Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure.
Par un jugement n° 2302727 du 9 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er décembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. C... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les anomalies qu'il avait relevées dans les documents d'état civil transmis par M. C... ne suffisaient pas à remettre en cause l'authenticité de ces documents et la véracité des informations qu'ils contenaient et que le refus de titre de séjour méconnaissait les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et s'en remet à sa défense devant le tribunal.
Par un mémoire enregistré le 4 janvier 2024, M. C..., représenté par Me Marie Verilhac, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à l'annulation de l'arrêté du 5 juin 2023 ;
3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", " salarié " ou " travailleur temporaire " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros hors taxes à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, la somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Maritime ne sont pas fondés ;
- la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle et d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant un délai de départ volontaire de trente jours méconnaît les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai du 25 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D... C..., ressortissant ivoirien, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 1er septembre 2019. S'étant déclaré mineur, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-Maritime. Le 29 mars 2022, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-22 et L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 juin 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui accorder le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. A la demande de M. C..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté par un jugement du 9 novembre 2023. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié au plus tard le jour de ses seize ans au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Pour écarter la force probante des documents produits par M. C... pour justifier de son état civil, le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé sur les avis des services de la police aux frontières, qui a relevé que l'extrait d'acte de naissance du 31 décembre 2018 n'était pas accompagné du jugement supplétif sur la base duquel il a été établi et que l'extrait du registre des actes de l'état civil du 22 avril 2022 était incomplet au regard de l'article 42 du code civil ivoirien et contenait une faute au niveau des mentions variables.
6. Il ressort du rapport d'analyse technique établi le 8 septembre 2021 par le service de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime - Le Havre, que le service a estimé que l'extrait du registre des actes de l'état du civil n° 9216 du 31 décembre 2018 ne présentait aucune trace de falsification mais n'était pas accompagné du jugement supplétif du 7 septembre 2018 sur la base duquel il était établi de sorte qu'il a émis un avis défavorable. Par ailleurs, le service a conclu, par un second rapport d'analyse du même jour, à l'authenticité du certificat de nationalité de M. C....
7. Par un rapport du 15 novembre 2022, le même service de fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières a conclu à l'authenticité du jugement supplétif du 22 avril 2022 qui annule l'acte de naissance n° 9216 et tient lieu d'acte de naissance de l'intéressé, sous réserve de l'authenticité des pièces fournis pour son obtention auprès des autorités ivoiriennes.
8. Enfin, par un rapport du 1er février 2023, le même service de fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières a relevé que l'extrait du registre d'état civil n° 502 du 22 avril 2022 est incomplet au regard de l'article 42 du code civil ivoirien et comporte une faute d'orthographe dans les mentions variables et a conclu que ce document était falsifié.
9. Il résulte de ces rapports que les anomalies constatées par le service de fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières consistent uniquement en une faute de frappe dans les mentions variables sur l'extrait du registre d'état civil du 22 avril 2022 et en une absence de certaines mentions relatives aux parents de M. C... qui fait valoir, sans être contredit, que si l'acte de naissance doit en vertu de l'article 42 du code civil ivoirien comporter les prénoms, noms, dates et lieux de naissance, nationalités, professions et domicile des parents, tel n'est pas le cas de l'extrait de naissance qui, en vertu de l'article 52 du même code, ne comporte que les mentions relatives à l'enfant.
10. Dans ces conditions, en se bornant à tenir compte des anomalies précitées qui ne sont pas de nature, à justifier, à elles seules, que la force probante des documents d'identité de M. C... soit écartée, le préfet de la Seine-Maritime, qui ne fait valoir aucun autre élément permettant de remettre en cause leur authenticité, n'est pas fondé à soutenir que le jugement supplétif du 22 avril 2022, l'extrait du registre d'état civil n° 502 du 22 avril 2022 et le certificat de nationalité ivoirienne dont M. C... s'était prévalu au soutien de sa demande de titre de séjour sont falsifiés et qu'ils ne peuvent permettre d'établir l'état civil de l'intéressé.
11. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été confié, le 9 décembre 2019, avant l'âge de seize ans, auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime, M. C... a obtenu son brevet en juillet 2021 puis s'est inscrit dans un centre de formation d'apprentis (CFA) où il a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle en boulangerie en juillet 2023 avec une moyenne de 13,78/20. Par ailleurs, il ressort de l'avis de ses professeurs et de sa structure d'accueil que M. C... est un jeune homme sérieux et investi. Dans ces conditions, et alors même que M. C... aurait gardé des liens avec sa mère qui lui a permis d'obtenir les documents d'état civil nécessaires à sa demande de titre de séjour, le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision refusant à M. C... la délivrance d'un titre de séjour méconnaissait les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté, lui a enjoint de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C... :
13. Le présent arrêt, qui rejette l'appel formé par le préfet de la Seine-Maritime, n'appelle pas d'autre mesure d'exécution que celles qui ont été ordonnées par le jugement du 6 juillet 2023. Dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par M. C... dans la présente instance.
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. M. C... ayant été admis à l'aide juridictionnelle, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à Me Vérilhac sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1 : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Marie Vérilhac, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, une somme de 1 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Seine-Maritime, au ministre de l'intérieur, à M. A... D... C... et à Me Marie Vérilhac.
Délibéré après l'audience publique du 19 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
Signé : A. Minet Le président de chambre,
Signé : M. B...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA02227