Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille :
- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à titre provisoire ;
- d'annuler l'arrêté du 12 mars 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de la remettre aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile ;
- d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;
- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, dans le cas où elle ne serait pas définitivement admise au bénéfice de cette aide, le versement à son profit de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2402895 du 17 avril 2024, le président du tribunal administratif de Lille par intérim a admis Mme C... à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1), a annulé l'arrêté du 12 mars 2024 (article 2), a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation D... C... (article 3), a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser au conseil D... C..., au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cas d'admission définitive de l'intéressée à l'aide juridictionnelle ou à son profit dans le cas contraire (article 4) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 5).
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00858 le 2 mai 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, doit être regardé comme demandant à la cour d'annuler le jugement du 17 avril 2024 en ses articles 2 à 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par Mme C....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par Mme C... en première instance et tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits de l'Union européenne, de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de l'article 21 de la directive 2013/32/UE du même jour, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, Mme C..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :
- de confirmer le jugement ;
- d'annuler l'arrêté du 12 mars 2024 ;
- d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile ;
- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, dans le cas où elle ne serait pas définitivement admise au bénéfice de cette aide, le versement à son profit de la somme de 1 800 euros TTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle renvoie à ses écritures de première instance et au jugement en ce qui concerne la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 21 de la directive 2013/32/UE du même jour et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Mme C... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juin 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Par une ordonnance du 24 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juillet 2024.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité le préfet du Nord à produire des pièces, ce qu'il a fait le 10 septembre 2024.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00912 le 14 mai 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 17 avril 2024.
Il soutient que :
- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par Mme C... en première instance ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par Mme C... en première instance et tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de l'article 21 de la directive 2013/32/UE du même jour et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, Mme C..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :
- de rejeter la requête en sursis à exécution du jugement ;
- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros hors taxe (H.T.), sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, dans le cas où elle ne serait pas définitivement admise au bénéfice de cette aide, le versement à son profit de la somme de 1 800 euros toutes taxes comprises (TTC) (soit 1 500 euros HT) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas utile de faire droit à la demande de sursis à exécution, dès lors que le préfet sursoit de son propre chef à exécuter les décisions rendues par le tribunal dans l'attente de l'arrêt de la cour ;
- les recours du préfet ne peuvent pas prolonger le délai dans lequel les autorités françaises doivent exécuter l'arrêté de transfert ;
- les moyens soulevés par le préfet du Nord ne sont pas fondés ;
- elle se réfère à ses écritures en défense au fond.
Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juin 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Par une ordonnance du 24 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juillet 2024.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité le préfet du Nord à produire des pièces, ce qu'il a fait le 10 septembre 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Les rapports D... Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., ressortissante guinéenne née le 1er janvier 1968 à Conakry (Guinée), a déposé une demande d'asile le 17 octobre 2023 auprès des services de la préfecture du Nord. A la suite de cette demande, le préfet du Nord, constatant que les empreintes de l'intéressée avaient été enregistrées dans la base dactyloscopique centrale de données informatisées du système Eurodac en Italie le 22 juillet 2023, a saisi, le 27 octobre 2023, les autorités italiennes d'une demande de prise en charge, sur le fondement de l'article13.1 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. L'Italie a accepté la prise en charge D... C... par un accord implicite intervenu le 28 décembre 2023. Par un arrêté du 12 mars 2024, le préfet du Nord a décidé de remettre Mme C... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2402895 du 17 avril 2024, en tant que le président du tribunal administratif de Lille par intérim a annulé l'arrêté du 12 mars 2024 et a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation D... C....
Sur la requête n°24DA00858 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :
2. A... termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figurent au dossier des éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été reçue en entretien individuel le 17 octobre 2023 à la préfecture du Nord et qu'elle a signé le résumé de cet entretien. Ce résumé, s'il comporte la signature de la personne ayant mené l'entretien, ne contient aucune mention de son identité, même sommaire par des initiales, permettant de l'identifier. Il est cependant revêtu, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfet du Nord ", " D.I.I. Asile 1 ". A cet égard, l'administration fait valoir, pour la première fois en appel, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que l'entretien a été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif de Lille par intérim s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 12 mars 2024 prononçant le transfert D... C... aux autorités italiennes, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... en première instance et en appel.
S'agissant des autres moyens :
Quant aux moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013, de l'article 21 de la directive 2013/33/UE du même jour, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
6. D'une part, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement Dublin III : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. D'autre part, aux termes de l'article 21 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les (...) les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs (...) ". A... termes de l'article 22 de la même directive, relatif à l'évaluation des besoins particuliers en matière d'accueil des personnes vulnérables : " 1. A... fins de la mise en œuvre effective de l'article 21, les États membres évaluent si le demandeur est un demandeur qui a des besoins particuliers en matière d'accueil. Ils précisent en outre la nature de ces besoins (...) ". L'article 21 précité de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, dont la méconnaissance est invoquée, impose seulement aux Etats de prendre en compte cette situation dans leur législation interne, et n'en fait pas un critère de vulnérabilité par elle-même.
8. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017, affaire n° C-578/16 PPU, " l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que, même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillance systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ". Dans une affaire n° 29217/12 du 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, la Cour européenne des droits de l'homme a relevé que les capacités d'accueil de l'Italie étaient alors localement défaillantes, sans qu'il s'agisse pour autant d'une défaillance systémique. La Cour a considéré que cette situation n'empêchait pas l'adoption de décisions de transfert, mais obligeait le pays qui envisageait une procédure de remise, lorsqu'elle porte sur une personne particulièrement vulnérable, de s'assurer au préalable, avant toute exécution matérielle, auprès des autorités italiennes qu'à leur arrivée en Italie, les personnes concernées seront notamment accueillies dans des structures et dans des conditions adaptées à leur situation familiale et à leur état de santé.
9. Si l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est mère isolée de deux enfants mineurs à la date de l'arrêté attaqué. Elle doit ainsi être regardée, compte tenu de cette condition et de son isolement en Italie, comme une personne vulnérable au sens des normes qui régissent l'accueil des personnes demandant la protection internationale. Par ailleurs, si le préfet du Nord a informé les autorités italiennes de ce que le transfert incluait également les deux enfants mineurs D... Mme C..., c'est par un accord implicite que l'Italie a accepté la prise en charge, de sorte que cet accord a été donné sans que l'administration française n'obtienne de précisions sur les conditions spécifiques de celle-ci. A défaut de tout autre élément, et en dépit de l'absence de défaillances systémiques en Italie à la date de l'arrêté contesté, cette réponse ne permet pas d'estimer que les autorités italiennes ont été en mesure de prendre en considération l'état de mère isolée D... C... et de prévoir, en conséquence, une prise en charge adaptée dès son arrivée, alors qu'elle justifie, certes par un document postérieur à l'arrêté attaqué, de la scolarisation en France de son enfant né en 2014. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, en l'absence de garanties que les autorités italiennes assureront des conditions d'accueil et de prise en charge spécifiques adaptées à la situation de particulière vulnérabilité D... C..., le préfet du Nord, en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et en refusant ainsi d'instruire en France la demande d'asile D... C..., a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et a également méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête D... C..., que le préfet du Nord, qui ne fait état d'aucun motif le plaçant en situation de compétence liée pour édicter l'arrêté de transfert litigieux, n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Lille par intérim a annulé l'arrêté du 12 mars 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation D... C... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser au conseil de l'intéressée, au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cas d'admission définitive de l'intéressée à l'aide juridictionnelle ou à son profit dans le cas.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C... en appel :
12. Eu égard au motif d'annulation retenu pour annuler l'arrêté du 12 mars 2024, le présent arrêt implique, pour son exécution, qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile D... C... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en conséquence dans un délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt.
Sur la requête n°24DA00912 :
13. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2402895 du 17 avril 2024 du président du tribunal administratif de Lille par intérim, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.
Sur les frais des instances :
14. Mme C... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances des espèces, sous réserve que Me Norbert Clément, avocat D... C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Clément de la somme de 1 800 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n°24DA00858 du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA00912 du préfet du Nord.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile D... C... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en conséquence dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Sous réserve que Me Clément, avocat D... C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier lui versera une somme de 1 800 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C..., au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord et à Me Norbert Clément.
Délibéré après l'audience publique du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA00858, 24DA00912 2