Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 28 juillet 2022, 11 octobre 2022 et 28 août 2023, la société ENERTRAG AISNE XI SCS, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2.2 de l'arrêté du préfet de l'Aisne en date du 1er juin 2022 en tant qu'il lui refuse l'autorisation de construire et d'exploiter l'aérogénérateur V7 ;
2°) à titre principal, de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée relativement à l'aérogénérateur V7, ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de lui délivrer cette autorisation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou, enfin, à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de réexaminer sa demande d'autorisation environnementale relativement à la construction et à l'exploitation de l'aérogénérateur V7 dans les mêmes conditions de délais et d'astreinte ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société requérante soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée,
- elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors qu'aucun effet de surplomb ou de saturation visuelle propre à l'aérogénérateur V7 n'est induit par le projet,
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation de l'atteinte portée par l'aérogénérateur V7 aux paysages et aux monuments, notamment l'église de Ly-Fontaine,
- le motif tiré de l'absence de respect de la séquence " éviter, réduire, compenser " en ce qu'elle aurait compensé et non réduit certaines des atteintes aux intérêts protégés par le législateur est entachée d'une erreur de droit,
- le motif lié à la sécurité des usagers de la RD n°34, dont le préfet demande à ce qu'il soit substitué aux motifs initiaux de la décision attaquée, n'est pas fondé, si bien que cette demande en défense doit être écartée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2023, le préfet de l'Aisne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés,
- son refus est également justifié par un autre motif tenant à la dangerosité de l'aérogénérateur V7 pour les usagers de la route départementale n°34 en cas d'effondrement ou de projections.
Par ordonnance du 14 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Boenec pour la société ENERTRAG AISNE XI SCS.
Une note en délibéré, présentée pour la société ENERTRAG AISNE XI SCS par
Me Guiheux, a été enregistrée le 30 septembre 2024 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. La société ENERTRAG AISNE XI SCS a déposé le 7 août 2018 une demande d'autorisation environnementale en vue de construire et exploiter un parc éolien dénommé " Parc de la vallée de Moÿ ", composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison implantés sur le territoire des communes de Ly-Fontaine et de Benay. Par un arrêté du 1er juin 2022, le préfet de l'Aisne a délivré l'autorisation sollicitée pour les aérogénérateurs V1à à V6. L'article 2.2 dudit arrêté a en revanche rejeté la demande d'autorisation environnementale de la société pétitionnaire en tant qu'elle portait sur les aérogénérateurs V7 et V8.
2. Par la présente requête, la société ENERTRAG AISNE XI SCS demande à la cour d'annuler l'article 2.2 de l'arrêté du préfet de l'Aisne en date du 1er juin 2022 en tant qu'il lui refuse l'autorisation de construire et d'exploiter l'aérogénérateur V7.
Sur l'office du juge :
3. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la décision prise et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.
Sur la légalité du refus d'autorisation de construire et exploiter l'aérogénérateur V7 :
En ce qui concerne la forme de la décision attaquée :
4. La décision contestée comporte l'exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le préfet de l'Aisne pour rejeter la demande d'autorisation de construire et exploiter l'aérogénérateur V7. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de la décision attaquée :
5. Il résulte de l'instruction que pour refuser de délivrer à la société ENERTRAG AISNE XI SCS l'autorisation de construire et d'exploiter l'aérogénérateur V7 du " parc de la vallée de Moÿ ", le préfet de l'Aisne s'est fondé, premièrement, sur l'atteinte porté par cette éolienne aux paysages et monuments et plus particulièrement aux vues sur et depuis l'église de Ly-Fontaine, deuxièmement à l'effet de surplomb et à la saturation visuelle que cette éolienne génère et qui portent atteinte à la commodité du voisinage pour les habitants des villages de Remigny et de
Ly-Fontaine, et, enfin, troisièmement, sur un motif de fond tiré de la méconnaissance par la société pétitionnaire de la séquence dite " ERC " (éviter, réduire, compenser) l'ayant conduite à ne pas rechercher d'abord à réduire l'impact notamment visuel de son projet et à se contenter de mesures de compensation consistant en l'implantation de haies.
S'agissant de la séquence dite " ERC " :
6. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier. ".
7. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), il appartient à l'autorité administrative compétente d'assortir l'autorisation d'exploiter délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour les intérêts mentionnés audit article L. 511-1 ("mesures ERC").
8. Par conséquent, lorsqu'un dossier de demande d'autorisation environnementale de construire et d'exploiter un parc éolien est complet, il appartient au préfet d'examiner, sous le contrôle du juge administratif, si ce projet porte une atteinte suffisamment caractérisée et significative aux principes et intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en tenant compte de l'ensemble des mesures " ERC " proposées par le pétitionnaire et qui sont destinées à éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine, à réduire les effets n'ayant pu être évités, et, enfin, à compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits.
9. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construction et d'exploitation d'un parc éolien est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, que le préfet ne peut pas légalement délivrer cette autorisation. En revanche, il ne saurait légalement rejeter une telle demande au seul motif que le pétitionnaire n'aurait pas intégralement supprimé, par des mesures soit d'évitement, soit de réduction, toutes les atteintes aux intérêts protégés par le législateur que comporte son projet.
10. En l'espèce, le préfet de l'Aisne a refusé de délivrer à la société ENERTRAG AISNE XI SCS l'autorisation de construire et d'exploiter l'aérogénérateur V7 du " parc de la vallée de Moÿ " au motif de fond tiré de ce que la séquence dite " ERC " n'avait pas été appliquée et que le pétitionnaire s'était limité à des mesures de compensation, consistant en la plantation de haies, sans rechercher sérieusement l'évitement des effets négatifs induits par son projet. Ce faisant, en n'examinant pas si des prescriptions portant des mesures de compensation que le préfet aurait lui-même décidé, étaient susceptibles ou pas de remédier aux nuisances, l'administration a entaché ce motif d'une erreur de droit, ainsi que le soutient à raison la société pétitionnaire.
S'agissant de l'atteinte aux paysages et plus particulièrement à l'Eglise de Ly-Fontaine :
Quant aux droit et principes applicables :
11. Aux termes du I de l'article L. 581-3 du code de l'environnement en vigueur : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement ainsi qu'à l'article L. 161-1 du code minier selon les cas. ". Ledit article L. 511-1 dispose que " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...), soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".
12. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage, à un site ou à un monument de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance d'une autorisation environnementale, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité dudit paysage, site ou monument et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur eux.
Quant aux faits de l'espèce :
13. D'une part, il résulte d'une part de l'instruction que l'éolienne V7 projetée doit s'implanter dans une plaine de grandes cultures présentant peu d'intérêt paysager et ne comprenant notamment pas d'éléments patrimoniaux notables. En ce qui concerne plus particulièrement l'église de Ly-Fontaine, elle ne bénéficie d'aucune protection au titre des monuments historiques et le préfet de l'Aisne ne fait valoir aucun autre élément justifiant par ailleurs de son caractère remarquable.
14. D'autre part, l'étude paysagère produite par la société pétitionnaire, qui n'a pas été critiquée sur ces points en défense, démontre qu'il n'y a pas de covisibilité de l'église de Ly-Fontaine et de l'aérogénérateur V7 depuis le centre de ce village. Par ailleurs, si le photomontage 54 b dont se prévaut le préfet de l'Aisne dans son arrêté contesté permet d'établir une telle covisibilité partielle depuis la route départementale n°34 dans sa portion située à l'ouest du village de Ly-Fontaine, le clocher de l'église demeure depuis ce point de vue peu visible en raison de la présence d'un rideau végétal et de la topographie des lieux, ce qui atténue fortement la " concurrence visuelle " entre ce monument et l'éolienne V7 sur laquelle s'est pourtant fondée l'administration pour refuser d'autoriser cette dernière. Il résulte d'ailleurs d'un autre photomontage produit par la société ENERTRAG AISNE XI SCS qu'en entrée d'agglomération, l'église n'est pas visible par une personne empruntant la RD 34 dans sa portion ouest pour se rendre à Ly-Fontaine, si bien que l'impact de l'éolienne V7 sur ce monument et le paysage dans lequel il s'inscrit demeure limité.
15. Dans ces conditions, ainsi que le soutient à raison la société requérante, le préfet de l'Aisne n'était pas fondé à refuser l'éolienne en litige au motif de l'atteinte significative qu'elle porterait aux sites, monuments et paysages.
S'agissant de la commodité du voisinage en raison du surplomb et de la saturation visuelle :
Quant aux droit et principe applicables :
16. Il résulte des articles L. 581-3 et L. 511-1 du code de l'environnement que l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients " pour la commodité du voisinage ", dont relève les phénomènes de surplomb et de saturation visuelle qu'est susceptible de générer un projet.
17. En ce qui concerne plus particulièrement l'effet de saturation visuelle, l'article L. 515-44, dans ses dispositions désormais applicables, précise désormais explicitement que " L'autorisation environnementale tient également compte, le cas échéant, du nombre d'installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent déjà existantes dans le territoire concerné, afin de prévenir les effets de saturation visuelle en vue de protéger les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. ". Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.
Quant à la commodité du voisinage pour les habitants du village de Remigny :
18. Il résulte de l'instruction, notamment de la p 402 de l'étude d'impact sur l'environnement et la santé du parc éolien de Vallée de Moÿ dans sa version n°2 de mars 2020 et de la p 145 du document intitulé " projet éolien de vallée de Moÿ - volet paysager " d'août 2020, que le village de Remigny présente avant l'implantation des éoliennes initialement projetées un indice d'occupation théorique des horizons de 99° et un espace de respiration théorique de 174°. Les huit éoliennes initialement projetées ne modifient pas l'espace de respiration, qui demeure ainsi supérieur au plancher de 160° recommandé par différents rapports de la DREAL des Hauts-de-France et mentionné dans l'étude d'impact. Si elles portent l'indice d'occupation des horizons à 119°, cet indice demeure inférieur aux recommandations issues desdits rapports, lesquelles fixent comme seuil d'alerte 120°. Il résulte en outre de l'instruction que l'augmentation de 20 points de l'indice d'occupation des horizons en ce qui concerne la commune de Remigny n'est que partiellement due à l'aérogénérateur V7 et résulte en premier lieu des aérogénérateurs V1 et V6. En conclusion de ces développements relatifs à l'analyse de la saturation visuelle des bourgs à proximité du parc éolien projeté, ces différentes études notent de façon cohérente en ce qui concerne le village de Remigny que " La contribution du futur parc de Vallée de Moÿ est modérée : La densité diminue et la respiration existante est conservée pour ne pas ajouter de pression supplémentaire. ". Elles estiment également en synthèse qu'il n'y a pas de risque de saturation visuelle.
19. Le préfet de l'Aisne n'apporte aucun élément précis permettant de remettre en cause l'absence de saturation visuelle depuis les points de vue pertinents, alors même que cette absence peut se déduire du photomontage n°37 de l'étude d'impact. Celui-ci démontre en effet qu'il y a, depuis une des routes d'accès au village de Remigny, une occultation par un écran végétal quasi-totale pour les aérogénérateurs V1, V3 et V4, dont seul le sommet de pales est visible, et une occultation partielle pour les aérogénérateurs V2, V5 et V6. Par ailleurs, la suppression de l'aérogénérateur V8 permet une respiration visuelle entre les 7 éoliennes projetées restantes et un autre parc éolien déjà construit et visible à l'autre extrémité du photomontage n°37.
20. Le préfet de l'Aisne s'est en revanche explicitement fondé dans son arrêté contesté sur le photomontage n°37 pour estimer que, compte tenu de la configuration particulière des lieux, il y aurait un effet de surplomb significatif sur la silhouette du village de Remigny du fait de l'implantation des éoliennes V7 et V8. Toutefois, d'une part, il n'est pas contesté par l'administration que l'aérogénérateur V7 respecte la distance minimale d'éloignement par rapport aux habitations, fixée à 500 mètres par l'article L. 515-44 du code de l'environnement. D'autre part, le photomontage n°37, qui est pris d'un point de vue éloigné des lieux de vie des habitants depuis une route d'accès au village, démontre que l'effet de surplomb tenait pour l'essentiel à l'implantation de la V8, dont le refus d'autorisation n'est pas contesté par la société ENERTRAG AISNE XI SCS dans la présente instance. L'aérogénérateur V7 n'est quant à lui pas en surplomb direct du village mais d'un espace boisé qui l'occulte partiellement.
21. Enfin, si le préfet de l'Aisne conteste dans son mémoire en défense la fiabilité des éléments produits par la société ENERTRAG AISNE XI SCS pour démontrer l'impact paysager de ce projet, il se prévaut pour ce faire d'une observation lors de l'enquête publique qui n'est en rien pertinente dès lors qu'elle porte sur le village de Parpeville. Dans son avis du 11 août 2020, la mission régionale d'évaluation environnementale (MRAe) n'a au contraire pas adressé de critique particulière aux éléments relatifs à l'étude de l'encerclement de Remigny par la société pétitionnaire, limitant sa demande de compléments aux villages de Gibecourt et Travecy et au hameau de Canlers. De même, elle a recommandé de mieux étudier les effets de surplomb induits par le projet éolien de vallée de Moÿ aux seuls lieux de vie de la vallée de l'Oise, de Travecy et Achery à Mézières-sur-Oise et Séry-les-Mézières, en excluant ainsi de sa demande les villages situés dans la plaine de grande culture.
22. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que le préfet de l'Aisne a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 581-3 et L. 511-1 du code de l'environnement en motivant son refus d'autorisation par l'atteinte à la commodité du voisinage que représenterait pour les habitants de Remigny l'effet de surplomb et de saturation visuelle causé par l'aérogénérateur V7.
Quant à la commodité du voisinage pour les habitants du village de Ly-Fontaine :
23. Il résulte de l'instruction, notamment de la p 412 de l'étude d'impact sur l'environnement et la santé du parc éolien de Vallée de Moÿ dans sa version n°2 de mars 2020 et de la p 150 du document intitulé " projet éolien de vallée de Moÿ - volet paysager " d'août 2020, que le village de Ly-Fontaine présente avant l'implantation des éoliennes initialement projetées un indice d'occupation théorique des horizons de 147° et un espace de respiration théorique de 113°. Si les huit éoliennes initialement projetées ne modifient pas l'espace de respiration, ce dernier demeure nettement inférieur au plancher de 160° recommandé par différents rapports de la DREAL des Hauts-de-France. Les éoliennes initialement projetées par la société ENERTRAG AISNE XI SCS portent en outre l'indice d'occupation théorique des horizons à 199°, soit un niveau nettement supérieur aux recommandations issues desdits rapports, lesquelles fixent comme seuil d'alerte 120°, ainsi qu'il a été dit. Il résulte en outre de l'instruction que si l'augmentation de 39 points de l'indice d'occupation des horizons en ce qui concerne la commune de Ly-Fontaine n'est que partiellement due à l'aérogénérateur V7, ce dernier génère un cône de visibilité faisant le lien entre deux autres cônes et conduit à une occupation contiguë théorique de près de la moitié de l'horizon pour l'observateur tournant son regard vers l'Est depuis le village de Ly-Fontaine. En conclusion de ces éléments, les auteurs de ces études notaient de manière cohérente qu'en ce qui concerne le village de Ly-Fontaine, " la contribution du futur parc de Vallée de Moÿ est forte, notamment en terme d'occupation de l'horizon " et reconnaissaient un risque de saturation visuelle. De même, dans son avis du 11 août 2020, la mission régionale d'évaluation environnementale (MRAe) notait que ce projet tendait à renforcer encore plus l'encerclement des villages, dont Ly-Fontaine.
24. Le préfet de l'Aisne s'est fondé dans son arrêté contesté sur les photomontages n°46 et 54b de l'étude d'impact pour estimer que, compte tenu de la configuration particulière des lieux, le risque important de saturation visuelle tenant à un effet d'encerclement causé par l'aérogénérateur V7, démontré au point précédent, se réalisait effectivement depuis les points de vue pertinents et que s'y conjuguait un effet de surplomb pour les habitants.
25. En ce qui concerne tout d'abord le photomontage n°46, le point de vue adopté est celui existant depuis le hameau du Vert Chasseur à Vendeuil, au croisement entre la N44 et la D34. Il permet ainsi d'apprécier l'impact visuel entre ce croisement et l'entrée Est du village de Ly-Fontaine depuis la D34. Alors que le pétitionnaire n'a joint aucun photomontage depuis ladite entrée Est ni a fortiori de vue panoramique, alors même que le parc projeté se situe à l'Est du village, il résulte du photomontage n°46 que l'aérogénérateur n°7 est particulièrement visible sur ce terrain plat et dépourvu de boisements de part et d'autre de la D34. Cette configuration des lieux conduit d'ailleurs à ce qu'au moins un bâtiment du village de Ly-Fontaine soit visible sur ce photomontage, alors même que le point de prise de vue en est très éloigné. Par ailleurs, l'éolienne V7 est implantée entre les aérogénérateurs V1 à V6 et d'autres parc éoliens existants dont une dizaine d'aérogénérateurs sont visibles sur le photomontage. Elle contribue ainsi à une perception continue des éoliennes sur une grande part de la ligne d'horizon, corroborant ainsi le risque analysé au point 23 d'une occupation contiguë de près de la moitié de l'horizon pour l'observateur tournant son regard vers l'Est depuis le village de Ly-Fontaine.
26. En ce qui concerne ensuite le photomontage 54b, il s'agit d'une prise de vue depuis un croisement entre une voie et la RD34 à l'ouest du village de Ly-Fontaine, à proximité de sa partie urbanisée. Il ne s'agit pas d'une vision panoramique et il ne permet donc pas de déterminer avec précision l'ensemble des éoliennes covisibles depuis ce point, notamment celles comprises dans les parcs existants de Remigny-Ly-Fontaine et de la Grande Borne dont deux sont néanmoins visibles sur la photographie. Par ailleurs, les éoliennes V2 à V6 sont presque intégralement visibles depuis ce point de vue, compte-tenu du relief et de l'absence de boisement de part et d'autre de cette portion de la D34.
27. Enfin, si l'éolienne V7 est quant à elle partiellement occultée par le bâti existant sur le photomontage 54b, elle génère un effet de surplomb majeur pour les habitants en étant implantée dans l'axe de la route départementale qui traverse le village de Ly-Fontaine et structure de fait son urbanisation.
28. Alors qu'elle atteint par ailleurs une hauteur maximale de 200 mètres en bout de pales et est située à environ 700 mètres seulement de la partie urbanisée du village, le préfet de l'Aisne était ainsi fondé à considérer que cet aérogénérateur générait des phénomènes de saturation visuelle et de surplomb excessifs pour les habitants, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient pu être réduits à un niveau acceptable par de simples prescriptions.
29. Dans ces conditions, la société ENERTRAG AISNE XI SCS n'est pas fondée à soutenir que le préfet de l'Aisne aurait entaché sa décision de refus d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 581-3 et L. 511-1 du code de l'environnement en se fondant sur l'atteinte à la commodité du voisinage que représentent pour les habitants de Ly-Fontaine les phénomènes de saturation visuelle et de surplomb causés par l'éolienne V7 projetée.
En ce qui concerne la neutralisation des motifs illégaux de la décision contestée :
30. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la décision contestée, qui repose sur une pluralité de motifs, comporte un motif légal tiré de l'atteinte excessive portée à la commodité du voisinage par l'aérogénérateur V7 pour les habitants de Ly-Fontaine.
31. Alors qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que le préfet de l'Aisne aurait pris la même décision de refus d'autorisation s'il ne s'était fondé que sur ce seul motif légal, les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation de l'atteinte aux paysages et à la commodité du voisinage pour les habitants de Remigny, analysés aux points 6 à 21 du présent arrêt, doivent être écartés.
32. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la substitution de motifs sollicitée en défense par le préfet de l'Aisne, que les conclusions à fin d'annulation de la société ENERTRAG AISNE XI SCS doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins de délivrance par la cour de l'autorisation sollicitée, à fin d'injonction sous astreinte et au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société ENERTRAG AISNE XI SCS est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société ENERTRAG AISNE XI SCS et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie en sera envoyée pour information au préfet de l'Aisne.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
2
N°22DA01645