Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 avril 2024 et des mémoires complémentaires enregistrés les 3 et 20 juin 2024, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Fond du Moulin, représentée par Me Antoine Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision tacite par laquelle le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer l'autorisation environnementale modificative de régularisation pour le projet éolien du Fond du Moulin ;
2°) de délivrer l'autorisation environnementale modificative de régularisation ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre sous astreinte au préfet de la Somme de délivrer l'autorisation environnementale modificative de régularisation ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'un défaut de motivation en méconnaissance des articles L.211-2 et L.232-4 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que le préfet n'a pas répondu à sa demande de communication des motifs de sa décision implicite de rejet ;
- le préfet de la Somme a commis des erreurs d'appréciation en refusant de délivrer l'autorisation environnementale modificative de régularisation, alors que les quatre vices identifiés dans l'arrêt avant-dire droit de la cour du 22 août 2022 ont été dûment régularisés par le dépôt d'un porter à connaissance de régularisation comportant des indications détaillées quant aux capacités financières de la société, précisant le plan de bridage acoustique qui sera mis en œuvre, justifiant l'édiction d'un avis favorable du ministre des armées, la consultation de la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) et l'organisation d'une enquête publique complémentaire qui a donné lieu à un avis favorable sous réserve du commissaire enquêteur ;
- aucun motif n'est de nature à justifier son refus de prendre un arrêté de régularisation.
Par un mémoire, enregistré le 30 juin 2024, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme E... D..., M. A... D..., M. B... C... et l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles, représentés par Me Philippe Audouin, demandent à la cour :
- de constater la délivrance d'une décision implicite de refus opposée à la demande d'autorisation unique déposée le 17 juin 2015 par la Société Centrale Éolienne Fond du Moulin ;
- à titre principal, de rejeter la requête ;
- à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Somme de statuer de nouveau sur la demande d'autorisation unique déposée le 17 juin 2015 par la Société Centrale Éolienne Fond du Moulin, au titre des seules éoliennes E1, E2, E3, E4, E5, E6, E8 et E9 ;
- de mettre à la charge de la Société Centrale Éolienne Fond du Moulin le paiement d'une somme de 3 000 euros à leur profit, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête est irrecevable, compte tenu de l'absence de décision et de l'absence de preuve de la date de dépôt de la demande, en méconnaissance des articles R.421-1 et R.421-2 du code de justice administrative, et de sa tardiveté, dès lors que la décision implicite de refus est intervenue le 30 janvier 2024 au plus tard ;
- les quatre vices retenus par la cour dans son arrêt avant-dire droit n° 1902153 du 22 août 2022 n'ont pas été régularisés ;
- la procédure de régularisation est irrégulière : le dossier d'enquête publique est incomplet ; la consultation des communes intéressées est irrégulière ; la durée de l'enquête publique de régularisation est insuffisante ; l'avis du commissaire-enquêteur est contradictoire.
La requête a été communiquée au préfet de la Somme, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'aviation civile ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;
- le décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Sandrine Galipon, représentant la SASU Fond du Moulin.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 3 février 2017, le préfet de la Somme a délivré à la société Centrale éolienne Fond du Moulin, devenue société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Fond du Moulin, une autorisation unique d'exploitation valant permis de construire et approbation au titre de l'article L. 323-11 du code de l'énergie, pour un parc éolien de dix aérogénérateurs et deux postes de livraison, sur le territoire des communes de Caulières, Eplessier, Meigneux et Sainte-Segrée. Par des arrêtés du 28 décembre 2020 et du 10 septembre 2021, le préfet de la Somme a modifié l'autorisation unique.
2. Saisi par Mme D..., M. D..., M. C... et l'association samarienne de défense des éoliennes industrielles, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté du préfet de la Somme du 3 février 2017. Saisie par Mme D... et autres d'une demande d'annulation de ce jugement et des arrêtés du 3 février 2017, du 28 décembre 2020 et du 10 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai, après avoir considéré que les arrêtés du 3 février 2017 et du 10 septembre 2021 étaient affectés de deux vices chacun, a, par un arrêt avant-dire droit du 22 août 2022 pris en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer sur la demande jusqu'à ce que la préfète de la Somme ait procédé à la transmission d'un arrêté de régularisation, jusqu'à l'expiration, soit d'un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt lorsqu'il n'aura été fait usage que de la simple procédure de consultation publique, soit d'un délai de dix mois lorsque l'organisation d'une enquête publique complémentaire sera nécessaire.
3. En novembre 2022, la SASU Fond du Moulin a adressé aux services de la préfecture de la Somme un porter à connaissance de régularisation. Après avoir demandé, en vain, le 8 avril 2024, au préfet de la Somme d'édicter l'autorisation environnementale modificative de régularisation, la SASU Fond du Moulin a demandé au préfet, par un courrier reçu par ce dernier le 30 avril 2024, de lui communiquer les motifs de son refus de régulariser l'autorisation. Par la présente requête, la société doit être regardée comme demandant l'annulation des décisions de refus qui lui ont été opposées.
Sur les conclusions de Mme D... et autres :
4. La cour a invité Mme D... et autres à produire des observations dans la présente instance. Les intéressés ont, en réponse à la sollicitation de la cour, produit un mémoire qui doit donc être regardé comme des observations. Mme D... et autres ne sont pas parties à l'instance introduite par la SASU Fond du Moulin et n'ont donc pas non plus la qualité d'intervenants volontaires. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre à leurs conclusions et moyens.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la régularisation des arrêtes du 3 février 2017 et du 10 septembre 2021 :
5. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (...) 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ". Le sursis à statuer a pour objet de permettre la régularisation de l'autorisation attaquée. Cette régularisation implique l'intervention d'une décision complémentaire qui corrige le vice dont est entachée la décision attaquée. S'il constate que la régularisation a été effectuée, le juge rejette le recours dont il est saisi. En revanche, si aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée, il appartient au juge de prononcer l'annulation de l'autorisation litigieuse, sans que puisse être contestée devant lui la légalité du refus opposé, le cas échéant, à la demande de régularisation présentée par le bénéficiaire de l'autorisation. Une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d'une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter.
6. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'arrêt avant-dire droit de la cour du 22 août 2022, les services de la préfecture de la Somme et la société pétitionnaire ont entrepris des démarches afin de régulariser les arrêtés du 3 février 2017 et du 10 septembre 2021. Cependant, plus de deux ans après l'arrêt avant-dire droit qui avait imparti un délai maximum de dix mois pour régulariser ces arrêtés, l'autorisation environnementale modificative qu'appelait, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, la régularisation des vices relevés dans l'arrêt avant-dire droit, n'a pas été notifiée à la cour.
En ce qui concerne les décisions attaquées :
S'agissant de la décision implicite née à la suite du porter à connaissance de novembre 2022 :
7. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L.181-14 du code de l'environnement : " Toute modification substantielle des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale est soumise à la délivrance d'une nouvelle autorisation, qu'elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en œuvre ou de son exploitation. / En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale dans les conditions définies par le décret prévu à l'article L. 181-32. R.181-41 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article R.181-46 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Est regardée comme substantielle, au sens de l'article L. 181-14, la modification apportée à des activités, installations, ouvrages et travaux soumis à autorisation environnementale qui : / 1° En constitue une extension devant faire l'objet d'une nouvelle évaluation environnementale en application du II de l'article R. 122-2 ; / 2° Ou atteint des seuils quantitatifs et des critères fixés par arrêté du ministre chargé de l'environnement ; / 3° Ou est de nature à entraîner des dangers et inconvénients significatifs pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3. / La délivrance d'une nouvelle autorisation environnementale est soumise aux mêmes formalités que l'autorisation initiale. / II. - Toute autre modification notable apportée aux activités, installations, ouvrages et travaux autorisés, à leurs modalités d'exploitation ou de mise en œuvre ainsi qu'aux autres équipements, installations et activités mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 181-1 inclus dans l'autorisation doit être portée à la connaissance du préfet, avant sa réalisation, par le bénéficiaire de l'autorisation avec tous les éléments d'appréciation. / S'il y a lieu, le préfet, après avoir procédé (...) le cas échéant, à une consultation du public (...), fixe des prescriptions complémentaires ou adapte l'autorisation environnementale dans les formes prévues à l'article R. 181-45. (...) ". Les dispositions de ces deux articles qui encadrent les modifications intervenant en cours d'exploitation doivent être étendues aux modifications apportées à une autorisation initiale encore non mise en œuvre.
8. D'autre part, aux termes de l'article R.181-41 du même code : " Le préfet statue sur la demande d'autorisation environnementale dans les deux mois à compter du jour de l'envoi par le préfet du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur au pétitionnaire (...). / Ce délai est toutefois prolongé d'un mois lorsque l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ou celui du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques est sollicité sur le fondement de l'article R. 181-39. /Ces délais peuvent être prorogés par arrêté motivé du préfet dans la limite de deux mois, ou pour une durée supérieure si le pétitionnaire donne son accord. / (...) ". Aux termes de l'article R. 181-42 du même code : " Le silence gardé par le préfet à l'issue des délais prévus par l'article R. 181-41 pour statuer sur la demande d'autorisation environnementale vaut décision implicite de rejet. ".
9. Les dispositions précitées des articles R.181-41 et R.181-42 du code de l'environnement régissent la délivrance de l'autorisation initiale, qui suppose nécessairement l'organisation d'une enquête publique. Le porter à connaissance effectué en novembre 2022 par la SASU Fond du Moulin au préfet de la Somme implique seulement, eu égard aux quatre vices à régulariser, que l'autorisation initiale fasse l'objet d'une modification notable, et non substantielle, au sens de l'article L.181-14 et du II de l'article R. 181-46 du code de l'environnement. Or le code de l'environnement n'enserre dans aucun délai l'instruction d'une demande concernant la modification notable d'un projet. En particulier, si le II de l'article R. 181-46 du code de l'environnement envisage le cas où une modification notable pourrait nécessiter de consulter à nouveau le public, il ne renvoie pas aux articles R. 181-41 et R. 181-42, faisant ainsi obstacle à l'application du régime de refus tacite au terme des deux mois suivant la communication à la société pétitionnaire des conclusions du commissaire enquêteur qu'ils instituent.
10. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L.231-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation. ". Aux termes de l'article L.231-4 de ce code : " Par dérogation à l'article L.231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : (...) 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 30 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe " silence vaut acceptation " : " En application du 4° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet pour les demandes dont la liste figure en annexe du présent décret. ". Cette annexe vise notamment " l'autorisation d'un projet soumis à étude d'impact environnemental ".
11. Il résulte de l'instruction que le porter à connaissance de la SASU Fond du Moulin, valant demande tendant à la délivrance d'une autorisation modificative de régularisation pour son projet de parc éolien, devait conduire le préfet à apprécier s'il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d'une part, l'une ou l'autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d'impact, soit une modification de l'étude d'impact et où, d'autre part, l'autorisation d'un projet soumis à étude d'impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l'administration vaut acceptation, la demande d'autorisation modificative de régularisation contenue dans le porter à connaissance de novembre 2022 laissait au préfet un délai de deux mois pour se prononcer, sous peine de voir naître une décision implicite de rejet.
12. D'autre part, aux termes de l'article L.112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception. (...) ". Aux termes de l'article R.112-5 du même code : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 comporte les mentions suivantes : /1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; (...) / Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision (...) ". Aux termes de l'article L.114-3 de ce code : " Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie. / Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite d'acceptation ne court qu'à compter de la date de réception de la demande par l'administration compétente. (...) ". Aux termes de l'article L.114-5 de ce code : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. (...) ". Aux termes de l'article R.421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête (...). ".
13. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
14. Les règles énoncées au point précédent, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes cités au point 12, dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.
15. Il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de la Somme - qui n'a pas défendu à l'instance - aurait demandé à la société des pièces manquantes à son porter à connaissance de novembre 2022. Dans ces conditions, et en application des dispositions citées aux points précédents, le préfet doit être regardé comme ayant reçu le porter à connaissance, réputé complet, le 30 novembre 2022 et comme ayant opposé à la SASU Fond du Moulin, le 1er février 2023, une décision implicite de rejet de sa demande.
16. Il ne résulte pas de l'instruction que le préfet aurait remis à la société l'accusé de réception indiquant les voies et délais de recours opposables à sa demande tendant à la délivrance d'une autorisation modificative de régularisation pour son projet de parc éolien contenue dans le porter à connaissance. Il n'est pas davantage établi que la société ait été informée des conditions dans lesquelles est né le refus implicite ou qu'elle ait pu avoir connaissance de la décision implicite de rejet à une date antérieure de plus d'un an à celle de la présentation de sa requête le 10 avril 2024. La SASU Fond du Moulin n'est donc pas tardive à demander l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande d'autorisation modificative née le 1er février 2023.
S'agissant de la décision implicite née à la suite de la lettre de la SASU Fond du Moulin du 3 avril 2024 :
17. Il résulte de l'instruction que, par une lettre du 3 avril 2024, reçue le 8 avril 2024, la SASU Fond du Moulin a demandé au préfet de la Somme de procéder à l'édiction de l'autorisation modificative de régularisation comportant des prescriptions relatives aux risques de nuisances sonores et mettant à jour le montant des garanties financières. Le silence conservé par le préfet pendant deux mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de refus le 8 juin 2024. Il résulte de l'instruction qu'entre l'intervention, le 1er février 2023, de la première décision implicite de rejet, et l'intervention de cette seconde décision implicite de refus, la situation de fait et de droit a changé du fait des diligences entreprises tant à l'initiative de l'administration - à l'instar de l'émission d'un avis complémentaire par la MRAe des Hauts-de France et d'un avis favorable du ministre des armées et de l'ouverture d'une enquête publique - que de la société qui a notamment transmis, en mai 2023, un dossier présentant ses capacités techniques et financières. Par suite, cette seconde décision implicite de refus ne peut être regardée comme une décision confirmative de la première décision. Il s'en déduit que la société est également recevable à demander l'annulation de cette décision née en cours d'instance.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de motivation :
18. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation (...) ".
19. Il résulte de cette disposition qu'une décision refusant la délivrance d'une autorisation modificative de régularisation doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
20. D'autre part, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
21. Il résulte de l'instruction que la SASU Fond du Moulin a sollicité les motifs du rejet de sa demande d'autorisation par un courrier reçu le 30 avril 2024 par le préfet de la Somme, qui n'a pas répondu. Si, à cette date, la seconde décision implicite de refus n'était pas née, il résulte de ce qui a été dit au point 16 qu'une première décision implicite de refus était née le 1er février 2023 et qu'aucun délai de recours contentieux n'avait commencé à courir à l'encontre de cette décision. La société n'était donc pas forclose lorsqu'elle a demandé, le 30 avril 2024, les motifs de cette décision de refus. Il ne résulte d'aucune pièce versée au dossier que le préfet de la Somme ait depuis lors fait connaître une décision expresse à la société pétitionnaire.
22. Dès lors, en l'absence de communication des motifs dans le délai d'un mois suivant la demande reçue le 30 avril 2024, la décision implicite de refus d'autorisation née le 1er février 2023 se trouve entachée d'un défaut de motivation et doit être annulée.
23. En revanche, à la date de la réception de la demande de communication des motifs, la seconde décision implicite de rejet de la demande d'autorisation modificative de régularisation, née le 8 juin 2024, n'était pas encore intervenue. La demande de communication des motifs présentée par la société le 30 avril 2024 à l'encontre de cette seconde décision implicite de rejet était ainsi prématurée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la seconde décision implicite de rejet doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur d'appréciation :
24. Par un arrêt avant-dire droit du 22 août 2022, la cour administrative d'appel de Douai a considéré, en premier lieu, que l'arrêté du 3 février 2017 était irrégulier au motif, d'une part, de l'incomplétude du dossier de demande d'autorisation et de l'insuffisance d'information du public au regard des capacités financières de la société pétitionnaire, d'autre part, de l'irrégularité de l'avis émis par l'autorité environnementale du fait de l'incompétence de son signataire. Elle a considéré, en second lieu, que l'arrêté du 10 septembre 2021 était irrégulier en raison de l'absence d'avis émis par le ministre de la défense et d'édiction de prescriptions spéciales pour limiter les risques de nuisances sonores.
25. La SASU Fond du Moulin soutient que les quatre vices identifiés par la cour ont été régularisés et que le préfet a commis une erreur d'appréciation en ne déférant pas à ses demandes de délivrance d'une autorisation modificative de régularisation.
S'agissant des vices entachant l'arrêté du 3 février 2017 :
Quant au vice tenant à l'incompétence du signataire de l'avis de la MRAe :
26. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du porter à connaissance de la SASU Fond du Moulin de novembre 2022, la MRAe a émis un nouvel avis le 7 février 2023. Il n'est pas contesté que les quatre membres qui l'ont adopté par délibération étaient compétents pour l'édicter. Cet avis a été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique complémentaire réalisée en septembre 2023. Par suite, le premier vice doit être regardé comme régularisé.
Quant au vice tenant à l'insuffisance de la présentation des capacités financières de la société pétitionnaire :
27. Il résulte de l'instruction que, par deux lettres du 27 octobre 2022 signées par leurs présidents et annexées au dossier de mai 2023 portant sur les capacités techniques et financières de la SASU du Fond du Moulin, les sociétés Vents du Nord et Loscon se sont engagées " dès à présent, de manière ferme et définitive, dans le cas où tout ou partie des prêts bancaires seraient refusés, à mettre à disposition de la société Fond du Moulin SAS [leurs] capacités techniques et financières, afin de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et d'être en mesure de satisfaire aux obligations prévues par les articles 515-105 et suivants du code de l'environnement lors du démantèlement et de la remise en état du site ", en précisant chacune que " cet engagement couvre l'intégralité des dépenses nécessaires à la construction, l'exploitation, le démantèlement du parc éolien et à la remise en état du site ". Ces lettres mentionnent, en outre, les montants de trésorerie et la valeur des actifs de ces deux sociétés, tandis que le dossier de mai 2023 comporte le plan d'affaires prévisionnel pour le projet sur 25 ans. Ces informations ont été portées à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique complémentaire réalisée en septembre 2023. Par suite, le deuxième vice doit être regardé comme régularisé.
S'agissant des vices entachant l'arrêté du 10 septembre 2021 :
Quant au vice tenant à l'insuffisance de prise en compte des nuisances sonores :
28. Il résulte de l'instruction que la SASU Fond du Moulin a produit une étude acoustique qui relève un dépassement des seuils réglementaires mais propose un plan de bridage pour garantir le respect de la réglementation. Ces informations ont été portées à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique complémentaire réalisée en septembre 2023. Dans son nouvel avis, la MRAe a indiqué que, si l'étude avait mis en évidence un dépassement des seuils réglementaires encadrant les émergences sonores, le plan était proposé pour garantir le respect de la réglementation. Par suite, le troisième vice doit être regardé comme régularisé.
Quant au vice tenant à l'absence d'avis du ministre de la défense :
29. Il résulte de l'instruction que le général de brigade aérienne Laurent Thiebaut, directeur de la circulation aérienne militaire a rendu, au nom du ministre des armées, le 24 avril 2023, un avis sur le porter à connaissance de novembre 2022, en vertu d'une décision du directeur de la sécurité aéronautique de l'Etat du 6 avril 2023 régulièrement publiée portant délégation de signature. Cet avis a été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique complémentaire réalisée en septembre 2023. Par suite, le quatrième vice doit être regardé comme régularisé.
30. Il résulte de tout ce qui précède que les quatre vices entachant les arrêtés du 3 février 2017 et du 10 septembre 2021 ont été régularisés. Par suite, la SASU Fond du Moulin est fondée à soutenir que les deux décisions implicites de rejet opposées le 1er février 2023 et le 8 juin 2024 par le préfet de la Somme à ses demandes de délivrance de l'autorisation environnementale modificative de régularisation sont entachées d'erreurs d'appréciation et doivent être annulées.
Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation sollicitée :
31. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
32. Le préfet de la Somme, qui n'a pas défendu, n'a invoqué aucun motif d'irrégularité de la procédure mise en œuvre. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une atteinte autre que celles écartées précédemment justifierait le refus de l'autorisation, ni que la situation aurait évolué récemment de manière significative.
33. Dans ces conditions, eu égard aux motifs d'annulation retenus par le présent arrêt, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation modificative de régularisation sollicitée, d'autre part, en la renvoyant devant le préfet de la Somme pour que soient fixées les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, enfin, en enjoignant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
34. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation ainsi délivrée par la cour et l'information des tiers, le préfet de la Somme et les maires des communes de Caulières, Eplessier, Meigneux et Sainte-Segrée procéderont, dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt, aux mesures de publicité prescrites par l'article R. 181-44 du code de l'environnement, à savoir un affichage du présent arrêt dans les mairies de Caulières, Eplessier, Meigneux et Sainte-Segrée pendant une durée minimum d'un mois, une publication sur le site internet des services de l'Etat du département de la Somme pendant une durée minimale de quatre mois et un envoi de l'arrêt par le préfet aux conseils municipaux et aux autorités locales qui ont été consultées.
Sur les frais liés au litige :
35. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros à verser à la SASU Fond du Moulin sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions implicites du préfet de la Somme refusant de délivrer à la SASU Fond du Moulin l'autorisation environnementale modificative de régularisation pour le projet éolien du Fond du Moulin sont annulées.
Article 2 : L'autorisation environnementale modificative de régularisation sollicitée par la SASU Fond du Moulin pour le projet éolien du Fond du Moulin est accordée.
Article 3 : La SASU Fond du Moulin est renvoyée devant le préfet de la Somme pour que soient fixées les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Somme de fixer les prescriptions mentionnées à l'article 3 dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Le préfet de la Somme et les maires des communes de Caulières, Eplessier, Meigneux et Sainte-Segrée procéderont aux mesures de publicités prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement selon les modalités définies par le présent arrêt.
Article 6 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la SASU Fond du Moulin au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU Fond du Moulin, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au préfet de la région Hauts-de-France et au préfet de la Somme.
Copie sera en outre communiquée à M. A... D..., à Mme E... D..., à M. B... C... et à l'association Samarienne de défense contre les éoliennes industrielles.
Délibéré après l'audience publique du 4 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 août 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA00695 2