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19/09/2024 | FRANCE | N°24DA00827

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 19 septembre 2024, 24DA00827


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 29 août 2022 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un an.



Par un jugement n° 2208743 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour " commerçan

t " à M. A... et condamné l'Etat à verser une somme de 1 200 euros au titre des frais de justice.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 29 août 2022 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un an.

Par un jugement n° 2208743 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour " commerçant " à M. A... et condamné l'Etat à verser une somme de 1 200 euros au titre des frais de justice.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 avril 2024, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que M. A... n'a justifié ni de la réalité de son activité commerciale ni de ce qu'il en tirait des moyens d'existence suffisants.

Par des mémoires enregistrés les 10 juillet et 28 août 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Sanjay Navy, demande à la cour de rejeter la requête, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il soutient que l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et de violation des articles 5 et 7 de l'accord franco-algérien.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- la loi n° 2002-1305 du 29 octobre 2002 autorisant l'approbation et le décret n° 2002-1500 du 20 décembre 2002 portant publication du troisième avenant à l'accord franco-algérien ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;

- la circulaire IMI/D/07/00008/C du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement du 29 octobre 2007 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur les articles 5 et 7 de l'accord franco-algérien :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

1. Il résulte des articles 31 et 32 de la convention de Vienne qu'un traité doit être interprété au regard non seulement de ses termes suivant leur sens ordinaire mais aussi de son contexte, de son objet, de son but, de toute pratique ultérieure dans l'application du traité et, pour prévenir un résultat manifestement absurde ou déraisonnable, des travaux préparatoires et des circonstances dans lesquelles le traité a été conclu.

2. L'article 5 de l'accord franco-algérien issu de son deuxième avenant a prévu que le ressortissant algérien s'établissant en France à un autre titre que celui de travailleur salarié reçoit, s'il justifie soit de son inscription au registre du commerce, au registre des métiers ou à un ordre professionnel soit de " moyens d'existence suffisants ", un certificat de résidence " dans les conditions fixées aux articles 7 et 7 bis ". Le a) de l'article 7 a prévu un certificat " visiteur " si l'intéressé justifie de " moyens d'existence suffisants " et s'engage à n'exercer " aucune activité professionnelle soumise à autorisation " et son c) un certificat mentionnant " une activité professionnelle soumise à autorisation " si celle-ci a été obtenue. Un Algérien sollicitant un titre " commerçant " et inscrit au registre du commerce et des sociétés n'avait donc pas à justifier de revenus suffisants (Conseil d'Etat 26 novembre 1997 n° 180329).

3. Le troisième avenant à l'accord franco-algérien a supprimé la référence aux moyens d'existence à l'article 5 sans modifier sur ce point les a) et c) de l'article 7 et l'interprétation de cet avenant ne peut pas conduire à rétablir cette référence. Il ressort du préambule de l'avenant et des travaux préparatoires de la loi du 29 octobre 2002 qui a approuvé l'avenant que son but était un rapprochement avec le droit commun, or l'article 12 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'avait pas évolué à cet égard depuis 1984. L'étude d'impact du projet de loi a constaté que subsistaient au profit des Algériens des " dispositions favorables (exercice des professions non salariées) " et le rapporteur du texte au Sénat que la " liberté d'établissement " en France pour les commerçants et professions indépendantes était " pleinement reconnue aux ressortissants algériens, ce qui constitue un avantage certain par rapport à d'autres nationalités ". Enfin la circulaire du 29 octobre 2007 a précisé que les conditions de viabilité économique du projet et de ressources n'étaient pas opposables aux Algériens.

4. Dans ces conditions, pour l'application du troisième comme auparavant du deuxième avenant à l'accord franco-algérien, la condition de " moyens d'existence suffisants " posée au a) de l'article 7 de cet accord n'est pas opposable à un ressortissant algérien désireux d'exercer une activité professionnelle non salariée qui doit seulement conformément au c) de l'accord avoir obtenu, s'il y a lieu, l'autorisation d'exercer cette activité.

5. M. A..., qui a créé sa propre entreprise et l'a inscrite au registre du commerce et des sociétés, a demandé un certificat " commerçant ". Si le préfet expose que cette auto-entreprise devait être enregistrée au centre de formalités des entreprises mais non être inscrite au registre du commerce et des sociétés ni soumise à autorisation, que l'intéressé relevait en conséquence du a) de l'article 7 de l'accord et que la condition de " moyens d'existence suffisants " posée par ce a) n'était pas remplie, il résulte de ce qui précède que ce motif était entaché d'erreur de droit.

En ce qui concerne la substitution de motif proposée par le préfet :

6. Pour l'application de l'article 5 de l'accord franco-algérien dans sa rédaction issue du troisième comme auparavant du deuxième avenant à cet accord, le préfet est en droit de vérifier le caractère effectif de l'activité. L'absence d'effectivité de l'activité se déduit non pas du résultat d'exploitation mais d'un chiffre d'affaires nul ou particulièrement faible.

7. M. A... a créé à Lille une entreprise de vente à distance sur catalogue général, achat vente de pièces détachées de vélo en ligne et livraison à vélo de repas et de courses auprès des particuliers et des entreprises. S'il a produit des factures qui le présentent comme payé par une société de quick commerce et des déclarations trimestrielles de chiffre d'affaires à partir de janvier 2022, les factures ont domicilié l'intéressé à Lyon et n'ont pas décrit les prestations, aucun paiement effectif avant l'arrêté n'a été justifié et les chiffres portés sur les factures et les déclarations ne concordent pas.

8. Dans ces conditions, l'effectivité de l'activité, à la date de l'arrêté, ne ressort pas des pièces du dossier. Ce motif était de nature à le fonder légalement. Il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision en se fondant initialement sur ce motif. Il y a donc lieu de procéder à la substitution demandée qui ne prive M. A... d'aucune garantie procédurale.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté pour erreur de droit.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

10. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... devant le tribunal et la cour.

En ce qui concerne le refus de titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français dans les trente jours et la fixation du pays de renvoi :

S'agissant de la légalité externe :

11. L'auteur de l'arrêté, adjoint à la cheffe du bureau du contentieux et du droit des étrangers, bénéficiait d'une délégation de signature en vertu de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 et d'un arrêté du 20 juin 2022 signé par le préfet et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour.

12. Conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté a énoncé dans ses visas, ses considérants ou son dispositif les motifs de droit et de fait qui ont fondé ses différentes décisions.

S'agissant de la légalité interne :

13. M. A..., né en 1994, a vécu la majeure partie de sa vie en Algérie où résident ses parents et ses deux sœurs. Il est célibataire sans enfant. S'il est entré en France avec un visa long séjour " étudiant " en août 2017 puis a obtenu un certificat de résidence " étudiant " jusqu'en décembre 2021, il a demandé un changement de statut ainsi qu'il a été dit. Son master en ingénierie mécanique facilitera sa réinsertion dans son pays d'origine.

14. Dans ces conditions, l'arrêté n'était pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation, n'a pas violé l'article 7 de la directive retour et n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne l'interdiction de retour en France :

16. Si toute la famille de M. A... réside en Algérie, l'intéressé a toujours séjourné régulièrement en France, a validé son master en janvier 2021 et n'a jamais fait l'objet auparavant d'une mesure d'éloignement.

17. Dans ces conditions, le préfet n'a pas fait une exacte application des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant une interdiction de retour en France d'un an.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé le refus de titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français dans les trente jours et la fixation du pays de renvoi.

Sur l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative :

19. La présente décision n'implique aucune mesure d'exécution.

Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

20. La demande présentée par M. A... et son conseil, partie perdante pour l'essentiel, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : L'interdiction de retour en France est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le jugement du 11 avril 2024 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Nord, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Copie en sera adressée à Me Sanjay Navy.

Délibéré après l'audience publique du 5 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Marc Heinis, président de chambre,

M. François-Xavier Pin, président assesseur,

Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. Heinis L'assesseur le plus ancien,

Signé : F-X. Pin

La greffière,

Signé : Elisabeth Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°24DA00827


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00827
Date de la décision : 19/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Marc Heinis
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : NAVY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-19;24da00827 ?
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