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03/10/2024 | FRANCE | N°23DA00822

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 03 octobre 2024, 23DA00822


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile (SC) MPGT et la société civile immobilière (SCI) L'île aux rêves ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles a été assujettie la SC MPGT au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SCI l'Ile aux Rêves au titre de la période du 1er

janvier 2017 au 28 février 2019, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugem...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile (SC) MPGT et la société civile immobilière (SCI) L'île aux rêves ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles a été assujettie la SC MPGT au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SCI l'Ile aux Rêves au titre de la période du 1er janvier 2017 au 28 février 2019, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2103176-2104109 du 2 mars 2023, le tribunal administratif d'Amiens a, après les avoir jointes, rejeté ces demandes.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 4 mai 2023 sous le numéro 23DA00822, et des mémoires, enregistré le 30 octobre 2023, le 5 décembre 2023, le 8 janvier 2024 et le 12 février 2024, la SC MPGT, représentée par Me Blanc, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits, intérêts et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a omis de répondre au moyen tiré de ce que la réponse ministérielle faite à M. B..., député, le 26 janvier 1987, était invocable sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

- la liasse fiscale de la SCI L'île aux rêves au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017 a été déposée dans les délais ;

- alors même qu'elle a déposé des réclamations contentieuses, les avis de mise en recouvrement au titre des exercices 2015, 2016 et 2017 sont irréguliers en ce qu'ils ne comportent pas les mentions exigées par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, ni l'existence et le caractère obligatoire de la réclamation à peine d'irrecevabilité d'un recours juridictionnel ;

- dès lors qu'elle n'a eu accès qu'à un extrait de la proposition de rectification adressée à la SCI L'île aux rêves, les droits de la défense au sens de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnus ;

- en relevant dans son mémoire du 10 août 2023 que la SCI L'île aux rêves avait déposé sa déclaration modèle n° 2072 pour l'exercice 2017 dans le délai légal, le ministre a pris une position formelle au sens des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales ;

- la SCI L'île aux rêves n'a pas reçu la proposition de rectification du 22 juin 2018, citée dans la proposition de rectification qui lui a été adressée du 19 juillet 2019, de sorte qu'en méconnaissance de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, aucune proposition de rectification n'a interrompu le délai de prescription s'agissant des impositions supplémentaires afférentes aux exercices 2015 et 2016 ;

- elle a été privée d'un débat oral et contradictoire en raison de l'absence d'échanges de vue avec le vérificateur et d'organisation d'une réunion de synthèse ; l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ainsi que l'article L. 5 du code de justice administrative ont ainsi été méconnus ;

- l'administration a méconnu le principe de loyauté du débat fiscal ;

- l'application de l'article L. 53 du livre des procédures fiscales méconnaît le principe des droits de la défense procédant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- elle justifie, d'une part, de la régularité de l'inscription en comptabilité des amortissements et, d'autre part, de la déduction de ces amortissements ;

- elle se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'une réponse ministérielle du 26 janvier 1987 à M. B..., député ;

- la majoration appliquée est disproportionnée ;

- la majoration prévue par l'article 1728 du code général des impôts méconnaît l'instruction du 19 février 2007 référencée 13 N-1-07, le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit de propriété garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, ainsi que le principe de proportionnalité prévu aux articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 41 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés les 11 août 2023, 3 novembre 2023, 12 décembre 2023, 22 janvier 2024 et 13 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société MPGT ne sont pas fondés.

Un courrier du 26 janvier 2014 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.

Par une ordonnance du 13 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

II. Par une requête, enregistrée le 4 mai 2023 sous le numéro 23DA00823 et des mémoires, enregistrés le 30 octobre 2023 et le 5 décembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SCI L'île aux rêves, représentée par Me Blanc, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits, intérêts et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la SC MPGT a été assujettie au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a omis de répondre au moyen tiré de ce que la réponse ministérielle faite à M. B..., député, le 26 janvier 1987, était invocable sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

- sa liasse fiscale au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017 a été déposée dans les délais ;

- alors même que la SC MPGT a déposé des réclamations contentieuses, les avis de mise en recouvrement au titre des exercices 2015, 2016 et 2017 sont irréguliers en ce qu'ils ne comportent pas les mentions exigées par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, ni l'existence et le caractère obligatoire de la réclamation à peine d'irrecevabilité d'un recours juridictionnel ;

- dès lors que la SC MPGT n'a eu accès qu'à un extrait de la proposition de rectification adressée à la SCI L'île aux rêves, les droits de la défense au sens de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnus ;

- elle n'a pas reçu la proposition de rectification du 22 juin 2018, citée dans la proposition de rectification qui lui a été adressée du 19 juillet 2019, de sorte qu'en méconnaissance de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, aucune proposition de rectification n'a interrompu le délai de prescription s'agissant des impositions supplémentaires afférentes aux exercices 2015 et 2016 ;

- l'application de l'article L. 53 du livre des procédures fiscales méconnaît le principe des droits de la défense procédant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- elle justifie de la régularité de l'inscription en comptabilité des amortissements ;

- elle se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'une réponse ministérielle du 26 janvier 1987 à M. B..., député ;

- la majoration prévue par l'article 1728 du code général des impôts méconnaît l'instruction du 19 février 2007 référencée 13 N-1-07, le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit de propriété garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, ainsi que le principe de proportionnalité prévu aux articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 41 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés le 21 août 2023 et le 3 novembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est irrecevable en raison de l'absence d'intérêt à agir de la SCI L'île aux rêves.

Par une ordonnance du 31 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 décembre 2023.

Des mémoires présentés pour la SCI L'île aux rêves ont été enregistrés le 8 janvier 2024 et le 12 février 2024, et n'ont pas été communiqués en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile (SC) MPGT, qui a opté pour l'imposition à l'impôt sur les sociétés selon le régime simplifié d'imposition, détient 90 % des parts sociales de la société civile immobilière (SCI) L'Ile aux Rêves, laquelle est soumise au régime de l'article 8 du code général des impôts. A l'issue de deux vérifications de comptabilité de la SCI L'île aux rêves portant sur les exercices 2015 à 2017, l'administration a rectifié le bénéfice imposable cette société. Dans le cadre d'un contrôle sur pièces, le service a rehaussé les résultats de la SC MPGT correspondant à sa quote-part des bénéfices sociaux rehaussés de la SCI L'île aux rêves et l'a, en conséquence, assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, assorties de pénalités, selon la procédure contradictoire au titre des exercices clos en 2015 et 2016 et selon la procédure de taxation d'office au titre de l'exercice 2017. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, la SC MPGT et la SCI L'île aux rêves relèvent appel du jugement du jugement du 2 mars 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions.

Sur les conclusions de la requête de la SCI L'île aux rêves :

2. Les sociétés requérantes ne contestent pas en appel le motif d'irrecevabilité tiré du défaut d'intérêt à agir qui a été opposé par les premiers juges aux conclusions de la demande de première instance en tant qu'elle émanait de la SCI L'île aux rêves. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en appel par le ministre, les conclusions de la requête présentée par la SCI L'île aux rêves, enregistrée sous le numéro 23DA00823, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif d'Amiens serait insuffisamment motivé n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. Il doit, par suite, être écarté.

4. En second lieu, contrairement à ce que soutient la SC MPGT, le tribunal administratif, que n'était pas tenu de répondre au détail de l'argumentation développée par la société contribuable à l'appui de ses conclusions, a suffisamment répondu, au point 16 du jugement attaqué, au moyen qui était tiré de l'interprétation administrative de la loi fiscale qui aurait été contenue dans la réponse ministérielle faite à M. B..., député, le 26 janvier 1987, en relevant qu'elle ne donnait aucune interprétation contraire de la loi fiscale.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne le principe du recours à la procédure de taxation d'office au titre de l'exercice 2017 :

5. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; (...) ". Il résulte de l'article L. 68 que la taxation d'office ainsi définie n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure.

6. Il résulte de l'instruction, notamment des mentions non contestées de la proposition de rectification du 22 août 2019, que la SC MPGT a, le 18 avril 2019, reçu notification d'une mise en demeure de souscrire la déclaration n° 2065, relative aux résultats imposables à l'impôt sur les sociétés, au titre de l'année 2017. Faute de réponse de la SC MPGT à cette mise en demeure dans un délai de trente jours, l'administration était en droit de taxer d'office ses résultats de l'exercice clos en 2017. Si la SC MPGT se prévaut de ce que la SCI L'île aux rêves a déposé sa déclaration de revenus n °2072 au titre de l'année 2017 dans le délai prévu par la loi, cette circonstance est sans incidence sur le non-respect, par la SC MPGT, de ses obligations déclaratives au titre de cette même année.

7. A supposer même, comme le relève la SC MPGT, que le ministre, en reconnaissant, dans ses écritures en appel, que la SCI L'île aux rêves avait déposé sa déclaration de résultat pour l'exercice 2017 dans le délai légal, ait pris une prise de position formelle qui lui serait opposable sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, une telle circonstance est, comme il a été dit plus haut, sans influence sur la situation de taxation d'office dans laquelle se trouvait la SC MPGT au titre de l'année 2017.

En ce qui concerne l'interruption du délai de prescription :

8. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification (...) ". Eu égard à l'objet de ces dispositions, relatives à la détermination du délai dont dispose l'administration pour exercer son droit de reprise, la date d'interruption de la prescription est celle à laquelle le pli contenant la proposition de rectification a été présenté à l'adresse du contribuable.

9. D'autre part, aux termes de l'article L. 53 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même. (...) ". Il ressort de la combinaison des dispositions et de celles de l'article 8 du code général des impôts que la notification régulière à une société de personnes imposable conformément à l'article 8 du code général des impôts de redressements apportés à ses résultats déclarés interrompt nécessairement la prescription à l'égard de ses associés, en tant que redevables de l'impôt sur la quote-part des résultats de la société correspondant à leurs droits dans celle-ci.

10. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 22 juin 2018 adressée à la SCI L'île aux rêves, dont il est justifié, par la production de l'avis de réception, qu'elle en a accusé réception le 30 juin 2018, a interrompu la prescription en ce qui concerne l'imposition due au titre des exercices 2015 et 2016. Ainsi, contrairement à ce que soutient la SC MPGT, le délai de prescription n'était pas expiré à la date où les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés dues au titre des exercices clos en 2015 et en 2016 ont été établies par un avis de mise en recouvrement du 29 mars 2019.

En ce qui concerne la méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure :

11. En premier lieu, la vérification de comptabilité de la SCI L'île aux rêves a eu lieu dans les locaux de la société et il incombe dès lors à la SC MPGT, qui soutient que la SCI n'avait pas eu de débat oral et contradictoire avec le vérificateur, d'établir que ce dernier se serait refusé à tout échange de vues avec la société vérifiée.

12. En se bornant à reprocher au vérificateur de ne pas avoir tenu de réunion de synthèse, alors au demeurant que la loi fiscale ne l'y obligeait pas et que le vérificateur avait proposé à la société la tenue, à sa convenance, d'une telle réunion entre le 15 et le 18 juillet 2019, ce que la société a décliné, la SC MPGT n'établit pas que les opérations de vérification de la SCI, qui ont donné lieu à deux réunions sur place en présence des représentants de la société, ont été conduites sans qu'elle ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur auquel elle pouvait prétendre en application de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (...). ". Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 47 de la charte est inopérant, l'Etat ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union lorsqu'il établit des cotisations d'impôt sur les sociétés.

14. En troisième lieu, l'article L. 5 du code de justice administrative, qui est relatif à la procédure contradictoire devant le juge administratif, et non à celle conduite par l'administration vis-à-vis d'un contribuable redressé, en ce qu'il pose le principe de l'instruction contradictoire des affaires ne peut être utilement invoqué.

15. En quatrième lieu, le moyen soulevé par la SC MPGT tiré de ce que l'article L. 53 du livre des procédures fiscales méconnaît les droits de la défense ou le principe du caractère contradictoire de la procédure garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 est, en tout état de cause, irrecevable, faute d'avoir été présenté par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par un mémoire distinct et motivé.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'obligation de loyauté pesant sur l'administration fiscale :

16. Si le vérificateur a relevé, dans la proposition de rectification du 19 juillet 2019 adressée à la SCI L'île aux rêves, que cette société avait souscrit au-delà du délai légal la déclaration n °2072 de ses résultats de l'année 2017, cette circonstance de fait, à la supposer erronée, est restée sans incidence sur les rehaussements en litige. En outre, alors même que la proposition de rectification du 22 juin 2018, régulièrement notifiée à la SCI L'île aux rêves le 30 juin suivant, n'a pas été intégralement jointe à la proposition de rectification du 26 juin 2018 adressée à la SC MPGT et relative aux exercices 2015 et 2016, les extraits pertinents y ont été reproduits. Par suite, ces circonstances, dont fait état la SC MPGT, ne sauraient être regardées comme constituant un manquement au devoir de loyauté qui aurait été celui de l'administration fiscale à l'égard de la société requérante.

En ce qui concerne la régularité des avis de mise en recouvrement :

17. D'une part, aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. L'avis de mise en recouvrement mentionne également que d'autres intérêts de retard pourront être liquidés après le paiement intégral des droits. Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. (...) ".

18. Les avis de mise en recouvrement des 29 mars 2019 et 30 avril 2021, adressés à la SC MPGT, font expressément référence respectivement aux propositions de rectification des 26 juin 2018 et 22 août 2019 la concernant ainsi que la réponse aux observations qu'elle a formulées le 9 octobre 2019. Contrairement à ce que soutient la SC MPGT, les dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales n'imposaient pas à l'administration de renvoyer, dans les avis de mise en recouvrement qui lui ont été adressés, aux propositions de rectification relatives à la SCI L'île aux rêves.

19. D'autre part, il résulte des dispositions combinées de l'article R. 421-5 du code de justice administrative et des articles R. 196-1 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales que l'avis par lequel l'administration porte les impositions à la connaissance du contribuable doit mentionner l'existence et le caractère obligatoire, à peine d'irrecevabilité d'un éventuel recours juridictionnel, de la réclamation prévue à l'article R. 190-1 de ce livre, ainsi que les délais dans lesquels le contribuable doit exercer cette réclamation.

20. Il résulte de l'instruction que les avis de mise en recouvrement adressés à la SC MPGT les 29 mars 2019 et 30 avril 2021 indiquaient que toute réclamation contre le bien-fondé ou le montant des sommes mises en recouvrement devait être adressée au service des impôts désigné ainsi que les délais dans lesquels une telle réclamation devait être présentée pour être recevable et mentionnaient l'irrecevabilité d'une saisine directe du juge administratif. Par suite, la SC MPGT, qui avait formé dans les délais une réclamation préalable aux fins de décharge des impositions litigieuses, n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée de la possibilité de contester utilement les sommes mises en recouvrement.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

S'agissant des exercices clos en 2015 et 2016 :

21. La SC MPGT n'a pas présenté, dans le délai qui lui était imparti, d'observations sur les compléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés. La société, qui a ainsi accepté tacitement les rectifications en cause, supporte, en application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve de l'exagération des impositions qu'elle conteste.

S'agissant de l'exercice clos en 2017 :

22. La procédure d'évaluation d'office ayant, ainsi qu'il a été dit, été régulièrement appliquée à la SC MPGT, il lui incombe, en application de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve de l'exagération de ses bases d'imposition.

En ce qui concerne la déduction des amortissements :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

Quant aux exercices clos en 2015 et 2016 :

23. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation et compte tenu des dispositions de l'article 39 A, sous réserve des dispositions de l'article 39 B. (...) ".

24. En vertu des dispositions du 2° du I de l'article 39 et de l'article 39 B du code général des impôts, le bénéfice net est établi sous déduction des amortissements réellement effectués par l'entreprise, c'est-à-dire effectivement comptabilisés dans ses écritures comptables. Il appartient au contribuable de justifier que cette inscription a été effectuée avant l'expiration du délai imparti pour souscrire la déclaration des résultats annuels de l'entreprise.

25. La SCI L'île aux rêves, qui n'a fourni ses déclarations de résultats au titre des années 2015 et 2016 que le 12 avril 2018, n'établit pas, par la seule production d'écritures comptables éditées le 22 juin 2022 et dépourvues en l'espèce de date certaine, que les inscriptions des amortissements en cause avaient été effectuées avant l'expiration du délai imparti pour souscrire les déclarations annuelles de résultats de la société, à savoir les 3 mai 2016 et 3 mai 2017.

Quant à l'exercice clos en 2017 :

26. La SCI L'île aux rêves a procédé au titre de l'exercice 2017 à une dotation aux amortissements de 56 151,38 euros, correspondant à des bâtiments à hauteur de 53 291,05 euros et des constructions édifiées sur sol d'autrui à hauteur de 2 860,33 euros.

27. Il résulte de l'instruction que la SCI L'île aux rêves a fait l'acquisition le 30 décembre 2010 d'un ensemble immobilier à Boran-sur-Oise, pour un montant de 1 155 412,29 euros. En vertu d'un bail commercial conclu le 31 décembre suivant, ce bien a été donné en location à la SAS Sport France. Toutefois, le service vérificateur a relevé que la SCI avait inscrit à son bilan la valeur de ce bien, en tant qu'élément incorporel de son actif immobilisé, pour une valeur, incluant les terrains et les constructions, de 1 238 668,45 euros, différente de la valeur d'achat du bien. Si la société produit en appel un ensemble de factures correspondant à des agencements ou des constructions, ces travaux ont été effectués sur cet immeuble entre 2002 et 2004, soit antérieurement à l'acquisition du bien par la SCI L'île aux rêves en 2010. La société n'apporte ainsi aucun élément permettant de justifier de la discordance relevée par l'administration entre la valorisation de l'immeuble à la date de son acquisition et le montant de l'actif immobilisé de la société.

28. En outre, le montant de l'amortissement comptabilisé inclut, ainsi qu'il a été dit, des constructions édifiées sur le sol d'autrui, figurant au compte 214100, dont la valeur d'inscription s'élève à 50 992,98 euros. Si la société produit un tableau établi par un cabinet d'expertise comptable faisant état de ce que l'amortissement de constructions édifiées sur le sol d'autrui à hauteur de 2 860,33 euros résulte d'une erreur comptable, elle n'apporte aucune précision quant à l'origine de cette prétendue erreur.

29. Enfin, si la société verse, à l'appui de sa requête d'appel, un tableau mentionnant la durée et le taux d'amortissement, duquel il résulte que la dotation aux amortissements de l'ensemble immobilier qu'elle possède s'élève à 56 378 euros, elle n'apporte aucun élément de nature à justifier de la différence entre cette somme et le montant de 53 291,05 euros inscrit en comptabilité au titre de l'amortissement des bâtiments lui appartenant.

30. Il suit de là que la société n'apporte pas, ainsi qu'il lui incombe, d'éléments suffisamment précis de nature à justifier le montant des amortissements. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction par la SCI L'île aux rêves, au titre de l'exercice clos en 2017, des amortissements comptabilisés à hauteur de 56 151,38 euros et a, conformément à l'article 8 du code général des impôts assujetti la SC MPGT, au prorata de sa participation dans la SCI, à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de ce même exercice en conséquence de la réintégration de ces dotations aux amortissements injustifiées.

S'agissant de l'interprétation de la loi fiscale :

31. La réponse ministérielle faite le 26 janvier 1987 à M. B..., député, n'admet la déduction d'amortissements dans le cadre d'une taxation d'office du bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés que " lorsqu'il peut être justifié de leur inscription dans la comptabilité avant " la date " d'expiration du délai de déclaration ". En l'espèce, cette justification n'étant pas apportée comme il a été dit ci-dessus, la SC MPGT ne peut se prévaloir de cette réponse sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur les pénalités :

32. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (...) ".

33. Les dispositions de l'article 1728 proportionnent les pénalités à l'importance des impositions éludées. Le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler celui-ci pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable, soit de ne laisser à la charge du contribuable que les intérêts de retard. Les stipulations du § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne l'obligent pas à procéder différemment. Ainsi, la SC MPGT n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 1728 du code général des impôts fondant les pénalités auxquelles elle a été assujettie devraient être écartées au motif qu'elles seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, compte tenu de l'objectif et de la portée de l'article 1728 du code général des impôts, qui prévoit que les pénalités infligées sont proportionnelles aux droits éludés par ce dernier, la société n'est pas fondée à soutenir que l'application de ces majorations porterait une atteinte disproportionnée au respect de ses biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

34. Le moyen soulevé par la SC MPGT tiré de ce que l'article 1728 du code général des impôts méconnaît l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi que le principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de cette Déclaration ainsi est, en tout état de cause, irrecevable, faute d'avoir été présenté par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par un mémoire distinct et motivé.

35. La société requérante ne saurait utilement soutenir que les majorations prévues par l'article 1728 du code général des impôts méconnaissent les articles 41 et 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dès lors que les pénalités dont elle est l'objet ne peuvent être considérées, en tant que telles, comme mettant en œuvre le droit de l'Union au sens de l'article 51 de cette charte.

36. Si la SC MPGT invoque, sur le fondement des dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'instruction référencée 13 N-1-07 publiée au bulletin officiel des impôts du 19 février 2007, qui a notamment été reprise dans l'instruction publiée sous la référence BOI-CF-INF-10-20-10, applicable pour les exercices en litige, et intitulée " infractions et pénalités fiscales communes à tous les impôts et relatives à l'assiette - Défaut ou retard dans la souscription d'une déclaration ou la présentation d'un acte à la formalité ", ce moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé faute pour la société requérante d'indiquer les énonciations de cette documentation administrative dont elle entend se prévaloir.

37. Il résulte de tout ce qui précède que la SC MPGT et la SCI L'île aux rêves ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes de la SC MPGT et de la SCI L'île aux rêves sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile MPGT, à la société civile immobilière L'île aux rêves et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. A...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°23DA00822, 23DA00823


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00822
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : BLANC

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;23da00822 ?
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