Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé son pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n°2300952 du 24 novembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 février 2024, M. A..., représenté par Me Pereira, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 novembre 2023 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 14 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un certificat de résidence ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser à Me Pereira, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A... doit être regardé comme soutenant que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale dès lors que le préfet de la Seine-Saint-Denis a considéré à tort que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public,
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il démontre avoir déposé auprès de la préfecture de la Somme des demandes de titre de séjour,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision refusant de lui accordant un délai de départ volontaire :
- elle est illégale dès lors que le préfet de la Seine-Saint-Denis a considéré à tort que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public,
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il démontre avoir déposé auprès de la préfecture de la Somme des demandes de titre de séjour.
En ce qui concerne la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens du requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 27 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 juillet 2024.
Par une décision du 30 janvier 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Thulard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 28 novembre 1988 à Boghni (Algérie), est entré en France, selon ses déclarations, au cours de l'année 2018. Par des pièces produites pour la première fois en appel, il justifie être marié avec une ressortissante française depuis le 4 septembre 2021. Par un arrêté du 14 mars 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé son pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.
2. M. A... a demandé l'annulation de cet arrêté au magistrat désigné du tribunal administratif d'Amiens qui, par un jugement n°2300952 du 24 novembre 2023, a rejeté sa demande. M. A... interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans ses dispositions alors applicables : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) / 7° Si le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / (...). ".
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la rédaction de l'arrêté du 14 mars 2023 litigieux, que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne s'est pas fondé sur les dispositions précitées du 7° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obliger M. A... à quitter le territoire français mais sur celles de son 1°. Dans ces conditions, l'appelant ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de cette décision de l'erreur qu'aurait selon lui commise l'administration dans l'appréciation de son comportement au regard de l'ordre public.
5. En deuxième lieu, et ainsi qu'il vient d'être dit, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé pour prononcer l'éloignement de M. A... sur les dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après avoir considéré à raison qu'il ne justifiait pas être entré régulièrement en France et qu'il n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. En particulier, la circonstance que M. A... ait déposé au 1er trimestre 2022 une demande de certificat de résidence en qualité de conjoint de ressortissante française est sans incidence sur l'applicabilité de ces dispositions dès lors que cette demande avait été implicitement rejetée à la date du 14 mars 2023 et que l'intéressé ne se prévaut pas, par la voie de l'exception, de l'illégalité de ce refus de titre. Il en résulte que le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français contestée serait entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle indique que M. A... n'aurait pas entrepris de démarche afin de régulariser sa situation au regard de la législation relative au séjour des étrangers doit être écarté.
6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. En l'espèce, M. A... ne démontre par aucune pièce avoir été présent en France antérieurement au 29 juillet 2021, date à laquelle une première décision d'éloignement lui a été notifiée par le préfet de la Seine-Saint-Denis. Il était ainsi présent en France à la date de la décision contestée que depuis moins de deux ans et avait acquis cette durée de séjour par la méconnaissance de l'obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire français. Il ne démontre pas être dépourvu de liens en Algérie. Il n'a déclaré aucun revenu auprès des services fiscaux et a fait valoir être sans profession lors de son audition par les forces de l'ordre le 14 mars 2023. Il ne justifie ainsi d'aucune intégration professionnelle, ni au demeurant d'aucun lien privé notable en France. S'il est vrai qu'il démontre pour la première fois en appel avoir épousé une ressortissante française le 4 septembre 2021, leur union demeurait très récente à la date de la décision attaquée. Le couple est par ailleurs sans enfant et aucune pièce au dossier ne permet d'établir que M. A... serait particulièrement investi dans l'éducation de sa belle-fille de nationalité française, sur laquelle son épouse dispose d'un droit de garde et d'hébergement. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale.
8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander au tribunal l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français.
En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :
9. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans ses dispositions alors applicables : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; / (...). ".
10. Il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté par l'appelant, premièrement, que ce dernier avait fait l'objet le 29 juillet 2021 d'une précédente décision d'éloignement qu'il n'avait pas contestée, et, deuxièmement, qu'il était dépourvu d'un document d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il avait refusé de donner son adresse lors de son audition par les forces de l'ordre le 14 mars 2023, et, enfin, qu'il avait alors transmis des renseignements erronés en précisant à tort qu'il n'avait jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Dans ces conditions, M. A... relevait, ainsi que l'a estimé à raison le préfet de la Seine-Saint-Denis dans son arrêté contesté, des dispositions des d) et f) du 3° du II de l'article L. 511-1. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision de refus d'octroi de délai volontaire s'il ne s'était fondé que sur ces seuls motifs. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'illégalité du refus de délai de départ volontaire contesté dès lors que le comportement de l'appelant ne constituerait pas une menace à l'ordre public et qu'il avait sollicité la délivrance d'un titre de séjour au 1er trimestre 2022 ne peuvent être qu'écartés.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander au tribunal l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire.
12. Il doit en être de même de ses conclusions à fin d'annulation de la décision fixant son pays de destination dès lors que celles-ci sont dépourvues de tout moyen propre.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de 36 mois :
13. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans ses dispositions alors applicables : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
14. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... était présent en France depuis presque deux ans à la date de la décision contestée. Son épouse de nationalité française est présente en France et il peut à ce titre, sous la seule réserve d'une entrée régulière en France, voir dans un proche avenir sa situation au regard du droit au séjour régularisée sur le fondement des stipulations du 2° de l'article 6 de l'accord franco-algérien modifié susvisé. Par ailleurs, si l'intéressé a été signalé le 29 juillet 2021 pour des faits de mise en danger d'autrui, risque immédiat de mort ou d'infirmité par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence, il a explicitement nié dans ses écritures la réalité des faits qui lui ont été reprochés et qui n'ont donné lieu à aucune poursuite ni condamnation. La seule circonstance qu'il ait été interpellé le 14 mars 2023 pour des faits de travail non-déclaré ne saurait dans ces conditions et à elle seule caractériser une menace à l'ordre public. Dans ces conditions, quand bien même l'intéressé avait déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement qu'il n'avait pas volontairement exécutée, le préfet de la Seine-Saint-Denis a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées en fixant au maximum légal de trois ans la durée de l'interdiction faite à M. A... de retourner sur le territoire français.
15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête dirigée contre cette interdiction, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
16. Eu égard au à l'étendue de l'annulation qu'il prononce et aux motifs qui le fondent, le présent jugement n'implique pas qu'il soit enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... un certificat de résidence, si bien qu'il y a lieu de rejeter ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.
Sur les frais de l'instance :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A... présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 14 mars 2023 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a interdit à M. A... de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans est annulée.
Article 2 : L'article 1er du jugement du 24 novembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Pereira et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
2
N°24DA00280