputables postérieurement au 30 novembre 2018, date de consolidation de son état de santé.

27. Il résulte en revanche de l'instruction que si le taux de déficit fonctionnel permanent imputable au dommage a été fixé à 3 % par l'expert, son retentissement professionnel est important dès lors que la victime souffre d'une limitation du coude avec un retentissement sur la force de la main et qu'elle a indiqué de manière cohérente et constante qu'elle ne pouvait plus porter de poids supérieur à 5 kg pendant plus de quelques minutes avec son bras gauche, alors que son emploi d'assistante maternelle lui imposait fréquemment de tels gestes. Il en résulte une pénibilité accrue de ses conditions de travail. Mme E... indique également sans être sérieusement contredite qu'elle doit désormais renoncer à garder de très jeunes enfants, ce qui est de nature à caractériser une perte de chance professionnelle liée notamment à l'augmentation de la durée de ses périodes dites d'inter-contrats. Alors par ailleurs que l'intéressée n'était âgée que de 32 ans à la date de la consolidation de son état, il en résulte qu'il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle des séquelles de sa chute du 8 septembre 2017 en la fixant à 15 000 euros, dont les deux-tiers, soit 10 000 euros, doivent être mises à la charge de GRDF.

28. En ce qui concerne la détermination du bénéficiaire de cette indemnisation et conformément aux principes rappelés au point 22, il y a lieu de constater que la CPAM de l'Eure verse depuis décembre 2018 à Mme E... une pension d'invalidité. Contrairement à ce que soutient GRDF, il ne résulte pas de l'instruction que l'intégralité du montant de cette pension ne serait pas en lien avec le dommage de travaux publics en litige. En particulier, la circonstance que cette pension a été liquidée sur la base d'un taux d'invalidité de 10% alors que l'expert judiciaire a estimé imputable au dommage un taux de déficit fonctionnel permanent de 3 % est sans incidence dès lors que le point 1.1.2 de l'annexe 1 à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, relatif au taux d'invalidité, fixe un barème distinct de celui de l'annexe 11-2 du code la santé publique, utilisé habituellement dans le cadre de la réparation du dommage corporel. Dans les circonstances de l'espèce et au regard de ce qui a été dit aux points 26 et 27, cette pension d'invalidité doit être regardée comme devant s'imputer sur la réparation due par GRDF à Mme E... au titre de l'incidence professionnelle de son dommage.

29. Il résulte enfin de l'attestation de débours produites par la CPAM de l'Eure que la pension d'invalidité qu'elle verse à la victime directe répare intégralement ce poste de préjudice. Dans ces conditions, aucune indemnisation complémentaire n'est due à Mme E... au titre de l'incidence professionnelle du dommage et il y a lieu de condamner GRDF à verser la somme de 10 000 euros à la CPAM de l'Eure sur ce chef de préjudice.

30. Il résulte de l'ensemble de ce qui vient d'être dit que les sommes dues par GRDF à Mme E... et à la CPAM de l'Eure au titre des préjudices patrimoniaux s'élèvent respectivement à 210,82 euros et 14 030,64 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux de Mme E... :

Quant aux souffrances endurées :

31. Les souffrances endurées par Mme E... ont été été fixées par l'expert judiciaire à 2/7. Aucun élément ne vient contester cette appréciation de l'expert et, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en le fixant à 2 000 euros, dont les deux-tiers, soit 1 333,33 euros, seront mis à la charge de GRDF.

Quant au déficit fonctionnel :

32. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert judiciaire, que Mme E... a subi un déficit fonctionnel temporaire imputable total le 8 septembre 2017, partiel de 20% du 9 au 27 septembre 2017 et, enfin, partiel de 8% du 28 septembre 2017 au 29 novembre 2018. Sur la base d'un taux journalier de 20 euros pour un déficit fonctionnel temporaire total, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en le fixant à la somme de 780,80 euros, dont les deux-tiers, soit 520,53 euros, seront mis à la charge de GRDF.

33. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert judiciaire, que Mme E... présente un déficit fonctionnel permanent imputable à la chute dont elle a été victime le 8 septembre 2017 de 3 %. Au 30 novembre 2018, date de consolidation de son état de santé, l'intéressée était par ailleurs âgée de 32 ans. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en le fixant à la somme de 3 550 euros, dont les deux-tiers, soit 2 366,67 euros, seront mis à la charge de GRDF.

34. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'appel incident de la société GRDF et de condamner celle-ci à verser à Mme E... la somme totale de 4 431,35 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

35. Même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts au taux légal au jour de son prononcé jusqu'à son exécution. Ainsi les demande de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure tendant à ce que lui soit alloués, à compter de la date du présent arrêt, des intérêts au taux légal sur les sommes que la société GRDF est condamnée à lui verser et à ce que soit ordonnée la capitalisation desdits intérêts dont dépourvues d'objet et doivent être rejetées.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

36. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 18 décembre 2023 susvisé, le montant maximum de cette indemnité forfaitaire de gestion est de 1 191 euros.

37. Il résulte de ces dispositions que le montant de l'indemnité forfaitaire qu'elles instituent est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un plafond dont le montant est révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Lorsque le plafond de l'indemnité forfaitaire de gestion est relevé entre le moment où la caisse présente ses conclusions tendant à ce qu'elle lui soit attribuée et le moment où le juge statue, la caisse n'a pas à actualiser le montant de ses conclusions, le droit à cette indemnité étant en outre attaché à l'action par laquelle la caisse obtient une indemnisation de ses débours, et non comme attaché à chaque instance juridictionnelle. Il y a lieu par suite de porter de 1 114 euros à 1 191 euros, en application de l'arrêté interministériel du 18 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024, la somme à laquelle les premiers juges ont condamné GRDF à ce titre.

Sur les frais de l'instance :

38. Dans les circonstances de l'espèce et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de condamner GRDF, partie perdante, à verser à Mme E... la somme de 2 000 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu en revanche de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure. Enfin, en application desdites dispositions, les conclusions de GRDF, partie perdante, ne peuvent être que rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 2 124,06 euros que la société GRDF a été condamnée à verser à Mme E... par l'article 1er du jugement du 29 septembre 2022 est portée à 4 431,35 euros.

Article 2 : La somme de 4 967,73 euros que la société GRDF a été condamnée à verser à la caisse primaire de l'assurance maladie (CPAM) de l'Eure par l'article 2 du jugement du 29 septembre 2022 est portée à 14 030,64 euros.

Article 3 : La somme de 1 114 euros que la société GRDF a été condamnée à verser à la CPAM de l'Eure par l'article 3 du jugement du 29 septembre 2022 est portée à 1 191 euros.

Article 4 : Le jugement n° 2000046 du 29 septembre 2022 du Tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er, 2 et 3.

Article 5 : L'appel incident de la société GRDF est rejeté.

Article 6 : La société GRDF versera à Mme E... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de Mme E... et de la CPAM de l'Eure est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... épouse E..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et à la société anonyme Gaz Réseau distribution France.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.

Le rapporteur,

Signé : V. Thulard

La présidente de la 1ère chambre

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°22DA02494


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02494
Date de la décision : 31/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Vincent Thulard
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : SELARL DRAGON - BIERNACKI - PIRET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-31;22da02494 ?
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