Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 décembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, le tout dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 2400289 du 9 avril 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 5 décembre 2023 du préfet de la Seine-Maritime et enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 24 avril 2024 sous le n° 24DA00785, le préfet de
la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler son arrêté du 5 décembre 2023, les premiers juges ont retenu que M. B... justifiait d'une activité salariée continue depuis plus de trente mois en France durant les années précédant sa demande de titre de séjour ;
- la durée de séjour durant laquelle il aurait travaillé, n'a par ailleurs été rendue possible que par son maintien irrégulier sur le territoire français après le rejet de sa demande d'asile et il ne justifie dès lors pas d'une intégration professionnelle justifiant son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- pour les motifs exposés dans les écritures produites en première instance, les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2024, M. B..., représenté par Me Bidault, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2023 du préfet de
la Seine-Maritime et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Maritime ne sont pas fondés.
II - Par une requête enregistrée le 24 avril 2024 sous le n° 24DA00786, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution du jugement n° 2400289 du tribunal administratif de Rouen du 9 avril 2024, dans l'attente que la cour se prononce sur le fond de l'affaire.
Il soutient que ses moyens d'appel sont sérieux et de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué.
Par une ordonnance du 22 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée, dans les deux affaires, au 2 septembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant russe né le 28 septembre 1997, déclare être entré en France le 30 décembre 2018, sous couvert d'un visa de court séjour. Il a déposé une demande d'asile, rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 3 avril 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 22 octobre 2021. M. B... ne disposant plus du droit de se maintenir sur le territoire français, en application des dispositions de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Maritime a pris à son encontre un arrêté du 5 août 2022 l'obligeant à quitter le territoire français, mesure à laquelle l'intéressé ne s'est pas conformé. Par une demande déposée le 10 octobre 2023, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour " salarié " sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 décembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 9 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé ces décisions et lui a fait injonction de délivrer à M. B... une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", et demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement dans l'attente que la cour statue sur le fond.
2. Les requêtes n° 24DA00785 et n° 24DA00786 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :
3. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté du 5 décembre 2023 du préfet de la Seine-Maritime au motif d'une méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur la circonstance qu'au regard de son insertion professionnelle, suffisamment établie par les pièces du dossier, le requérant justifie de motifs exceptionnels au sens de ces dispositions.
4. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 ". En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat lui permettant d'exercer une activité, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là même, de motifs exceptionnels exigés par la loi.
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'entré en France en décembre 2018, M. B... a ensuite été admis à y séjourner durant le temps nécessaire à l'examen de sa demande d'asile, définitivement rejetée par la CNDA le 22 octobre 2021. Si, dans l'attente de l'issue de sa demande, il a pu régulièrement exercer une activité professionnelle en qualité de préparateur automobile, ni la durée d'exercice de cette activité professionnelle, qui a au demeurant perduré au-delà de son droit à se maintenir sur le territoire français et en dépit d'une mesure d'éloignement édictée le 5 août 2022 à laquelle il n'a pas déféré, ni l'occupation d'un tel emploi, fut-ce à la satisfaction de son employeur qui lui a délivré une promesse d'embauche dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, ne constituent un motif exceptionnel permettant d'envisager la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".
6. D'autre part, en ce qui concerne son insertion en France depuis son entrée à la fin de l'année 2018, M. B... ne livre aucun élément précis sur les liens amicaux, sociaux, ou associatifs qu'il aurait noués, se prévalant uniquement d'un hébergement chez un ami et d'un témoignage émanant d'un collègue de travail, attestant sommairement de sa sociabilité et de son sérieux. Enfin, alors qu'il est célibataire et sans charge de famille en France, M. B... ne fait état d'aucune circonstance particulière faisant obstacle à ce qu'il poursuive sa vie en Russie où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-et-un ans.
7. Compte tenu de ces éléments, les pièces du dossier n'établissent pas l'existence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels qui justifieraient une admission exceptionnelle au séjour de M. B... en France. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 5 décembre 2023 refusant à M. B... un titre de séjour au motif d'une méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
9. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les textes dont il fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". En outre, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que, eu égard aux conditions du séjour de M. B... sur le territoire français où il ne justifie d'aucun lien personnel et familial, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale au regard du but poursuivi par un refus de séjour. Par suite, les moyens tirés d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
12. En dernier lieu, compte tenu de ce qui vient d'être dit, le moyen tiré d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'un refus de séjour sur la situation de M. B... doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 12 que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision refusant un titre de séjour, ne peut qu'être écarté.
14. En second lieu, compte tenu de ce qui a été énoncé aux points 11 et 12, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
15. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 5 décembre 2023 et lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".
17. Par voie de conséquence, la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen doit être rejetée, de même que ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
18. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 9 avril 2024. Par suite, les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime enregistrée sous le n° 24DA00786 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet de la Seine-Maritime tendant au sursis à exécution du jugement du 9 avril 2024 du tribunal administratif de Rouen.
Article 2 : Le jugement n° 2400289 du 9 avril 2024 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen et les conclusions qu'il présente en appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : F. MalfoyLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
Nos24DA00785, 24DA00786 2