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10/10/2024 | FRANCE | N°22DA02562

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 10 octobre 2024, 22DA02562


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'Office national des forêts (ONF) a demandé au tribunal administratif de Lille :



- de condamner le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL) à lui verser, d'une part, la somme de 5 220 euros par an à compter du 5 janvier 2018 au titre de ses pertes de revenus pour l'occupation irrégulière du domaine dont il assure la gestion et, d'autre part, la somme de 194 704 euros au titre de ses pertes d'exploitation f

orestière ;



- de mettre à la charge du SYMSAGEL la somme de 5 000 euros au titre de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national des forêts (ONF) a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de condamner le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL) à lui verser, d'une part, la somme de 5 220 euros par an à compter du 5 janvier 2018 au titre de ses pertes de revenus pour l'occupation irrégulière du domaine dont il assure la gestion et, d'autre part, la somme de 194 704 euros au titre de ses pertes d'exploitation forestière ;

- de mettre à la charge du SYMSAGEL la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1908580 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de l'ONF relatives à l'indemnisation des pertes de revenus pour l'occupation irrégulière du domaine privé comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître (article 1), a rejeté le surplus de ses conclusions (article 2) et a mis à la charge de l'ONF la somme de 1 500 euros à verser au SYMSAGEL au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 21 décembre 2023, l'office national des forêts (ONF), représenté par Me Sébastien Mabile et Me Lauren Philippe, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL) à lui verser, d'une part, la somme de 5 220 euros par an à compter du 5 janvier 2018 au titre de ses pertes de revenus pour l'occupation irrégulière du domaine dont il assure la gestion et, d'autre part, la somme de 194 704 euros au titre de ses pertes d'exploitation forestière ;

3°) de mettre à la charge du SYMSAGEL la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier : d'une part, la réponse à ses conclusions relatives à l'indemnisation de ses pertes d'exploitation forestière est insuffisamment motivée ; d'autre part, c'est à tort que le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître de ses conclusions relatives à l'indemnisation de ses pertes de revenus résultant de l'occupation sans droit ni titre d'une partie de la forêt domaniale dont il assure la gestion ;

- le SYMSAGEL a commis une faute en rompant abusivement les pourparlers engagés en vue de la conclusion d'une convention d'occupation de la forêt domaniale ;

- le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation des faits en estimant que son préjudice est éventuel, alors que la survenance des inondations est certaine et que l'exploitation forestière est irrémédiablement compromise sur la parcelle du fait de ses submersions successives et des espèces faiblement résistantes à l'ennoiement qui s'y trouvent ;

- il s'approprie les moyens qu'il a soulevés en première instance ;

- il est fondé à engager la responsabilité sans faute du SYMSAGEL au motif du fonctionnement des bacs de rétention, qui constituent un ouvrage public auquel il est tiers, et à demander l'indemnisation du préjudice anormal et spécial résultant de ses pertes d'exploitation, évaluées à 194 704 euros, liées à l'arrêt contraint de l'exploitation du casier sur lequel a été aménagée la zone d'expansion des crues.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 avril 2023 et 10 janvier 2024, le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL), représenté par la SCP Manuel Gros, Héloïse Hicter et Audrey d'Halluin, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'ONF de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 15 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Par une lettre du 16 septembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que l'incorporation au domaine public de la partie du casier forestier BAm7 aménagée en zone d'expansion des crues rend la juridiction administrative compétente pour connaître des demandes indemnitaires portant sur l'occupation de ce domaine.

L'ONF, représenté par Me Sébastien Mabile et Me Lauren Philippe, a présenté ses observations sur ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 20 septembre 2024.

Le SYMSAGEL, représenté par la SCP Manuel Gros, Héloïse Hicter et Audrey d'Halluin, a présenté ses observations sur ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 20 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 et le bloc de constitutionnalité ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code forestier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,

- et les observations de Me Lauren Philippe, représentant l'ONF et de Me Audrey D'Halluin, représentant le SYMSAGEL.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du programme d'actions de prévention des inondations, le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL) a proposé la réalisation d'une zone d'expansion des crues (ZEC) au sein de la forêt domaniale de la Nieppe, afin de retenir les eaux dans des casiers de rétention hydraulique situés en amont et d'éviter les inondations résultant du débordement du canal de Nieppe sur les habitations situées en aval, notamment dans les communes de Morbecque et de Steenbecque. Par un arrêté du 16 octobre 2017, le préfet du Nord a autorisé la réalisation de cette ZEC au titre de la loi sur l'eau et par une décision du 5 janvier 2018, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a autorisé l'occupation anticipée de plusieurs parcelles de la forêt domaniale de Nieppe nécessaires à la création d'un bassin de surstockage d'eau, sous réserve de la conclusion d'une convention d'occupation de longue durée. Les travaux réalisés ont été réceptionnés le 28 février 2018, sans que la convention ne soit signée. Par un courrier du 5 juin 2019, l'ONF a présenté au SYMSAGEL, en vain, une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices résultant, d'une part, de l'occupation irrégulière du domaine privé forestier de l'Etat, d'autre part, de l'existence et du fonctionnement des ouvrages publics réalisés. Par la présente requête, l'ONF demande l'annulation du jugement n° 1908580 du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du syndicat à lui verser, d'une part, la somme de 5 220 euros par an à compter du 5 janvier 2018 au titre de ses pertes de revenus pour l'occupation irrégulière du domaine forestier comme portées devant une juridiction incompétence pour en connaître (article 1) et, d'autre part, la somme de 194 704 euros au titre de ses pertes d'exploitation forestière (article 2).

Sur la régularité du jugement :

En ce qui concerne le défaut de motivation :

2. Aux termes de l'article L.9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le juge doit ainsi se prononcer, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties.

3. Il ressort de la motivation développée par le jugement attaqué aux points 6 et 7 que les premiers juges ont suffisamment répondu au moyen de l'ONF tenant au caractère certain du préjudice causé par ses pertes d'exploitation forestière, en considérant que l'ampleur des inondations ne pouvait pas être déterminée et que l'absence d'exploitation forestière sur l'intégralité des parcelles quelle que soit l'essence plantée ne pouvait pas être établie. Si l'ONF fait valoir que le tribunal n'a pas exposé les raisons qui l'ont conduit à ne pas regarder comme suffisants les éléments qu'il a produits, cette circonstance est sans incidence sur la régularité du jugement et relève de son bien-fondé. Par suite, et alors même que le tribunal administratif de Lille n'aurait pas fait état de l'ensemble des pièces produites par l'ONF pour démontrer que l'exploitation forestière était irrémédiablement compromise sur les parcelles occupées, l'ONF n'est pas fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Lille serait insuffisamment motivé sur ce point.

En ce qui concerne le rejet partiel de la requête pour incompétence de la juridiction administrative :

4. L'ONF soutient que ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du SYMSAGEL du fait de l'occupation irrégulière du domaine forestier qu'il gère pour le compte de l'Etat relèvent de la compétence de la juridiction administrative.

5. Aux termes de l'article L.2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L.1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. ". Aux termes de l'article L. 2212-1 du même code : " Font également partie du domaine privé : / (...) / 2° Les bois et forêts des personnes publiques relevant du régime forestier ". Aux termes de l'article L.211-1 du code forestier : " I. - Relèvent du régime forestier, constitué des dispositions du présent livre, et sont administrés conformément à celui-ci : / 1° Les bois et forêts qui appartiennent à l'Etat (...) ". Aux termes de l'article L.221-2 de ce code : " L'Office national des forêts est chargé de la mise en œuvre du régime forestier (...). / Il est également chargé de la gestion et de l'équipement des bois et forêts mentionnés au 1° du I de l'article L. 211-1. ". Aux termes de l'article L.221-1 du même code : " L'Office national des forêts est un établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l'Etat. ".

6. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes à valeur constitutionnelle. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que, par un arrêté interdépartemental en date du 22 décembre 2000, les préfets du Nord et du Pas-de-Calais ont créé le syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys (SYMSAGEL) qui a été labellisé par un arrêté du 28 décembre 2009 " établissement public territorial de bassin ", au sens de l'article L.213-12 du code de l'environnement. Aux termes de l'article 3 de ses statuts, il a notamment pour missions de " faciliter, à l'échelle du bassin de la Lys, la prévention des inondations, la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ainsi que la préservation, la gestion et la restauration de la biodiversité des écosystèmes aquatiques et des zones humides. ". Il résulte de l'instruction que la création d'une ZEC sur plusieurs parcelles du domaine privé de l'ONF a été décidée dans le cadre du programme d'actions de prévention des inondations de la Lys et vise à préserver plus de 300 habitations contre ce risque naturel. Ces parcelles ont donc été affectées à une mission de service public administratif.

8. L'affectation de ces parcelles à une mission de service public administratif s'est accompagnée de la réalisation de plusieurs d'ouvrages, précisément décrits dans l'arrêté préfectoral du 16 octobre 2017, consistant, d'une part, en des ouvrages hydrauliques comprenant un ouvrage de délestage et de restitution rapide, un ouvrage de vidange, une fosse de dissipation et un fossé de liaison et de piégeage entre la fosse de dissipation et l'ouvrage de vidange, d'autre part, en des ouvrages de protection contre le débordement des eaux sur l'ensemble du casier BAM7 ou sur les casiers limitrophes, consistant en une digue, des merlons et un chemin d'exploitation surélevé. Ces ouvrages constituent ainsi des aménagements indispensables à l'exercice de la mission de service public pour laquelle la ZEC a été réalisée. Par l'effet de leur aménagement et de leur affectation à la mission de service public administratif de prévention des inondations et de protection de la population civile, les ouvrages ainsi créés au sein de la forêt domaniale de la Nieppe ont la qualité d'ouvrages publics.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'ONF et le SYMSAGEL, s'ils ont établi chacun un projet de convention d'occupation du casier BAM7 de la forêt domaniale de la Nieppe, ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur la signature d'une convention d'occupation par le syndicat mixte du domaine public. En dépit de l'autorisation accordée au SYMSAGEL par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation pour l'occupation anticipée des parcelles constituant le casier BAM7, le défaut de conclusion d'une convention d'occupation de ces parcelles rend le syndicat mixte occupant sans droit ni titre de celles-ci. Dans ces conditions, l'atteinte à la propriété de l'Etat est constituée et l'ONF, qui gère les bois et forêts appartenant à l'Etat en vertu des articles L. 221-1 et suivants du code forestier, est recevable à rechercher devant le juge administratif l'indemnisation des préjudices subis du fait de la présence irrégulière de ces ouvrages.

10. Il ressort des écritures de l'ONF que ses conclusions tendent, notamment, à faire constater le caractère irrégulier de l'implantation par le SYMSAGEL d'ouvrages publics sur les terrains forestier et à faire condamner ce dernier à l'indemniser du préjudice qui lui a été causé par cette atteinte à la propriété de l'État dont il a la gestion. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'atteinte au domaine forestier de l'Etat est constituée. Ainsi, la juridiction administrative est compétente pour statuer sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices subis du fait de la présence irrégulière de ces ouvrages sur le domaine privé de l'Etat dont l'ONF a la charge.

11. Par suite, l'ONF est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du SYMSAGEL du fait de l'occupation irrégulière du domaine privé forestier qu'il gère pour le compte de l'Etat. L'ONF est ainsi fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Lille est irrégulier en tant qu'il a décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître de ces conclusions.

12. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par l'ONF devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du SYMSAGEL du fait de l'occupation irrégulière du domaine forestier.

Sur les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du SYSMAGEL pour occupation irrégulière du domaine privé forestier :

13. L'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine privé d'une collectivité publique ou d'un établissement public constitue une faute commise par l'occupant irrégulier. La collectivité ou l'établissement est fondé à réclamer à l'occupant sans titre de son domaine privé, au titre de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période.

14. Il résulte de l'instruction que l'occupation sans droit ni titre par le SYMSAGEL du domaine privé formé par le casier BAM7 au sein de la forêt domaniale de la Nieppe fonde le droit de l'ONF qui gère ce domaine à réclamer au syndicat, à raison de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier.

15. Le syndicat fait valoir que l'ONF a commis une faute exonératoire de responsabilité, d'une part, en refusant de conclure une convention d'occupation, d'autre part, en se substituant à l'administration des domaines, seule compétente pour conclure une telle convention, enfin en lui imposant des conditions financières inacceptables. Toutefois, d'une part, l'absence d'une telle convention ne résulte pas, ainsi qu'il a été dit précédemment, d'un refus de principe du gestionnaire mais d'un désaccord entre l'office et le syndicat sur les effets de la convention en matière de droits réels et sur ses conditions tarifaires. D'autre part, le SYMSAGEL n'établit pas que les conditions financières proposées par l'ONF ne correspondraient pas à celles pratiquées habituellement par l'ONF pour l'occupation de parcelles de son domaine privé d'une superficie équivalente et pour des besoins similaires. Enfin, si une convention domaniale autorisant la construction d'ouvrages sur le domaine forestier, qui sont constitutifs de droits réels, ne peut être conclue que par " l'administration chargée des domaines ", en vertu des articles R. 2222-36 du code général de la propriété des personnes publiques et D. 221-3 du code forestier, ces articles précisent que cette administration agit " pour le compte de l'office " et que le directeur départemental des finances publiques fixe les conditions tarifaires " sur proposition du représentant de l'office ". L'absence de conclusion d'une convention d'occupation ne saurait donc être imputée à l'ONF et constituer une cause exonératoire de responsabilité pour le SYSMAGEL.

16. En l'espèce, l'occupation du domaine n'a été acceptée par l'État qu'à titre temporaire et en urgence le 5 janvier 2018, sous réserve de la conclusion d'une convention d'occupation de longue durée. En l'absence de conclusion d'une telle convention, l'occupation domaniale doit être regardée comme irrégulière depuis le 5 janvier 2018. L'ONF limite sa demande indemnitaire à la surface occupée par les ouvrages de la ZEC, soit 0,9 hectare et se réfère à la grille tarifaire de 2011 dont le SYMSAGEL ne critique pas utilement la pertinence, en se bornant à faire valoir que l'application de ce tarif obère l'équilibre financier de l'opération et son éligibilité à diverses subventions publiques. Si cette grille n'institue pas une indemnité pour le cas de la création d'ouvrages hydrauliques ou de protection, elle prévoit que l'occupation " permanente " " à titre public " d'un terrain d'une superficie de 0,9 hectare, situé hors zone urbaine ou périurbaine, soit facturée 0,58 euros par an et par m², ce qui représente, hors frais de dossier, une indemnité annuelle de 5 220 euros pour une emprise de 0,9 hectare.

17. En l'absence de disproportion manifeste dans le montant de l'indemnité réclamée, il y a lieu de condamner le SYMSAGEL à verser à l'ONF une indemnité couvrant l'ensemble des revenus domaniaux dus à compter du 5 janvier 2018 jusqu'au 30 septembre 2024, soit une indemnité totale de 35 235 euros.

18. Pour la période postérieure, compte tenu de la durée prévue pour l'exécution du projet de convention d'occupation préparée par l'ONF et de la durée corrélative prévisible de présence des ouvrages publics implantés par le SYMSAGEL sur le domaine privé forestier, le préjudice est suffisamment certain pour que l'ONF puisse prétendre à une indemnité pour l'occupation irrégulière de son domaine après le 30 septembre 2024. Par suite, il y a lieu de condamner le SYMSAGEL à verser à l'ONF une somme de 5 220 euros par an, sous réserve que l'occupation du casier BAM7 par le syndicat se poursuive dans les mêmes conditions.

19. Il appartient à la cour, saisie du reste du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres conclusions indemnitaires formées par l'ONF en première instance et en appel.

Sur les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du SYMSAGEL pour absence de conclusion d'une convention d'occupation du domaine public :

20. Il ne résulte pas de l'instruction que le défaut de conclusion d'une convention d'occupation du domaine public caractérise une faute du SYMSAGEL distincte de celle consistant à occuper irrégulièrement le domaine public, à raison de laquelle le présent arrêt condamne, au point précédent, le syndicat mixte à indemniser l'ONF. Par suite, l'ONF n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du SYMSAGEL pour absence de conclusion d'une convention d'occupation du domaine public.

Sur les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute du SYMSAGEL :

21. D'une part, le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

22. D'autre part, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de continuer à exploiter une parcelle forestière du fait de la présence d'un casier de rétention hydraulique revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si l'appelant justifie de circonstances particulières permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain.

23. Il résulte de l'instruction que les ouvrages implantés dans la forêt de la Nieppe sur le casier BAM7 n'ont pas été construits pour les besoins de l'exploitation forestière de ce casier, mais pour les besoins de la mission de prévention des inondations et de protection de la population civile incombant au SYMSAGEL. En tant que tiers par rapport à ces ouvrages, l'ONF peut valablement rechercher la responsabilité du syndicat, même en l'absence de faute, à raison des dommages causés à l'office tant en raison de l'existence que du fonctionnement de ces ouvrages. Dès lors que le risque d'inondation s'est déjà réalisé à plusieurs reprises, il apparaît inhérent au fonctionnement même des ouvrages en cause. Il appartient donc à l'ONF de démontrer le caractère grave et spécial des dommages qu'il invoque, pour peu qu'ils soient certains.

24. Il résulte des modélisations, non sérieusement contestées, de l'étude hydraulique réalisée en décembre 2014 par le cabinet Verdi que la durée de submersion du casier serait de 24 heures en cas de crue vicennale d'été, de 30 heures en cas de crue cinquantennale d'été, de 36 heures en cas de crue centennale d'été et d'environ 7 jours (174 heures) en cas de crue centennale d'hiver. En outre, le syndicat affirme, sans être contesté, que le casier aurait été immergé trois fois seulement en 2013 et 2014, à chaque fois pour une durée inférieure à 36 heures, tandis qu'il résulte de l'instruction que l'immersion de la ZEC lors des épisodes pluvieux intenses survenus les 14 janvier 2021 et 28 novembre 2021 a duré moins de 24 heures.

25. Si les submersions répétées, quoique brèves, du casier sont avérées, l'ONF ne produit pas d'élément précis et circonstancié sur leurs effets néfastes sur son potentiel forestier. D'une part, il ne fait état que d'une documentation générale sur les contraintes que cause un excès d'eau pour les racines de certaines espèces d'arbres. D'autre part, il ne démontre pas que, depuis la mise en fonctionnement des ouvrages, les arbres existants sur le casier auraient été dégradés ou que leur potentiel forestier aurait été diminué ou le serait à court ou moyen terme, pas plus qu'il ne démontre qu'après l'arrivée à maturité des arbres existants et leur abattage, les parcelles ne pourraient pas être replantées, notamment par des espèces plus résistantes aux zones humides. Enfin, la consignation de 200 000 euros imposée au SYMSAGEL ne vaut pas reconnaissance de la réalité des pertes d'exploitation forestière de l'ONF et de sa responsabilité à cet égard. Compte tenu du caractère non certain des pertes d'exploitation forestière dont il fait état, l'ONF n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation de ses pertes d'exploitation forestière.

Sur les frais liés au litige :

26. Partie perdante à l'instance, le SYMSAGEL ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

27. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'ONF sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n°1908580 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : Le SYMSAGEL est condamné à verser à l'ONF une indemnité de 35 235 euros au titre des pertes de revenus domaniaux de janvier 2018 à septembre 2024.

Article 3 : Sous réserve de l'absence de changement des conditions d'occupation par le SYMSAGEL du casier BAM7, le SYMSAGEL est condamné à verser pour l'avenir, une somme annuelle de 5 220 euros à l'ONF au titre de l'indemnisation de ses pertes de revenus domaniaux.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'ONF est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par le SYMSAGEL en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national des forêts et au syndicat mixte pour le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la Lys.

Délibéré après l'audience publique du 26 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA02562 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02562
Date de la décision : 10/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : MANUEL GROS, HÉLOÏSE HICTER & ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-10;22da02562 ?
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