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22/10/2024 | FRANCE | N°24DA00855

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 22 octobre 2024, 24DA00855


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille :



- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à titre provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 14 mars 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de la remettre aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile ;

- d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiai

re, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à titre provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 14 mars 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de la remettre aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile ;

- d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;

- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, dans le cas où elle ne serait pas définitivement admise au bénéfice de cette aide, le versement à son profit de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2402716 du 17 avril 2024, le président du tribunal administratif de Lille par intérim a admis Mme D... à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1), a annulé l'arrêté du 14 mars 2024 (article 2), a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation de Mme D... (article 3), a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser au conseil de Mme D..., au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cas d'admission définitive de l'intéressée à l'aide juridictionnelle ou à son profit dans le cas contraire (article 4) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 5).

Procédures devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00855 le 2 mai 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour d'annuler le jugement du 17 avril 2024 en ses articles 2 à 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par Mme B... D....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;

- les moyens invoqués par Mme D... en première instance et tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits de l'Union européenne, de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2023, de l'article 21 de la directive 2013/32/UE du même jour, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, Mme B... D..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :

- de confirmer le jugement ;

- d'annuler l'arrêté du 14 mars 2024 ;

- d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile ;

- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, dans le cas où elle ne serait pas définitivement admise au bénéfice de cette aide, le versement à son profit de la somme de 1 800 euros TTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle renvoie à ses écritures de première instance et au jugement en ce qui concerne la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, l'article 21 de la directive 2013/33/UE du même jour ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Mme B... D... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juillet 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Par une ordonnance du 24 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juillet 2024.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité le préfet du Nord à produire des pièces, ce qu'il a fait le 10 septembre 2024.

II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00914 le 14 mai 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 17 avril 2024.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par Mme D... en première instance ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;

- les moyens invoqués par Mme D... en première instance et tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits de l'Union européenne, de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de l'article 21 de la directive 2013/32, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, Mme B... D..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :

- de rejeter la requête en sursis à exécution du jugement ;

- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros H.T., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, dans le cas où elle ne serait pas définitivement admise au bénéfice de cette aide, le versement à son profit de la somme de 1 800 euros TTC (1 500 euros HT) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas utile de faire droit à la demande de sursis à exécution, dès lors que le préfet sursoit de son propre chef à exécuter les décisions rendues par le tribunal dans l'attente de l'arrêt de la cour ;

- les recours du préfet ne peuvent pas prolonger le délai dans lequel les autorités françaises doivent exécuter l'arrêté de transfert ;

- les moyens soulevés par le préfet du Nord ne sont pas fondés ;

- elle se réfère à ses écritures en défense au fond.

Mme B... D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juillet 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Par une ordonnance du 24 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juillet 2024.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité le préfet du Nord à produire des pièces, ce qu'il a fait le 10 septembre 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Les rapports de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D..., ressortissante guinéenne née le 1er janvier 1995 à Conakry (Guinée) a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 24 novembre 2023. A la suite de cette demande, le préfet du Nord, constatant que les empreintes de l'intéressée avaient été enregistrées dans la base dactyloscopique centrale de données informatisées du système Eurodac en Espagne le 22 octobre 2023, a saisi le 18 décembre 2023, les autorités espagnoles, d'une demande de prise en charge de l'intéressée sur le fondement de l'article 13.1 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. L'Espagne a donné son accord explicite le 5 février 2024 à sa prise en charge. Par un arrêté du 14 mars 2024, le préfet du Nord a décidé de remettre Mme D... aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2402716 du 17 avril 2024, en tant que le président du tribunal administratif de Lille par intérim a annulé l'arrêté du 14 mars 2024 et a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation de Mme D....

Sur la requête n°24DA00855 :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figurent au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... D... a été reçue en entretien individuel le 24 novembre 2023 à la préfecture du Nord et qu'elle a signé le résumé de cet entretien. Ce résumé, s'il comporte la signature de la personne ayant mené l'entretien, ne contient aucune mention de son identité, même sommaire par des initiales, permettant de l'identifier. Il est cependant revêtu, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfet du Nord ", " D.I.I. Asile 3 ". A cet égard, l'administration fait valoir, pour la première fois en appel, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que l'entretien a été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif de Lille par intérim s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 14 mars 2024 prononçant le transfert de Mme D... aux autorités espagnoles, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... en première instance et en appel.

S'agissant des autres moyens :

Au titre de la légalité externe :

6. En premier lieu, eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté du 5 février 2024, publié le même jour au recueil n° 64 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à Mme C... A..., adjointe au chef du bureau de l'asile, à l'effet de signer, en particulier, notamment les décisions de transfert d'un étranger en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

8. En l'espèce, l'arrêté de transfert en litige mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que l'examen de la demande d'asile présentée devant elle relevait de la responsabilité d'un autre Etat membre. Il indique, notamment, que Mme D... est entrée irrégulièrement dans l'espace Schengen par l'Espagne, le 22 octobre 2023, avant d'arriver en France et que les autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ont accepté le 5 février 2024 sa prise en charge. Ces énonciations ont mis l'intéressée à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté comme manquant en fait.

Au titre de la légalité interne :

9. Contrairement à ce que prétend le préfet dans sa requête d'appel, il ne ressort pas des écritures de Mme D... que celle-ci se serait prévalue, en première instance comme en appel, des moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

10. Mme D... soutient, en revanche, que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et a entaché sa décision d'une méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 21 de la directive 2013/33/UE du même jour et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. D'une part, aux termes de l'article 21 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les (...) femmes enceintes (...) ". Aux termes de l'article 22 de la même directive, relatif à l'évaluation des besoins particuliers en matière d'accueil des personnes vulnérables : " 1. Aux fins de la mise en œuvre effective de l'article 21, les États membres évaluent si le demandeur est un demandeur qui a des besoins particuliers en matière d'accueil. Ils précisent en outre la nature de ces besoins (...) ".

12. L'article 21 précité de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, dont la méconnaissance est invoquée, impose seulement aux Etats de prendre en compte cette situation dans leur législation interne, et n'en fait pas un critère de vulnérabilité par elle-même.

13. D'autre part, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement Dublin III : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

14. Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".

15. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est entrée irrégulièrement en France le 5 novembre 2023, moins de cinq mois avant l'édiction de l'arrêté attaqué. Si elle fait état de la présence en France de son concubin, né en 1956 et également de nationalité guinéenne, celui-ci n'atteste l'héberger que depuis le 22 mars 2024, soit postérieurement à l'arrêté attaqué, et est actuellement en attente de l'examen de sa demande de renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle qui a expiré le 1er février 2024. Il est vrai que Mme D... établit être enceinte d'un enfant depuis le 12 décembre 2023. Cependant, si elle se prévaut de sa situation de vulnérabilité à cet égard, elle n'apporte aucun élément permettant d'établir que son état de grossesse, qui ne datait que de 4 mois à la date de l'arrêté attaqué, aurait présenté un quelconque caractère de gravité ou une vulnérabilité particulière faisant obstacle à son transfert en Espagne. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'a informé la préfecture de son état de grossesse que le 19 mars 2024, postérieurement à l'arrêté attaqué, et que son concubin n'a reconnu son enfant de manière anticipée que le 22 mars 2024, également postérieurement à l'arrêté attaqué.

16. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

17. Il suit de là que les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 mars 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de la remettre aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de procéder au réexamen de sa situation doivent être rejetées, de même que ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Lille par intérim a annulé l'arrêté du 14 mars 2024, a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation de Mme D... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser au conseil de l'intéressée, au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cas d'admission définitive de l'intéressée à l'aide juridictionnelle ou à son profit dans le cas contraire.

En ce qui concerne les conclusions présentées par Mme D... en appel :

19. En premier lieu, compte tenu du rejet de sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 mars 2024, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.

20. En second lieu, partie perdante dans l'instance, Mme D... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sur la requête n°24DA00914 :

21. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2402716 du 17 avril 2024 du président du tribunal administratif de Lille par intérim, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.

22. Pour les mêmes raisons que précédemment, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Mme D... présentée en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 avril 2024 du président du tribunal administratif de Lille par intérim est annulé en ses articles 2 à 4.

Article 2 : La demande de Mme B... D... présentée en première instance est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA00914 du préfet du Nord.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme D... à fin d'injonction dans la requête n° 22DA00855 et en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dans les deux instances sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et à Me Norbert Clément.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°24DA00855, 24DA00914 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00855
Date de la décision : 22/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : CLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-22;24da00855 ?
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