Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 5 février 2024 par lesquelles le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2401294-2401311 du 5 mars 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions, a enjoint au préfet du Nord de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son conseil, sous réserve de son admission définitive à l'aide juridictionnelle, et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 avril 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler ses décisions du 5 février 2024, le tribunal a retenu une atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2024, M. A..., représenté par Me Laporte, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par préfet du Nord ne sont pas fondés ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les stipulations du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux et particulier de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- le préfet s'est, à tort, estimé en état de compétence liée ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à sa durée dès lors que sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public.
M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. A..., ressortissant algérien né le 1er avril 2001, est entré en France le 25 août 2017 selon ses déclarations. Le 5 février 2024, il a été interpellé pour des faits de violences conjugales sur mineur et placé en garde à vue. Par deux arrêtés de ce même jour, le préfet du Nord, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être renvoyé et l'a interdit de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 5 mars 2024 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a annulé ces arrêtés.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Pour prononcer l'annulation des arrêtés du 5 février 2024, le tribunal administratif de Lille a retenu qu'en obligeant M. A... à quitter le territoire français, le préfet du Nord avait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Au soutien de ce moyen, M. A... fait valoir qu'il est entré régulièrement en France en 2017, où vit sa mère, de nationalité française, ainsi que ses trois sœurs, dont l'une est de nationalité française et les deux autres sont titulaires d'un titre de séjour, qu'il a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle en coiffure en 2020 et bénéficie, depuis le 16 janvier 2024, d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de coiffeur.
5. Toutefois, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale. En l'espèce, M. A..., entré en Italie le 25 août 2017 sous couvert d'un visa de court séjour, valable trente jours, délivré par les autorités grecques, n'établit pas avoir souscrit la déclaration d'entrée sur le territoire français prévue par l'article 22 de la convention d'application de l'accord de Schengen et l'article R. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et dès lors, ne justifie pas d'une entrée régulière en France, la production d'une carte d'embarquement étant, à cet égard, sans incidence.
6. M. A..., qui n'a pas cherché à régulariser sa situation administrative à sa majorité, ne pouvait ignorer qu'il était en situation irrégulière au regard de son droit au séjour lorsqu'il s'est installé en France et y a développé sa vie privée et familiale.
7. Alors même que sa mère et l'une de ses sœurs sont de nationalité française et qu'une autre de ses sœurs bénéficiait, à la date de la décision contestée, d'un titre de séjour, l'intéressé, célibataire et sans charge de famille, n'établit pas être dépourvu de toute attache privée ou familiale en Algérie, où vit notamment son père, avec lequel il ne justifie pas avoir rompu tout lien, et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de seize ans.
8. En outre, M. A... a été interpellé et placé en garde à vue pour des faits de violences sur sa compagne mineure, qu'il ne conteste pas en se bornant à indiquer, sans d'ailleurs le démontrer, avoir déposé une plainte à son encontre. La circonstance qu'il a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle en coiffure et qu'il travaillait, au demeurant irrégulièrement, en qualité de coiffeur ne suffisent pas à caractériser une intégration particulière dans la société française.
9. Dès lors, eu égard notamment à la durée et aux conditions de séjour en France de M. A..., le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a considéré que la décision d'éloignement du 5 février 2024 a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a ainsi méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... devant le tribunal administratif de Lille et la cour.
Sur les autres moyens soulevés M. A... :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
12. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord n'ait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. A... avant de prendre la décision d'éloignement attaquée.
13. En troisième lieu, M. B... se prévaut, au soutien de ses moyens tirés de ce que les stipulations du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien faisaient obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur sa vie personnelle, des mêmes arguments que ceux qui ont été précédemment exposés et ces moyens doivent donc être écartés pour les motifs mentionnés ci-dessus.
En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :
14. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...) ".
15. La décision attaquée, qui vise les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne, notamment, que M. A..., d'une part, ne justifie pas être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité de titre de séjour, et, d'autre part, qu'il n'a pas présenté au cours de sa garde à vue de documents d'identité ou de voyage en cours de validité. Cette décision comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent et est, dès lors, suffisamment motivée.
16. En second lieu, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas établie, le moyen tiré de ce que la décision portant refus de délai de départ volontaire serait, par voie de conséquence, illégale doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
17. En premier lieu, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
18. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision fixant le pays de destination par voie de conséquence de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
19. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord n'ait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. A... avant de prendre la décision d'éloignement attaquée.
20. En dernier lieu, M. B... se prévaut, au soutien de ses moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur sa vie personnelle, des mêmes arguments que ceux qui ont été précédemment exposés et ces moyens doivent donc être écartés pour les motifs mentionnés ci-dessus.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :
21. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
22. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
23. Les motifs de l'arrêté contesté attestent de la prise en compte par le préfet du Nord, au vu de la situation de M. A..., de l'ensemble des critères prévus par les dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour prononcer, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
24. En troisième lieu, si M. A... fait valoir que le préfet ne justifie pas de la commission d'une infraction liée à un port d'arme prohibé dont il est fait état, il résulte de l'instruction que le préfet du Nord aurait pris la même décision s'il n'avait pas retenu ce motif et s'il s'était fondé sur les seules circonstances tirées de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de ce que l'intéressé est célibataire et sans enfant, et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français en raison des faits, non contestés, de violences conjugales sur mineure. Par suite, c'est à bon droit que le préfet du Nord, qui ne s'est pas estimé en situation de compétence liée, a pu fixer à deux ans la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre.
25. En dernier lieu, l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans prononcée à l'encontre de M. A... ne peut être regardée, pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, comme ayant porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
26. En premier lieu, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
27. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision l'assignant à résidence par voie de conséquence de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
28. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord n'ait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. A... avant de prendre la décision attaquée.
29. En dernier lieu, M. A... n'apporte aucun élément de nature à démontrer que les mesures prononcées d'assignation à résidence et de présentation trois fois par semaine au commissariat d'Armentières, où réside l'intéressé, ne seraient pas adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités qu'elles poursuivent.
30. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés du 5 février 2024, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des frais liés au litige.
31. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté, celles aux fins d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2401294-2401311 du 5 mars 2024 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord, à M. D... A... et à Me Sylvie Laporte.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. C...La greffière,
Signé : S. Cardot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Sophie Cardot
2
N°24DA00691