Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... a demandé au tribunal administratif de A... d'annuler l'arrêté du 29 août 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou à défaut, " salarié ou travailleur temporaire ", dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2204503 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de A... a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 29 août 2022, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à l'avocat de M. C... en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 mars 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... en première instance.
Il soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de A... s'est fondé sur ce que l'intéressé justifiait de son état civil par les documents produits ;
- pour le surplus, il s'en rapporte à son mémoire en défense produit en première instance et joint à sa requête d'appel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2023, M. C..., représenté par Me Isabelle Joron, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son avocate au titre du deuxième alinéa des dispositions combinées de l'articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime, tiré de ce qu'il ne justifiait pas de son identité, n'est pas fondé ;
- compte tenu de l'ensemble de sa situation, l'arrêté du 29 août 2022 méconnaît les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une ordonnance du 18 juin 2024 la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juillet 2024.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu au profit de M. C... par une décision du 25 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... C..., ressortissant de la République de Côte d'Ivoire déclare être né le 10 novembre 2003 et être entré irrégulièrement en France le 19 novembre 2018. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par un jugement du 15 juillet 2019 du tribunal pour enfants de A.... Le 1er septembre 2019, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais reprises, respectivement, aux articles L. 423-22 et L. 435-3 de ce code. Par un arrêté du 29 août 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné, notamment, le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 16 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de A... a annulé cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de A... :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / (...) La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Pour refuser de délivrer à M. C... un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-22 et L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé, en particulier, sur la circonstance que M. C... ne justifiait pas de son état civil ainsi que l'exigent les dispositions, citées au point 3, de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A cet égard, il a tenu compte des conclusions de l'analyse, réalisée le 2 février 2021 par les services de la police aux frontières, des documents produits par l'intéressés, à savoir un extrait du registre des actes d'état civil pour 2003 en date du 8 août 2018, un certificat de nationalité en date du 13 août 2018 et une copie intégrale d'acte de naissance en date du 20 août 2018. Le rapport d'analyse documentaire du 2 février 2021 relève que la mention relative au lieu de délivrance figurant sur le premier de ces documents a été modifié, que des traces de grattage apparaissent au niveau de l'indication de l'identité du père figurant sur le deuxième document, et que le timbre humide apposé sur le timbre fiscal collé sur le troisième document est illisible et présente des caractères irréguliers, ce dernier document étant également revêtu d'une certification de signature au regard duquel a été apposé un timbre humide comportant les termes mal orthographiés " ministère de l'intérieure ". En outre, si l'auteur de ce rapport a seulement conclu au caractère falsifié de ces documents, il précise également le défaut, non conforme, d'alignement des mentions préimprimées de l'extrait de l'état civil. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le préfet de la Seine-Maritime était fondé à remettre en cause la valeur probante des documents d'état civil et du certificat de nationalité produits par M. C..., alors mêmes que les informations relatives à son état civil sont concordantes sur l'ensemble de ces documents.
6. Si les services spécialisés de la police aux frontières ont conclu à l'authenticité intrinsèque du passeport, délivré par les autorités consulaires de Côte d'Ivoire, également produit par M. C..., un tel document, qui n'est pas un acte d'état civil et ne revêt pas sur ce point de valeur probante particulière, ne permet pas, par lui-même, de remettre en cause les doutes affectant en l'espèce l'état civil de M. C.... Par ailleurs, n'est pas de nature à établir son état-civil la circonstance que, malgré l'évaluation réalisée le 4 janvier 2019 par le carrefour d'accompagnement public social (CAPS), concluant à la majorité de M. C..., et le refus d'accueil provisoire d'urgence notifié à ce dernier le 9 janvier 2019, en l'absence de document d'identité, le juge des enfants du tribunal pour enfants de A... a estimé, dans son jugement de placement du 15 février 2019, que l'intéressé présentait des documents emportant l'application de l'article 47 du code civil et que le juge des tutelles des mineurs du tribunal judiciaire de A... a estimé que sa minorité était établie et prononcé l'ouverture d'une tutelle par un jugement du 4 septembre 2020. Enfin, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Le préfet de la Seine-Maritime n'était donc pas tenu de saisir les autorités ivoiriennes, compte tenu de l'analyse effectuée par la police aux frontières pour remettre en cause le caractère probant des actes produits par M. C....
7. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que, pour rejeter sa demande de titre de séjour, le préfet de la Seine-Maritime ne pouvait, sur le fondement des dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, retenir le motif tiré de ce qu'il ne justifiait pas de son état civil.
8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C....
Sur les autres moyens soulevés par M. C... :
En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêt contesté :
9. L'arrêté contesté a été signé par M. D... B..., directeur des migrations et de l'intégration, en vertu de la délégation de signature que lui a accordée le préfet de la Seine-Maritime par l'arrêté n° 22-033 du 1er avril 2022, régulièrement publié au Recueil des actes administratifs de la préfecture n° 76-2022-055. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque donc en fait.
En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :
10. En premier lieu, M. C... soutient que la décision lui refusant un titre de séjour est entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-3 de ce code et que le préfet de la Seine-Maritime ne pouvait légalement relever, dans l'arrêté contesté, l'incompatibilité des demandes fondées sur l'application de chacun de ces deux articles. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, cette décision était, en tout état de cause, légalement fondée sur l'absence de justification par l'intéressé de son état civil, et il résulte de l'instruction que le préfet de la Seine-Maritime aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ce seul motif.
11. En second lieu, M. C... fait valoir que, séjournant en France depuis près de quatre ans à la date de l'arrêté contesté, il s'est engagé en octobre 2021 dans la préparation d'un baccalauréat professionnel des métiers de la vente, après avoir obtenu un certificat d'aptitude professionnelle en vente-commerce à la session de juin 2021, qu'il travaille depuis l'année 2019 dans ce secteur auprès du même employeur, qu'il est autonome financièrement et bien inséré socialement et que sa présence sur le territoire français ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Toutefois, il ne fait état d'aucune attache familiale en France et il ressort des pièces du dossier qu'il n'est pas privé de tout contact avec sa mère qui, résidant en Côte d'Ivoire, lui a fait parvenir des documents administratifs. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu, en outre de ce que l'intéressé a produit des documents d'état civil falsifiés et en dépit du caractère sérieux du suivi de sa formation et de ses perspectives d'intégration professionnelle, la décision lui refusant un titre de séjour ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but poursuivi et ne méconnaît pas, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 11 précédent, l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. C... et la décision désignant notamment la Côte d'Ivoire comme pays de renvoi ne portent pas non plus à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but poursuivi et ne méconnaissent pas, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. En second lieu, dans les circonstances décrites au point 11, ces mesures d'éloignement ne sont pas entachées d'une erreur manifeste commise par le préfet de
la Seine-Maritime dans l'appréciation des conséquences qu'elles emportent sur la situation particulière de l'intéressé.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de A... a annulé l'arrêté du 29 août 2022, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à l'avocat de M. C... au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de ces dernières dispositions dans le mémoire en défense produit par M. C... devant la cour doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2204503 du 16 mars 2023 du tribunal administratif de A... est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... en première instance et les conclusions présentées en appel sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Isabelle Joron.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 3 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2024.
La rapporteure,
Signé : D. Bureau
La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 23DA00540